Les 26 et 27 janvier, l'Odyssée proposait La Cerisaie, mise en scène par Gilles Bouillon, avec une traduction de référence d'André Markowicz et Françoise Morvant, et assisté du dramaturge Bernard Pico, auteur d'une conférence sur Tchekhov quelques jours auparavant.
http://artpericite.blogspot.fr/2016/02/conference-de-bernard-pico-autour-du.html
Ce metteur en scène depuis 35 ans, comme il l'a expliqué dans un bord de scène après le spectacle, a été d'abord directeur du théâtre de Bourges puis de celui de Tours jusqu'en 2013 où il a créé une trentaine de spectacles. Désormais, il dirige sa propre compagnie subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication, la communauté d'agglomération de Tours et la Région Centre Val-de-Loire.
http://www.cdrtours.fr/sites/default/files/spectacles/dossier_pedagogique_la_cerisaie_16_septembre_2015.pdf
http://artpericite.blogspot.fr/2016/02/conference-de-bernard-pico-autour-du.html
Bernard Pico
Ce metteur en scène depuis 35 ans, comme il l'a expliqué dans un bord de scène après le spectacle, a été d'abord directeur du théâtre de Bourges puis de celui de Tours jusqu'en 2013 où il a créé une trentaine de spectacles. Désormais, il dirige sa propre compagnie subventionnée par le ministère de la Culture et de la Communication, la communauté d'agglomération de Tours et la Région Centre Val-de-Loire.
Gilles Bouillon entouré de trois de ses comédiens
Pour cette mise en scène, il s'est associé à la compagnie du passage de Neufchâtel, créée en 2003. Il a réussi l'exploit économique de réunir, peut-être grâce à sa faconde et son charisme qui en font un éminent chef de troupe, que le bord de scène a pu révéler, 12 comédiens lors des répétitions en Suisse en septembre-octobre 2015 pour entreprendre ensuite une tournée de 44 représentations. Et, justement, c'est ce qu'il fallait pour une pièce chorale comme La Cerisaie de Tchekhov, où n'émerge aucun héros, aucun personnage qui dominerait les autres, mais dont le metteur en scène assure l'unité, comme l'a salué une spectatrice. En fait, il y a "que des personnages secondaires" et "un personnage principal qui n'est pas un personnage" mais le temps, permettant ainsi "à Tchekhov de doter chacun de ses héros d'une vie plus riche et plus complète que ne le sont les héros de ses autres pièces".http://www.cdrtours.fr/sites/default/files/spectacles/dossier_pedagogique_la_cerisaie_16_septembre_2015.pdf
Le temps de cette pièce est celle d'une journée au cours de laquelle la propriétaire de la Cerisaie, Lioubov, revient, à l'aube, après 5 ans d'absence accompagnée de sa fille, Ania, et de la nurse, Charlotta. Endettée, elle retrouve sa terre et sa maison qui doivent être vendues, la Cerisaie. Lopakhine propose de sauver la propriété en la mettant en location après avoir abattu les arbres, ce qui suscite incompréhension et mépris. Tous les personnages apparaissent dès le premier acte.
Au deuxième acte, en fin de journée, c'est une dernière partie de campagne
qui précède un dernier bal dans l'acte III
puis le départ, suite à la vente aux enchères de la propriété rachetée par Lopakhine, le fils de moujik, et l'abattage des cerisiers, dans le dernier acte.
Au deuxième acte, en fin de journée, c'est une dernière partie de campagne
qui précède un dernier bal dans l'acte III
puis le départ, suite à la vente aux enchères de la propriété rachetée par Lopakhine, le fils de moujik, et l'abattage des cerisiers, dans le dernier acte.
