Parce qu’il n’y a pas d’art sans engagement
Parce que les Arts disent que d’autres mondes sont possibles
Parce que des femmes et des hommes tentent de les construire
Parce que les Arts nous affranchissent des frontières et de l’enfermement
Parce que la Dordogne fourmille d’actions et de projets politiques alternatifs
Parce qu’aucun blog ne recense ce foisonnement d’activités militantes, politiques, artistiques et culturelles différentes,
Nous vous proposons Art Péri’Cité :
des agendas et des reportages sur les diverses manifestations ou activités

16/03/2016

NOUVEAU SPECTACLE DE RAPHAELLE BOITEL : "5èmes HURLANTS"

Les 10 et 11 mars, Raphaëlle Boitel présentait son spectacle "5èmes Hurlants" à l'Agora de Boulazac où elle avait déjà proposé sa première création de 2014, L'oubliée, nom éponyme de sa compagnie fondée en 2012. Le spectacle a été joué pour la première fois le 1er décembre 2015 au Tamdem Arras-Douai, lors du Festival de cirque Les Multipistes et doit être donné lors d'une vingtaine de représentations jusqu'en avril.

Raphaëlle Boitel est une toute jeune metteure en scène (elle aura 32 ans en 2016) mais elle a déjà une solide expérience du monde du spectacle. Il faut dire qu'elle a commencé tôt. A 6 ans, elle veut être actrice de cinéma mais fait finalement du théâtre. Elle est aussi attirée par le cirque. Elle a entendu parler, avec son frère Camille, d'un stage que donne Annie Fratellini à Nexon, dans le Limousin. Sa mère, qui élève ses 4 enfants depuis la mort de leur père, ne peut assumer les frais et les engage à trouver une solution. Les enfants décident alors de se lancer dans des spectacles de rue l'été pour réunir la somme. Même si elle se souvient d'avoir eu honte auprès de ses camarades de classe de faire la manche avec ses petites représentations, elle parvient à trouver l'argent nécessaire. Faute de temps pour changer l'argent à la banque, elle et Camille arrivent avec les 5000 F en pièces de monnaie. Annie Fratellini, touchée par ces efforts, invite gracieusement les enfants à venir suivre les cours de son académie pendant 5 ans. Elle lui rend d'ailleurs hommage : "c'est la femme qui a fait que je suis là où j'en suis". https://www.youtube.com/watch?v=W9IJcVLc51Y C'est donc toute la petite famille résidant à Montauban qui déménage pour cette formation à l'automne 1994. Alors qu'elle est encore à la Grande Ecole Nationale de Cirque, elle se fait repérer par Coline Serreau qui la recrute en 1995 avec ses frères, Camille et Silvère, et sa soeur Alice, pour son film La belle verte dans lequel joue James Thierrée. Ce dernier, petit-fils de Charlie Chaplin, la recrute pour son spectacle La symphonie du hanneton comme contorsionniste. Elle a 13 ans. Elle travaille pendant 13 ans (jusqu'en 2010) avec lui sur cette production puis sur Les veillées des Abysses et parcourt le monde entier. Parallèlement à cette collaboration, elle travaille sous la direction de Coline Serreau (Les 21 danses hongroises), Marc Lainé (Break Your Leg, Un rêve féroce), Jean-Pierre Chrétien Goni (La théorie des cordes), Aurélien Bory (Géométrie du caoutchouc) mais aussi Wayne Harrison (Absinthe, Désir), Lisa Guédy (Corps Etrangers), Graham Etough (Futurology). Les projets mêlent danse, musique, théâtre, cirque. Elle chorégraphie Macbeth de Verdi (2013)  et La belle Hélène d'Offenbach  (2015) aux côtés du metteur en scène Gorgio Barberio Corsetti. Elle participe aussi à des films comme actrice (du court au long-métrage). Elle s'illustre dans des cabarets à New York, Miami et Londres. Cette formation variée lui fait dire, ayant du mal à se définir, qu'elle est une "hybride qui aime l'art". http://www.franceculture.fr/emissions/la-vignette-13-14/raphaelle-boitel  En 2012, souhaitant voler de ses propres ailes (au sens propre comme au figuré, on vole beaucoup dans ses spectacles), elle crée sa propre compagnie pour laquelle elle a réalisé plusieurs productions : Consolations ou Interdiction de passer par-dessus bord (2013), L'Oubliée (2014) et 5èmes Hurlants.
Si le précédent spectacle qu'elle a mûri pendant 10 ans racontait beaucoup de sa propre histoire, du deuil qui a frappé sa famille, ce dernier opus évoque son univers professionnel, même si chez elle, la scène est aussi liée à la vie privée parce qu'elle est une histoire de famille. Pour ce spectacle, sont aussi de la partie sa mère, Lilou Hérin, aux costumes, sa soeur Alice, à la collaboration artistique, son frère, Silvère, à la régie plateau. Elle a fait appel à cinq circassiens dont trois (Aloïse Sauvage, Salvo Capello et Alejandro Escobedo) étaient présents sur Consolation, un projet proposé par la fille d'Annie Fratellini : Valérie Fratellini, directrice adjointe, responsable de la pédagogie, de l'Académie créée à Saint Denis (93) en 2003 a repris le flambeau de l'école nationale (créée en 1974) où Raphaëlle Boitel a été formée http://www.seine-saint-denis.fr/Valerie-Fratellini-le-cirque-en.html. Cela avait "un sens absolu de faire quelque chose avec l'Académie. Je reviens là d'où je viens". Même si cela n'était pas évident de se lancer sur un projet avec des artistes qu'elle ne connaissait pas, d'autant que la place de l'humain est fondamentale dans son travail, elle a accepté de collaborer sur une forme courte de 30 minutes avec des apprentis de l'Académie qu'elle a d'ailleurs présentée lors des Rencontres de la forme courte à l'Agora en janvier 2015 http://www.agora-boulazac.fr/saison/soiree-3030/. Une telle entente, une telle synergie se sont produites qu'elle a choisi de travailler à nouveau avec eux sur une forme plus longue en faisant appel à deux autres circassiens (Julieta Salz et Loïc Leviel).
En exergue à la présentation de "5ème Hurlants", Raphaëlle Boitel évoque le thème majeur de son spectacle, la persévérance à travers le proverbe chinois "7 fois à terre, 8 fois debout", elle qui l'a très jeune expérimentée pour participer, entre autres, à un stage qui lui ouvrira les portes du cirque. Et, en effet, le spectacle donne à voir ces moments où le circassien répète inlassablement ses numéros jusqu'à atteindre la perfection tandis que son titre le place d'emblée sous les auspices de la souffrance. Car, si les spectacles de Raphaëlle n'exclut pas la performance technique (comme le montre à nouveau celui-ci), ils sont toujours au service d'un propos, explique-t-elle souvent en interview.
Après une introduction dans l'obscurité où les personnages, tour à tour éclairés par un projecteur, travaillent chacun leur agrès et leurs mouvements, se blessent, reprennent leurs exercices, comme une métaphore du travail de l'ombre d'un avant-spectacle et comme une présentation des protagonistes d'un film, le public découvre un numéro d'équilibriste. Le funambule (interprété par Loïc Leviel) dévoile la difficulté de l'exercice et paradoxalement réalise une véritable prouesse technique en feignant la maladresse qui devient elle-même artistique,
 
