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09/03/2016

ALAIN LAUGENIE DIT ET CHANTE ARAGON EN TOUTE INTIMITE DANS "LE CHANT D'UNE VIE"

Les 4, 5 et 6 mars 2016, Alain Laugénie se produisait à l'initiative du CRAC de St Astier pour 3 jours de concert chez l'habitant afin d'honorer Aragon (1897-1982) en ce 18è Printemps des Poètes. Art Péri' Cité était présent pour la soirée du 4 mars à Annesse et Beaulieu.
Cela faisait de longues années qu'Alain Laugénie souhaitait créer un spectacle autour du poète. Il a déjà mis en musique Victor Hugo ("Et si on chantait Victor Hugo", disque de 1985-1986, arrangé par un musicien, compositeur de jazz, François Jeanneau, ancien directeur de l'Orchestre National de Jazz et Jean-François Gaël, accompagnateur guitare entre autres de Pierre Perret) et Arthur Rimbaud  ("J'ai le blues de Rimbaud" disque de 1991-1992 sur lequel il a travaillé avec Ray Lema qu'il décrit comme "un grand musicien d'origine Zaïroise vivant à Paris qui a dû quitter son pays pour des raisons politiques et auteur-compositeur de nombreux albums"). Il s'apprête aussi à rendre hommage à Moustaki les 19 et 20 mars à Tamniès. Il a chanté les plus grands et dit adorer les poètes.

L'artiste chante depuis toujours. Sans en faire son métier, il a beaucoup fréquenté les cabarets, côtoyé Maxime Leforestier, a bien connu Lavilliers. Aujourd'hui retraité de l'enseignement, il est désormais plus libre pour s'adonner à sa passion musicale. C'est le travail avec Michel Lassalvetat qui a créé le déclic pour ce dernier spectacle : "j'ai trouvé en lui la personne qu'il fallait" pour mettre en scène une évocation du poète. Michel Lassalvetat a aussi enseigné et travaillé au service culturel de la Fédération des Oeuvres Laïques et, en parallèle, fait de la mise en scène depuis 40 ans. Il est notamment à l'initiative d'une association ADéTA, créée en octobre 2006 à Tamniès qui fédère 13 associations de théâtre amateur en Périgord Noir http://www.adeta.fr/  Il met en scène des spectacles qui regroupent quelques-uns des comédiens de chaque troupe et travaille aussi avec des professionnels. De 1985 à 1995, il a dirigé un festival de chansons et de musique rock où il faisait venir des têtes d'affiches mais aussi des artistes locaux comme Alain Laugénie qu'il a rencontré à cette occasion. Ils ne s'étaient pas revus depuis cette date mais l'artiste ne l'avait pas oublié. Originaire de La Bachellerie, et revenu en Dordogne il y a 3-4 ans, il est allé frapper à sa porte et n'a pas regretté de l'avoir sollicité, lui rendant hommage à la fin du spectacle. Michel Lassalvetat, qui a présenté le spectacle
après une introduction d'Isabelle Pourjardieu, médiatrice culturelle au CRAC,
a reçu cette demande comme "un joli cadeau". Arrivé avec 2h de spectacle, Alain Laugénie a travaillé avec le metteur en scène pour une production finale d'1h15 durant laquelle, en effet, on n'a pas vu le temps passer. Elle a été conçue pour une jauge de 30 à 50 spectateurs maximum. Le spectacle a d'ailleurs fait le plein pendant ces 3 jours de concert. Il était complet dès le 4 mars! Des représentations chez l'habitant, c'est ce qui convient le mieux à Alain Laugénie qui dit "peu apprécier les grandes salles, la sono". Il les a pratiquées pendant des années mais il reconnaît ne "pas" être "fait pour cela" : "j'aime bien la relation avec les gens, l'intimité avec les spectateurs pour le respect que cela implique. On a conçu le spectacle de façon conviviale". Sa présentation à la médiathèque de Terrasson devant 85 personnes était donc exceptionnelle mais il en garde un excellent souvenir, de même que devant des classes de lycée de la même ville ce jour-là. http://www.ewanews.com/component/content/article/6-terrassonnais-loisirs-et-culture/3433-2015-03-10-22-10-10
L'idée de ce spectacle n'était "pas" de faire "un concert", "ni un tour de chant, ni une pièce de théâtre mais plutôt un récit théâtral", ont expliqué tour à tour les deux concepteurs. Le public était donc invité à applaudir uniquement à la fin. L'artiste et le metteur en scène ont choisi d'axer le spectacle autour de grands thème de la vie du poète, elle-même très théâtrale. Elle a commencé par une enfance vécue dans le mensonge où sa mère lui était présentée comme sa soeur et son père comme un tuteur, pour ne pas mettre en péril la vie de ce politicien marié et bien installé dans une vie bourgeoise. Aragon a connu ensuite la guerre de 14, failli mourir à Venise d'une tentative de suicide après une trahison amoureuse, rencontré une femme de lettres, participé à la résistance et adhéré au parti communiste. Plutôt que de chanter des chansons les unes après les autres, ce qui n'aurait pas permis d'"avoir cette attention" pour cette vie hors du commun, il s'agissait davantage de partager le récit de quelques grands moments de sa vie en mettant en valeur ses textes dits ou chantés.
L'importance donnée au texte était, en effet, centrale au cours de ce spectacle. Alain Laugénie voue une grande admiration au "phrasé du vers". Pourtant, tout en usant de la rime, "on a l'impression qu'il nous parle", dit-il, et de citer le poème J'entends, j'entends, extrait du recueil Les Poètes (1960). De ce fait, pour impliquer davantage le spectateur, l'artiste usait de la première personne et se mettait dans la peau d'Aragon pour raconter sa vie. Cette manière d'aborder l'oeuvre du poète permettait de la découvrir sous un nouvel angle, comme en témoignent souvent des spectateurs depuis 2 ans que le spectacle tourne dans le département.
Afin d'introduire le spectacle, Alain Laugénie arrivait sur scène, guitare en bandoulière, sous des lumières tamisées, pour une lecture d'extraits du prologue des Poètes que Ferrat avait mis en musique en 1971. Avant d'évoquer l'enfance d'Aragon et sa filiation secrète, il interprétait, de sa belle voix jeune et claire, une chanson de Léo Ferré, dont il prenait légèrement le timbre, Je chante pour passer le temps. L'épisode de la Grande Guerre et de sa violence extrême, notamment lors du Chemin des Dames, alors qu'il était brancardier, était abordé dans la chanson elle-aussi popularisée par le chanteur anarchiste, Tu n'en reviendras pas.
Pour accompagner le retour d'Aragon en France et son refuge en Provence après sa romance malheureuse avec Nancy Cunard, Alain Laugénie reprenait la chanson de Léo Ferré extraite du Roman Inachevé du poète, L'Etrangère. La complainte de Robert le diable mais aussi J'entends, j'entends, textes mis en musique par Ferrat, évoquaient Aragon poète, assoiffé de mots dès son enfance. Un jour, un jour, hommage à Garcia Lorca, précédait celui à un autre poète avec La complainte de Pablo Neruda.
Son adhésion au parti communiste, son engagement dans la Résistance avec Elsa Triolet et la chance qu'ils ont eue tous les deux d'être libérés après 3 semaines d'emprisonnement à Tours, était l'occasion pour Alain Laugénie de dire, accompagné de quelques notes de guitare, le texte d'Aragon L'affiche rouge qui revenait sur l'affaire des 21 fusillés du Mont Valérien, tout comme Strophes pour se souvenir. Pour survivre à ces atrocités, Alain Laugénie disait l'amour qui avait animé Aragon en rencontrant la belle-soeur de Vladimir Maïakovski. Il lisait le texte Aimer à perdre la raison avant de chanter la chanson de Ferrat Heureux celui qui meurt d'aimer. L'amour qui n'est pas un mot extrait d'un Roman inachevé donnait à entendre la passion d'Aragon pour celle qu'il avait épousée en 1939. Le texte mis en musique par Brassens Il n'y a pas d'amour heureux disait, entre autres, la difficulté d'aimer.
Pour achever ce récit et en écho à l'introduction du spectacle, de magnifiques extraits de l'Epilogue du recueil Les Poètes étaient dits et chantés a capella mêlés aux Oiseaux déguisés. Alain Laugénie choisissait de terminer sa prestation par ces mots du poète: "Il faut regarder le néant/En face pour savoir en triompher" et "Hommes de demain soufflez sur les charbons/A vous de dire ce que je vois", comme une invitation à la lucidité et au combat.
 