L'histoire, c'est celle de Lioubov qui revit les souvenirs d'une époque révolue, les moments heureux de la Cerisaie, de son enfance, mais aussi la mort de son fils, Gricha. C'est celle des autres personnages avec leurs amours contrariées, leurs petites joies, qui tiennent leur rang dans une société de classe que Tchekhov analyse avec finesse, sans faire de grand discours, sans convoquer de grands monologues, mais par une écriture concise et fragmentée. Plus généralement, c'est celle de l'aristocratie russe qui, en cette fin de XIXè siècle, vit ses dernières années avant la Révolution. La pièce décrit la fin d'un monde qui ne s'est pas remis de l'abolition du servage en 1861, tant du côté des puissants que des anciens serfs. Les personnages de Lopakhine, cet entrepreneur issu du peuple qui imagine avant l'heure les congés payés et des lieux touristiques sur lesquels investir, et de Trofimov, l'éternel étudiant, doté d'une réelle vision d'avenir et rappelant "voyez comme vous vivez mal", semblent venir bousculer les derniers survivants d'un monde que la Révolution va écraser. Elle n'épargnera pas non plus ce Lopakhine, capitaliste avant la lettre.
On pourrait y voir un drame, comme l'envisageait Stanislavski, le premier metteur en scène de la pièce.
Elle l'est encore aujourd'hui. Gilles Bouillon a noté pas moins de 6 mises en scène réalisées en ce moment en France, signe de la modernité de la pièce. On pense notamment à celles de Catherine Riboli avec la compagnie Nom'Na http://www.culturedordogne.fr/la-saison/spectacles-expos/item/1350-lost-in-tchekov.html, de Tg Stan http://www.colline.fr/fr/spectacle/la-cerisaie-0 ou de Christian Benedetti au théâtre du Soleil http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/dans-nos-nefs/article/la-cerisaie. Cette fin d'un monde, c'est probablement la fin du nôtre. La mondialisation nous plonge dans un changement de civilisation, de mutation totale. Il se souvient qu'il y a plusieurs années Le marchand de Venise avait suscité le même engouement chez les metteurs en scène. Gilles Bouillon a mis longtemps à s'attaquer à un texte de Tchekhov, estimant nécessaire une certaine maturité pour l'aborder : "il faut avoir bourlingué" dit-il. Car Tchekhov, c'est une analyse particulièrement riche et fine de l'âme humaine dans toute sa complexité, grâce à une économie de langage au service de l'efficacité dramatique.
Si la salle s'est montrée particulièrement attentive, y compris les scolaires, comme l'a noté admirative une spectatrice, elle aura vu, néanmoins, une scénographie somme toute assez classique, encore peu épurée, malgré les contraintes qu'engendre le fait de jouer régulièrement dans des théâtres différents lors de cette tournée, comme l'a rappelé le metteur en scène. Toutefois, peut-être, en partie, parce qu'"il n'y a pas de bons comédiens, sans de bons spectateurs" (B. Brecht), on aura admiré le travail des acteurs, notamment celui de Roger Jendly interprétant le vieux Firs, un remarquable comédien suisse qui joue aussi bien au théâtre, au cinéma qu'à la télévision. C'est lui qui conclut la pièce avec cette phrase : "la vie est passée, on dirait que je n'ai pas vécu (...) espèce de bon à rien!...". Ces derniers mots du théâtre de Tchekhov résonnent étrangement chez un auteur qui avait si peu conscience de son génie. Le personnage ouvre une trappe pour s'endormir mais aussi comme pour entrer dans sa propre tombe car il sera l'une des victimes de cette vente de la Cerisaie, oublié dans la propriété.
Elle est face à Thibault Corrion qui campe un Lopakhine subtil, tiraillé par son désir de revanche de classe et son amour pour Lioubov.
On pourrait y voir un drame, comme l'envisageait Stanislavski, le premier metteur en scène de la pièce.
