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05/03/2016

DISCUSSIONS AVEC YANNIS YOULOUNTAS AUTOUR DE SON DERNIER FILM "JE LUTTE DONC JE SUIS"

Le 9 février, l'association Ciné-Cinéma et l'APCD (Action des Précaires et Chômeurs de Dordogne) http://www.apcd24.fr/ proposait une soirée autour du dernier film de Yannis Youlountas "Je lutte, donc je suis". 

Du fait d'une arrivée tardive du réalisateur, prévue à l'origine à 18h pour un apéro-présentation avant la projection, son précédent film, sorti en septembre 2013 en France, Ne vivons plus comme des esclaves!, était diffusé au café associatif Les Thétards. Il est déjà en libre accès sur le net : http://nevivonspluscommedesesclaves.net/spip.php?rubrique16  Le film, au titre en forme de slogan scandé en Grèce depuis la crise de 2010, évoque les luttes de résistance, les expériences auto-gérées dans ce pays.
Le film été introduit par la représentante de Ciné-Cinéma, Julia Caron, et deux membres de l'APCD, Cathy et Calypso.

Julia Caron et Calypso (en haut), Cathy ( à gauche) et Julia Caron (à droite)
Le film fait suite au précédent opus du réalisateur qui a semblé, "comme un chercheur", vouloir "suivre son sujet". Les luttes en Grèce l'ont mis sur le chemin d'autre combats, comme ceux menés en Espagne, comme à Barcelone et à Marinaleda en Andalousie. Ce sont des luttes similaires que l'on retrouve dans les ZAD. Ce film a été présenté comme "très optimiste", "donnant envie de lutter, de s'organiser, de créer des liens de solidarité" et considéré comme "une manière de lutter contre les paroles et images manipulées" par les média dominants. Dans ce registre de lutte contre la désinformation, la promotion du n°7 de la revue Z a été faite. Il consacrait un dossier à la Grèce, aux luttes à Athènes et Thessalonique en 2013 http://ancien.zite.fr/Sommaire-Z-no7 L'APCD a saisi l'occasion pour parler de ses activités. Elle partage le local des Thétards, assure une permanence le mardi soir, organise une chorale libertaire le lundi dans ce même café et travaille à développer l'éducation populaire, chère à Yannis Youlountas. L'association propose gratuitement des projections, des soirées débat, fait venir des historiens. 
Avant le lancement de la projection, un extrait du poème de Robert Desnos, datant de 1942, Demain, était lu en guise d'introduction : "Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore/ De la splendeur du jour et de tous ses présents./Si nous ne dormons pas c’est pour guetter l’aurore/ Qui prouvera qu’enfin nous vivons au présent". 
Le film est visible en version longue sur Internet, sur ce lien : 