Le public a semblé très touché, presque recueilli devant ce bel hommage à Aragon, peut-être parce que ses mots semblaient habiter l'artiste lui-même. Les lectures de textes que l'on a l'habitude d'entendre chantés étaient l'occasion de découvrir ou redécouvrir leur beauté et leur profondeur mais aussi leur caractère universel.
Comme un prélude à la convivialité de l'après-concert, le rappel, avec Au bout de mon âge qu'Alain Laugénie invitait le public à entonner, clôturait le spectacle sur une tonalité entraînante et joyeuse et précédait un apéritif-dînatoire confectionné par les spectateurs eux-mêmes et leurs hôtes. Cette formule d'un spectacle chez l'habitant a rassemblé pas moins d'une centaine de personnes sur 3 jours, ce dont s'est félicité Agnès Garcenot, directrice du CRAC, qui souhaite renouveler l'expérience déjà réalisée avec Wally en début d'année, car "elle développe le lien entre les gens, chacun se sentant impliqué dans l'accueil. Le fait que cela se passe dans un lieu habité donne une certaine couleur et surtout nous touchons ainsi des personnes qui n'iraient pas (en tout cas dans l'immédiat) dans une salle de spectacle" et d'ajouter : "malgré le monde morose... les gens ont encore envie de se rencontrer...". C'est une bonne nouvelle! Merci au CRAC et à Alain Laugénie d'en avoir été les artisans le temps d'un week-end.
Pour vous donner une petite idée du spectacle d'Alain Laugénie, voici un lien : 
http://youtu.be/j26iZBTDzlw
 Texte et photos : Laura Sansot

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