photo extraite de : https://fr.wikipedia.org/wiki/Constantin_Stanislavski
Tchekhov voulait en faire une comédie. "Un défi pour le metteur en scène d'aujourd'hui" que Gilles Bouillon semble avoir relevé. Il a fait appel au même nombre de comédiens qu'il y a de personnages pour créer un effet de foisonnement avec cette pléiade de comédiens qui envahissent la scène et donne une impression de légèreté et de rapidité. On évite les moments de pause trop longs qui étiraient la pièce dans la mise en scène de Stanislavski. On passe du rire au désespoir, comme pour évoquer l'âme russe qui nous fascinent tellement, nous les Occidentaux, a estimé Gilles Bouillon, mais aussi pour évoquer la vie tout simplement : "dans la vie, il n'y a pas d'effets ni de sujets bien tranchés; tout y est mêlé, le profond et le mesquin, le grand et le vil, le tragique et le ridicule", écrivait Tchekhov. La comédie est aussi associée à ces personnages de clowns, comme Yacha, Douniacha, Epikhodov, Charlotta, choisis pour amuser cette haute société qui s'ennuie et qui veut oublier ce qui se joue. Le choix de mise en scène au milieu de la pièce fait la part belle à cette fête endiablée magnifiquement éclairée où, dans de superbes costumes, on sabre le champagne, sort des cotillons, se livre à des spectacles de magie. La comédie, c'est aussi un éclairage de Pascal Di Mitto qui refuse la pénombre et préfère ce qui constituera pourtant les derniers feux. C'est d'ailleurs la dernière pièce de Tchekhov qu'il a mis 4 ans à écrire, lui qui pouvait rédiger un récit d'une traite. La maladie qu'il camoufle par une soi-disant "paresse" et "le temps superbe" mais aussi, "la difficulté du sujet" comme il l'écrit en 1903 à sa femme, Olga, en sont la cause. Il l'a fait représenter 3 mois avant sa mort. Elle sera un succès.Elle l'est encore aujourd'hui. Gilles Bouillon a noté pas moins de 6 mises en scène réalisées en ce moment en France, signe de la modernité de la pièce. On pense notamment à celles de Catherine Riboli avec la compagnie Nom'Na http://www.culturedordogne.fr/la-saison/spectacles-expos/item/1350-lost-in-tchekov.html, de Tg Stan http://www.colline.fr/fr/spectacle/la-cerisaie-0 ou de Christian Benedetti au théâtre du Soleil http://www.theatre-du-soleil.fr/thsol/dans-nos-nefs/article/la-cerisaie. Cette fin d'un monde, c'est probablement la fin du nôtre. La mondialisation nous plonge dans un changement de civilisation, de mutation totale. Il se souvient qu'il y a plusieurs années Le marchand de Venise avait suscité le même engouement chez les metteurs en scène. Gilles Bouillon a mis longtemps à s'attaquer à un texte de Tchekhov, estimant nécessaire une certaine maturité pour l'aborder : "il faut avoir bourlingué" dit-il. Car Tchekhov, c'est une analyse particulièrement riche et fine de l'âme humaine dans toute sa complexité, grâce à une économie de langage au service de l'efficacité dramatique.
Si la salle s'est montrée particulièrement attentive, y compris les scolaires, comme l'a noté admirative une spectatrice, elle aura vu, néanmoins, une scénographie somme toute assez classique, encore peu épurée, malgré les contraintes qu'engendre le fait de jouer régulièrement dans des théâtres différents lors de cette tournée, comme l'a rappelé le metteur en scène. Toutefois, peut-être, en partie, parce qu'"il n'y a pas de bons comédiens, sans de bons spectateurs" (B. Brecht), on aura admiré le travail des acteurs, notamment celui de Roger Jendly interprétant le vieux Firs, un remarquable comédien suisse qui joue aussi bien au théâtre, au cinéma qu'à la télévision. C'est lui qui conclut la pièce avec cette phrase : "la vie est passée, on dirait que je n'ai pas vécu (...) espèce de bon à rien!...". Ces derniers mots du théâtre de Tchekhov résonnent étrangement chez un auteur qui avait si peu conscience de son génie. Le personnage ouvre une trappe pour s'endormir mais aussi comme pour entrer dans sa propre tombe car il sera l'une des victimes de cette vente de la Cerisaie, oublié dans la propriété.
copyright : Guillame Perret
Il y a aussi Nine de Montal qui joue Lioubov, l'un des plus beaux rôle du répertoire, pour la première fois confiée à la femme de Tchekhov, Olga Knipper. Elle est égoïste mais digne, profonde, aristocratique, jamais larmoyante.Elle est face à Thibault Corrion qui campe un Lopakhine subtil, tiraillé par son désir de revanche de classe et son amour pour Lioubov.
photo extraite de : http://www.ecoledeslettres.fr/actualites/arts/theatre/la-cerisaie-de-tchekhov-revisitee-par-gilles-bouillon/
copyright : Guillaume Perret
Autour d'eux, chacun joue sa partition pour former une belle équipe unie, pourtant constituée de deux compagnies de nationalité différente, grâce une excellente direction d'acteurs.Texte et photos : Laura Sansot
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