Après la projection, Yannis Youlountas finalement arrivé à Périgueux, lui qui effectue un véritable marathon en France et à l'étranger (pratiquement une ville différente chaque soir!), s'est exprimé pour présenter son travail. Le choix des séquences du film ont été l'objet d'une décision collective et des sélections ont dû être faites pour réaliser une synthèse dont l'objectif était de "parler de la lutte, de la vie, de ce qui palpite en Grèce comme en Espagne". Evoquant des blocages en Grèce le même jour et une grande manifestation le 12 février suivant, le réalisateur en a profité pour mettre en garde contre les chiffres communément avancés concernant le nombre de manifestants grecs dans les média français relayant les grandes agences de presse internationales, elles-mêmes reprenant les chiffres de la police locale : il faut multiplier par 5 à 10 pour avoir le nombre réel de manifestants!
A la question du public sur la facilité ou non de rentrer dans le quotidien des personnes rencontrées au cours du film, Yannis Youlountas a expliqué que faisant partie lui-même du mouvement social en Grèce comme en France, membres de 3 des assemblées des initiatives en Grèce, les prises de contacts avaient été simples. Il s'est presque excusé de ne pas avoir parlé de la Coopérative intégrale catalane qui aurait à elle seule nécessité un film. http://reporterre.net/Ni-capitalisme-ni-Etat-la-Cooperative-integrale-s-epanouit-a-Barcelone Cette coopérative prend une ampleur très importante. C'est une zone d'échange qui fonctionne à la manière d'un SEL avec une monnaie fondante. 
Interrogé sur sa vision de l'état actuel de la France, il s'est présenté, certes comme Franco-grec, mais surtout comme citoyen du monde! Pour lui, la peur règne en France plus qu'ailleurs. Tout ce qui s'y déroule relève plus du fantasme que de la réalité. D'ailleurs, le racisme est plus fort dans les lotissements où vivent surtout les populations favorisées que dans les cités populaires. La télévision a, en cela, un impact très fort et la présence massive du Front National dans les média n'y est pas pour rien. La France semble être au coeur du capitalisme dans son évolution néo-libérale et exporte à l'étranger ses forces libérales dans un esprit néo-colonial.
En Grèce, la situation est différente. La population est appauvrie par un chômage important renforcé par des droits à la Sécurité sociale qui ne dépassent pas un an quand on est en inactivité. Les jeunes fortement touchés ne peuvent bénéficier du secours des parents qui ont souvent connu une perte de 40 à 50% de leurs revenus. Pour s'en sortir, ils sont amenés à réaliser des travaux saisonniers qui les occupent de mai à octobre. Ce n'est peut-être pas un hasard si Tsipras a obtenu le 21 février 2015 une prolongation de l'aide financière pour 4 mois. Or, l'échéance avait lieu au moment où les jeunes Grecs, fer de lance la contestation, étaient démobilisés. C'est d'ailleurs à ce moment là qu'ont été prises des décisions importantes : tenue d'un référendum le 5 juillet 2015 annoncé le 27 juin et acceptation d'un plan d'austérité le 13 juillet par l'aide droite de Syriza qui a pris le pouvoir dans ce parti. Il semble très sceptique vis-à-vis de Varoufakis, ancien ministre des finances grec, marié à l'artiste Danaé Stratou, héritière d'une riche famille, qui serait au coeur d'affaires dont des locations de 80 logements non déclarés au fisc, soit 1,8 millions d'euros, selon Yannis Youlountas.
Un spectateur s'est demandé pourquoi le parti d'extrême-droite, Aube dorée, avait de l'audience alors que la situation était si dramatique en Grèce. Le réalisateur a alors choisi de comparer la France et la Grèce. Il constate dans notre pays une dérive fascisante depuis la mise en place et la prolongation de l'état d'urgence. La prise de pouvoir du Front National n'a pas été nécessaire. On est entré dans un "totalitarisme marchand" pour reprendre une expression de Jean-François Brient, auteur de De la servitude (livre qui a donné lieu à un film) que le réalisateur a citée. Toutefois, bien que l'on puisse facilement basculer de l'une à l'autre, il a souhaité distinguer société fascisante et société fasciste. Dans cette dernière, la censure est totale et les opposants sont éliminés de manière systématique avec pratique de la torture comme cela s'est passé sous la dictature des colonels en Grèce (1967-1974). Sous cette dictature, on brûlait les livres mais aussi les vinyles des Beatles, on coupait les cheveux longs et les pat' ef', sauf dans le quartier contestataire d'Exarcheia, qui a gardé le souvenir de la résistance : c'est de là qu'est partie la révolte ces dernières années mais aussi beaucoup d'expériences alternatives. En France, l'extrême-droite entretient une duplicité et tout l'enjeu de la lutte est de démasquer la confusion. Pour Yannis Youlountas, l'extrême droite est beaucoup plus contenue en Grèce pour 3 raisons. La première raison est sémantique. Les membres des mouvements sociaux n'ont aucune gêne à se déclarer anti-fascistes. Le fascisme est, selon lui, le stade ultime du capitalisme quand il n'arrive plus à bercer d'illusion le peuple. En Grèce, quand on est anti-capitaliste, on est anti-fasciste. La deuxième raison est liée à l'empirisme. Ceux qui ont connu la dictacture sont encore vivants et peuvent témoigner. Cette expérience du fascisme est incarnée. La dernière raison est conceptuelle : tandis qu'en France, on considère que la première des libertés est la liberté d'expression, sous l'influence des Lumières modérées (qui ont mis à l'index les Lumières radicales au XVIIIè siècle), elles-mêmes influencées par le monde anglo-saxon, en Grèce, c'est la liberté de vivre qui prime. La liberté d'expression ne doit pas menacer le vivre ensemble, les droits fondamentaux pour tous.
Le film a été financé, a expliqué le réalisateur, grâce à un mouvement de soutien. Refusant toute subvention du CNC, il a obtenu, pour son premier film, l'aide du monde libertaire et des réseaux sociaux. Pour lui, l'argent n'est pas un problème, les films parviennent à être auto-financés assez facilement. En outre, l'argent est reversé pour des initiatives solidaires. Il a cité l'exemple de sa fille Lisa ayant apporté le jour même avec une amie des sommes récoltées par le film pour des réfugiés accueillis dans un immeuble du 26 de la rue Notara à Athènes et dans une autre HLM auto-gérée. De l'argent doit être aussi envoyé pour secourir des migrants à Chania (Crète) dans leur procédure judiciaire. Il a cité aussi un autre dispensaire autogéré Nosotros qui existe depuis 10 ans, un lieu très accueillant où beaucoup de membres parlent français. Les films qu'il réalise ont donc un double objectif : informer et permettre des actions solidaires. Il ne se revendique pas comme réalisateur. Il a d'ailleurs refusé au départ que son nom soit mis en avant sur l'affiche et a finalement accepté sous la pression des autres participants à l'aventure. Il a fait de la photo, écrit dans différents journaux, tient un blog. Il continue de filmer ce qui se passe dans les mouvements sociaux notamment en Grèce où la conflictualité physique est assumée alors qu'elle est tombée en désuétude en France. Pourtant, dans ce même pays, comme à Calais, des milices fascistes, explique-t-il, ratonnent, menacent avec des armes à feu. Il est vrai que cette visibilité au grand jour du fascisme en France est exceptionnel, l'extrême-droite préférant avancer masquée. Pour un spectateur, des individus payés par l'Etat sont capables de tuer des hommes. Il a fait allusion à 3 personnes mortes dans ces conditions en janvier en France. Le fascisme d'Etat peut pratiquer "un nettoyage", comme il l'a fait en Amérique du Sud, a-t-il souligné.

Selon Yannis Youlountas, cette évolution vers une fascisation de la société pose la question de l'échec des mouvements sociaux depuis 150 ans, époque où un schisme s'est opéré entre anarchisme et marxisme sur la question du pouvoir devenu un sujet tabou. Il considère qu'il existe 3 composantes du mouvement social. Les Sisyphe, les gens de gauche : ils gravissent souvent la montagne mais arrivés au sommet, ils se font confisquer le rocher, c'est-à-dire le pouvoir par ce qu'ils considèrent comme une erreur de casting. C'est la malédiction du pouvoir par une dérive autoritaire (stalinisme et autres) ou par la trahison bourgeoise. La France a bien été gâtée de ce côté là, même si le 13 juillet 2015 en Grèce a été le plus fameux exemple depuis 150 ans. Si la France a pu obtenir les congés payés, c'est parce que la rue, par la grève générale, les a arrachés à Blum qui n'en voulait pas. Même configuration pour le Conseil National de la Résistance : le programme a pu être mené à bien par des ouvriers en armes qui se sont imposés face au patronat qui avait collaboré. Les Cassandre, les anarchistes et autres révolutionnaires,  n'arrivent pas à se faire entendre. Enfin, les jardiniers sont ceux qui considèrent, suivant le modèle de Gandhi, qu'il faut se changer soi-même pour changer le monde. Ils travaillent donc leur espace expérimental à petite échelle et rejettent l'échelle globale. Leur terrain de lutte est le local et le concret. Ce sont souvent des objecteurs de croissance mais qui ne se posent pas la question du capitalisme. Pour Yannis Youlountas, il est important d'avoir une plate-forme de luttes face au rouleau compresseur du capitalisme.  Tout en reconnaissant une sur-représentation des Cassandre dans le film, il a appelé au rassemblement : "enrichissons-nous de nos différences. Si l'on est capable d'accepter nos différences, alors, prouvons-le!" a-t-il lancé pour conclure le débat.
Une table, à la sortie du débat, permettait d'acheter des affiches, DVD et livres autour du film dont les bénéfices seraient reversés en faveur des initiatives sociales grecques notamment. Parmi ces documents, un livre intitulé Exarcheia la noire, au coeur de la Grèce qui résiste illustré de photos de Maud Youlountas était présenté.
Au premier plan, Maud Youlountas et Yannis Youlountas, en arrière plan
Pour ceux qui souhaitaient poursuivre la discussion, un petit repas convivial, au café de Thétards, les attendaient avec la présence de Yannis Youlountas qui s'est montré très accessible et très à l'écoute des convives, tout en faisant part de sa vision personnelle de l'évolution des sociétés française et grecque grâce à un cadre plus intimiste.  
Yannis Youlontas a même échangé avec un clown

Ainsi, interrogé sur l'évolution de Podemos, il s'est montré sceptique, même s'il a été au départ bienveillant face au mouvement, avançant 3 arguments : la triple modification des statuts, le fait que Iglesias ait choisi de soutenir Tsipras et non Unité Populaire, le fait que Podemos ait négocié avec le PSOE alors qu'il était arrivé en troisième position. Quant à Tsipras, il a trahi, en étant dans le clientélisme politique, comme pouvait le laisser imaginer son voyage aux Etats-Unis, en 2013, où il déclarait qu'il ne sortirait pas de l'OTAN et qu'il n'était "pas dangereux". Il faut dire aussi qu'il n'est pas issu du mouvement social. Celui-ci se retrouve en partie dans les dispensaires de santé auto-gérés (2/3 des dispensaires) et les initiatives du mouvement révolutionnaire et notamment anarchiste (1/3). Dans le premier cas, les dispensaires sont envisagés comme une solution temporaire à la crise que traverse la Grèce tandis que les autres ont une visée à long-terme de transformation de la société. Des membres des dispensaires se sont présentés sur les liste de Syriza. Le 20 février 2016, des comités locaux du Collectif Solidarité France Grèce  pour la Santé se sont réunis à Paris "pour faire le point sur la solidarité avec les dispensaires sociaux grecs". https://solidaritefrancogrecque.wordpress.com/ Les dispensaires sont nés de la lutte des sans-papiers en Grèce où l'on observe le plus faible taux d'Europe d'accès au statut de réfugié. Alors qu'en 2008, 3% des Grecs n'avaient pas de couverture sociale, ils seraient 37% aujourd'hui, selon Yannis Youlountas. Une question a été posée concernant le fait que "tout serait vendu en Grèce". Yannis Youlountas a confirmé que la Grève devait privatiser pour 50 milliards d'euros. Le Pirée appartiendrait aux Chinois désormais. 110 des plus 180 plus belle plages de Grèce seraient en vente actuellement. La position de Varoufakis a été aussi évoquée qui a notamment voté oui le 22 juillet à un deuxième volet de mesures exigées par les créanciers, alors qu'il avait voté non le 15 juillet. Enfin, une personne s'est interrogée sur le moyen de fédérer les luttes dans le département. Yannis Youlountas a suggéré de constituer une Agora des luttes où des informations seraient échangées ainsi que des méthodes de travail. Trois ingrédients semblent très bien fonctionner en Grèce pour réussir ces réunions : le recours à la démocratie directe, à l'éducation populaire et aux cantines sociales. Quelques pistes de réflexion pour les militants ou simples citoyens venus achever la soirée dans une ambiance très conviviale.

Texte et photos  : Laura Sansot.

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