notamment dans le duo qu'il réalise avec Salvo Capello finalement rejoint pas les autres membres de la troupe dans un élan rythmé que vient soutenir "Le brio" du groupe Big Soul.
Puis, le fil de ferriste pourtant libéré de son agrès poursuit la répétition de son numéro, comme si le métier de circassien envahissait toute la vie au-delà de la piste.

Au cours du spectacle, objet d'un superbe travail sur les lumières de Tristan Baudouin, entre obscurité, clair-obscur et surexposition, les machinistes interviennent sur le plateau. C'est une mise à nu des coulisses servie par un décor "brut, noir et métallique" exploitant la configuration des lieux différents dans lesquels la représentation est donnée car Raphaëlle Boitel veut "explorer la beauté crue des lieux qui ont une âme".
http://www.tandem-arrasdouai.eu/library/documents/5-ame-hurlants-dossier-.pdf;jsessionid=8DFB7A8C4A561D6FDBD55C4DEDD939A7
Ce noir, c'est une manière de placer les circassiens hors du temps. On ne voit pas la succession du jour et de la nuit. Pour matérialiser l'espace de travail, ça et là sont dispersés des objets du quotidien (bouteille, journaux, balles...) mais aussi des câblages enchevêtrés, des systèmes d'accroche, des fils, des projecteurs. Il s'agit de mettre à vue les dispositifs dont s'entourent les circassiens. On les voit alors chacun à l'oeuvre. Après le fil, vient le tour d'un magnifique exercice au cerceau (Julieta Salz),

un autre au jonglage (Alejando Escobedo), aux sangles, à la danse et aux acrobaties (Aloïse Sauvage qui se roule dans un nuage de talc)

sans que les autres ne soient jamais bien loin, illustrant l'esprit de troupe cher à Raphaëlle Boitel.
C'est à la fois une mise en scène d'individualités attachées à des nationalités différentes (sicilienne, chilienne, argentine et française) et un fort esprit de groupe qu'un autre moment du spectacle donne à voir : assis sur des chaises, chacun à leur tour, les membres de la troupe cherchent à partir, systématiquement retenus par les autres. Puis, on se serre, on s'agrippe et finalement, on s'élance vers d'autres espaces.
Car, comme souvent dans les spectacles de la jeune metteure en scène, les personnages dansent, virevoltent, accompagnés par de formidables choix musicaux comme ceux de Verdi, de Bach qui donnent une émotion, un élan, un rythme faisant paraître presque trop court le spectacle. C'est un ballet qui se déroule sous les yeux du public, illustrant l'influence de la danse dont se nourrit Raphaëlle Boitel. L'apothéose apparaît alors dans un dernier numéro de voltige éblouissant, le personnage essayant de se hisser toujours plus haut, métaphore du travail inlassable pour donner le meilleur de soi-même.
Par un dispositif de poulies là aussi très visible qui descend dans de petits sacs noirs les habits des circassiens, ceux-ci se changent devant le public pour venir le saluer dans des habits à paillettes multicolores. Une manière de réconcilier cirque contemporain et cirque traditionnel ou plutôt une manière d'annoncer que les circassiens sont enfin prêts pour entrer en scène? L'interprétation est laissée libre aux spectateurs.
Un magnifique spectacle presque à la hauteur du précédent dont il faut dire que Raphaëlle Boitel le considérait comme le spectacle de sa vie marquée par une grande poésie, une théâtralité très visuelle alliées à la magnificence des costumes et drapés.
Un nouveau projet est en cours d'élaboration. On est impatient de le découvrir.

Pour un aperçu du spectacle : https://www.youtube.com/watch?v=HbnKrsNvi-A 
Pour une actualité de la compagnie : https://www.facebook.com/compagnieloubliee/?fref=ts

Photos et texte : Laura Sansot

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire