Le 27 novembre, à
la Bourse du travail de Périgueux, le collectif 24 pour une paix
juste et durable entre Palestiniens et Israéliens invitait Akram
Belkaid pour une conférence intitulée "Comprendre".
Violette Folgado, présidente du Comité Dordogne Palestine a
présenté l'invité : un journaliste collaborateur des revues comme
le Monde Diplomatique, Géo, Afrique Magazine, le Quotidien d'Oran,
essayiste, spécialiste du monde arabe dans les questions
énergétiques et d'économie internationale. Elle a expliqué le
titre de la conférence choisi par le collectif d'associations, de
partis politiques, de syndicats : comprendre pourquoi la question
palestinienne n'est pas réglée au plan international, raisons qui
dépassent Israël et la Palestine mais concernent plus largement le
bassin proche oriental et moyen oriental.
L'intervenant était donc convié à présenter "les interconnexions entre tous les enjeux politiques, géostratégiques, économiques et maintenant de guerre qui font que ce conflit perdure avec comme bras armé, Israël. Le Proche Orient et le Moyen Orient sont le théâtre depuis une vingtaine d'années de conflits qui se nourrissent les uns des autres et dont la destruction des Etats fournit des braises vives qui entretiennent et développent tous les groupes terroristes. Dans le même temps, le Proche Orient est plongé dans la terreur quotidienne liée à l'occupation de la Palestine par Israël et à son cortège de manifestations (colonisation, apartheid, discriminations, meurtres, spoliations des ressources). Comprendre tous ces enjeux qui s'interconnectent dans tout le Proche Orient parait être un moyen de ne pas sombrer vers des sentiments et des comportements qui pourraient être irrationnels, racistes et autres" a-t-elle expliqué. Elle a poursuivi : "l'état de choc des attentats nous rend vulnérables et donc malléables. C'est une aubaine pour tous ceux qui rêvent que de démocratie affaiblie, d'union sacrée et de bruits de bottes. L'émotion risque de nous laisser enfermés dans cette régression et c'est pour résister qu'il faut d'abord comprendre. Comprendre pourquoi les puissances occidentales jouent à ne pas régler le conflit entre Israël et la Palestine".
Akram Belkaid a
alors pris la parole pour souligner l'importance de parler de la
Palestine en ce moment, de "ce peuple qui n'en finit pas
d'attendre d'avoir son pays, son Etat, sa dignité".
Or, la question
palestinienne passe régulièrement au second plan. Cela a été
le cas lorsque la 2è Intifada a commencé, occultée par les
attentats du 11 septembre mais aussi au début de la décennie
actuelle avec les printemps arabes. La Palestine est la grande
oubliée des débats, des opinions européennes et arabes car
l'attention concerne surtout ce que Malika Rahal, historienne
d'origine algérienne, appelle "la guerre mondiale arabe".
Ainsi, tous les pays
arabes ou presque sont concernés par un contexte latent de conflit
avec une centralité, non en Palestine, mais en Irak et en Syrie,
deux pays en voie d'implosion ou même qui ont déjà implosé sans
s'en rendre compte. Depuis l'intervention des Etats-Unis en Irak en
2003, ce pays a connu la désintégration et une partition avec une
organisation fédérale : la région du Nord contrôlée par les
Kurdes, un gouvernement central qui ne gouverne pas grand chose qui
a la main sur les provinces chiites notamment celles du Sud et une
zone grise, ce que certains appellent le Sunnistan, zones habitées
par les Sunnites, soit sous contrôle de l'Etat Islamique (EI) ou qui
sont gérées par des tribus ou des milices ayant un lien de
suggestion avec l'EI. En Syrie, existe une guerre entre le pouvoir de
Bachar-El-Assad et de multiples oppositions (islamistes, non
islamistes, armées dites djihaddistes, ethniques représentées pas
certaines factions kurdes) et une guerre contre les troupes de l'EI
qui ont, à la faveur du vide et de l'explosion de cet Etat,
entrepris de nombreuses conquêtes territoriales les conduisant à
une vingtaine de kilomètres de Damas. Elles sont dans une
confrontation ascendante avec les troupes gouvernementales. Ce qui
caractérise la Syrie, c'est aussi l'affrontement entre les
oppositions elles-mêmes qui ajoute une difficulté de lisibilité
sur ce qui se passe quotidiennement, sachant que beaucoup de milices
passent d'un front à l'autre, font allégeance à telle organisation
de manière ponctuelle. C'est une vraie guerre civile qui rappelle,
par certains côtés, ce qui s'est passé au Liban dans les années
1970-80. Toutefois, ce n'est pas qu'une simple guerre civile où les
Syriens auraient leur destin en main.
En effet, ce qui complique la situation est que nous sommes dans des guerres par procuration, dans une guerre froide arabe entre l'Arabie et ses satellites (les pays du Golfe) et un pays non arabe mais musulman, l'Iran. Tous les conflits en Irak, Syrie, Yémen sont liés à l'affrontement croissant et direct entre les monarchies du Golfe et l'Iran. L'autre facette de cette guerre par procuration est une détérioration des relations entre un pays non arabe mais musulman, la Turquie, avec une partie de ses voisins et notamment l'Iran.
En effet, ce qui complique la situation est que nous sommes dans des guerres par procuration, dans une guerre froide arabe entre l'Arabie et ses satellites (les pays du Golfe) et un pays non arabe mais musulman, l'Iran. Tous les conflits en Irak, Syrie, Yémen sont liés à l'affrontement croissant et direct entre les monarchies du Golfe et l'Iran. L'autre facette de cette guerre par procuration est une détérioration des relations entre un pays non arabe mais musulman, la Turquie, avec une partie de ses voisins et notamment l'Iran.
Tant que l'on
n'aura pas un accord définitif, une paix froide ou définitive entre
les monarchies du Golfe et l'Iran, on continuera à avoir des
affrontements indirects qui auront lieu en Irak puisque l'Iran
soutient le gouvernement central de Bagdad, l'aide dans sa lutte
contre l'EI alors que les monarchies du Golfe (même si elles disent
le contraire) continuent à voir le groupe EI comme étant un allié
potentiel aujourd'hui et demain dans la lutte qu'elle livre à
l'Iran.
Quant à la
Turquie, malgré ce que dit le président, elle a deux
urgences : la guerre perpétuelle contre les Kurdes et la
lutte d'influence contre les Iraniens. Cette tolérance envers l'EI
dont a fait preuve Ankara au cours de ces dernières années
s'explique par le fait que ce groupe est un outil militaire sunnite
qui permet de mettre à l'arrêt l'expansion des chiites qui font
allégeance à l'Iran.
Tout cela explique
cette incapacité à trouver le plus petit dénominateur commun qui
réunirait les puissances régionales pour lutter contre l'EI.
Celui-ci ne peut pas être défait de manière aérienne. On
peut certes le priver de finances précieuses en bombardant les
camions de pétrole qui vont des champs orientaux de Syrie vers la
Turquie mais cela ne suffira pas. L'action terrestre est
incontournable. Cependant, qui va mener cette offensive? Les pays
occidentaux ont bien dit qu'ils ne le feraient pas, dont le président
Obama qui laissera son successeur engager une intervention au sol
s'il le souhaite après son élection en novembre 2016. Tout le monde
espère que les pays de la région vont s'entendre et finalement
intervenir pour réduire l'EI. Beaucoup, notamment les Etats-Unis,
parient sur les Kurdes, même si la Turquie n'est pas prête
d'admettre d'avoir un 2è Kurdistan autonome après le Kurdistan
irakien. Voilà pourquoi, elle est peu encline à ce que l'EI soit
réellement affaiblie. De même, persuadées qu'elles ont été
abandonnées à leur sort par les Etats-Unis qui ont signé un accord
sur la question du nucléaire avec l'Iran, les monarchies du Golfe,
toutes sunnites, considèrent que le danger n°1 est l'Iran chiite,
maintenant que l'Irak a été affaibli.
La crainte est
l'expansionnisme d'un pays chiite comme l'Iran. Ainsi, au
Bahreïn, la révolte du peuple chiite en 2011 a subi l'intervention
brutale de l'Arabie Saoudite soutenue par les Emirats Arabes Unis. En
Arabie Saoudite, une partie de la population chiite est considérée
comme des sous-citoyens. Les rares attentats de l'EI revendiqués en
Arabie Saoudite ont eu des victimes chiites saoudiennes. Au Yémen,
l'Arabie Saoudite s'est engagée militairement surtout contre les
milices houthistes qui relèvent d'un courant religieux apparenté au
chiisme. On ne la voit absolument pas intervenir aujourd'hui contre
l'EI même si officiellement elle ferait partie de la coalition.
Quant à la Turquie,
son attitude a radicalement changé : alors qu'il y a 5-6
ans, sa doctrine officielle était "zéro problème avec les
voisins", elle a désormais un engagement direct contre les
Kurdes et la volonté de faire tomber à tout prix le régime de
Bachar El Assad. C'est d'ailleurs l'un des liens d'entente entre la
Turquie et l'Arabie Saoudite car celui-ci est vu, à juste titre,
comme l'un des relais de l'influence iranienne au Proche-Orient.
Il y a un 3è
affrontement dont on ne parle pas assez et qui est fondamental car il
est en train de se cristalliser autour de la question du
Proche-Orient : c'est un nouvel affrontement entre les
Etats-Unis et la Russie. Du fait de la question ukrainienne où
les Etats-Unis ont décidé d'adopter une position très dure à
l'encontre de la Russie, la situation se complique. En effet, la
Russie, dont on pensait qu'elle était complètement hors-jeu du
Proche-Orient il y a encore 5-6 ans (la dernière initiative des
Russes dans la région avait été de convaincre Saddam Hussein de se
retirer très vite du Koweit envahi à l'été 1990), bombarde les
opposants de Bachar El Assad, certains opposants dits modérés que
l'EI. Là encore, s'il y a un point qui unit les grands, c'est la
question palestinienne puisque Moscou a bien signifié au
gouvernement israélien que son intervention aux côtés des troupes
de Bachar El Assad ne signifiait en aucun cas une implication de la
Russie dans la question israélo-palestinienne et veillerait à
séparer les deux dossiers de façon assez hermétique.
Tel est le contexte
de ce Proche Orient qui n'en finit pas de s'embraser. On ne voit pas
comment on n'ira pas vers davantage d'affrontements militaires et
plus de souffrance des populations civiles. La conséquence est que
Israël veut vendre l'idée d'un bastion de stabilité par rapport
au reste du monde arabe. Le
gouvernement exploite à merveille chaque péripétie de l'actualité
moyen-orientale pour essayer de renforcer son image d'allié n°1 du
monde occidental. Le drame du 13 novembre a été immédiatement
récupéré par certains officiels israéliens mais aussi par les
relais de la propagande israélienne en France et aux Etats-Unis
(voilà ce que vous vivez, voilà ce que nous vivons). C'est une
manière de discréditer de manière opportune le combat des
Palestiniens. Cela intervient dans un contexte où l'on a du
mal à comprendre où va aller ce que certains ont qualifié de 3è
Intifada, mouvement pas encadré politiquement qui
inquiète beaucoup car on ne sait pas où il peut aller et où
peuvent aller les mesures de rétorsion. Les forces israéliennes ont
un permis de tuer évident. On en est à une centaine de victimes. Ce
que disent les spécialistes sur place est que les tensions sont
telles qu'une explosion est possible dans un contexte où tout le
monde regarde ailleurs (Syrie et Irak). On sent que l'Autorité
Palestinienne (AP) est bien dépassée par rapport à cette question
là, on sait que les accords d'Oslo sont morts et enterrés, que la
dynamique d'il y a 22 ans a été enterrée avec l'assassinat de
Rabin.
Aujourd'hui, ce qui
frappe, c'est l'absence d'initiative diplomatique. Les
Israéliens se sentent en position de force et n'ont pas envie que
les pourparlers aboutissent, ils peuvent concéder une reprise des
contacts mais la colonisation continue dans les territoires. Le
gouvernement Netanyahu, fort d'une popularité assez importante,
n'est pas enclin à faire la moindre concession, d'autant que le seul
qui pourrait influer sur Israël, ce sont les Etats-Unis qui vont
entrer en campagne électorale, peu propice pour impulser la paix.
Les Palestiniens savent donc qu'ils entrent dans une période
d'incertitude où ils devront être encore plus solidaires entre eux,
plus engagés dans la résistance. Les opinions arabes sont plus
attentives à ce qu'il leur apparaît comme un démembrement
progressif des Etats de la chute de l'Empire Ottoman avec une menace
islamiste, djihadisme de plus en plus avérée dans de nombreux pays
comme la Syrie, Irak, Lybie, Tunisie. L'initiative diplomatique ne
viendra pas des pays arabes qui ont d'autres priorités comme
l'Arabie Saoudite (qui s'était illustrée il y a plus de 10 ans dans
l'échange de la paix contre des terres). Celle-ci est engagée dans
une guerre contre le Yémen, elle a peur de l'Iran et considère
Israël comme un allié objectif dans sa lutte contre ce pays. Le
seul pays qui pourrait peser diplomatiquement pour que le dossier
palestinien soit abordé, c'est l'Egypte mais celle-ci est dans une
dérive autoritariste qui fait que le général-maréchal-président
Sissi a trop besoin de l'indulgence des Occidentaux et notamment des
Etats-Unis pour pouvoir prétendre être le parrain d'une relance des
négociations de paix. De plus, les relations entre lui et le
gouvernement israélien sont assez bonnes.
Après cet exposé,
le public était invité à poser des questions. A été abordé le
sujet de l'AP qui a toujours condamné toutes les atrocités
de l'EI, a toujours refusé de prendre parti dans le conflit entre
l'Iran et l'Arabie Saoudite, au grand dam de cette dernière. On a
souvent décrit l'affrontement dans le monde arabe entre les
chiites et les sunnites. Or, la population palestinienne
d'obédience sunnite a beaucoup de sympathie pour le Hezbollah qui
lui est chiite, pro-iranien et pro-Bachar El Assad. De même,
l'évaluation de la situation est politique et non confessionnelle
(contrairement à l'Arabie Saoudite) dans les pays du Maghreb où 95%
des musulmans sont sunnites. Même l'Iran n'est pas vu comme étant
le Grand Satan, ce qui désespère les monarchies du Golfe qui
investissent beaucoup dans la propagande, notamment via les
télévisions satellites pour convaincre le reste du monde de s'unir
à elle contre l'Iran.
Quant au rôle de
la France dans les négociations, il suscite des interrogations.
En effet, alors que longtemps la France a joué un rôle
d'intermédiaire entre les forces en présence, depuis qu'elle a
adopté une position de neutralité pendant les bombardements de
Gaza, depuis qu'elle hésite à faire entrer la Palestine à
l'Unesco, à l'ONU, il est difficile de savoir si elle va le
retrouver. Il faudrait qu'elle ait un vrai engagement diplomatique.
Ceci dit, la France reste pour l'AP un allié potentiel à ménager.
Ce que cherche Paris, c'est surtout trouver le plus petit
dénominateur commun entre tous les acteurs du conflit
syro-israélien. Aujourd'hui, dans une opinion française aussi
traumatisée par ce qui s'est passé, cela va être difficile. Il est
déjà important de réagir à cette propagande tendancieuse qui
consiste à dire que Daech et les Palestiniens, c'est la même chose.
Au sujet d'une
solution à la question palestinienne, le journaliste a
rappelé qu'il existe un débat entre ceux qui continuent de croire
que 2 Etats sont possibles et ceux qui pensent qu'un Etat bi-national
est la solution. Toutefois, il ne peut pas trancher cette question.
Ce qui l'interpelle est que l'on sait ce que veulent les Palestiniens
(un Etat, une dignité, la possibilité de vivre comme tout le
monde), beaucoup moins ce que veulent les Israéliens : veulent-ils
le statu quo, pensent-ils qu'il peut durer éternellement,
projettent-ils que la situation se dégrade à chaque fois et
débouche sur une nouvelle Nakba qui obligera les Palestiniens à
aller ailleurs ? Les dirigeants israéliens pensent peut-être
être capables de perpétuer la situation d'apartheid et gagner à
terme. C'est peut-être ce que les Palestiniens ont intériorisé :
ce sera une résistance à la longue. C'est mortifère. Ce que
veulent les Israéliens, c'est la poursuite de la colonisation, qui
est un pas de plus vers la solution à deux Etats mais où la
Palestine serait un archipel constitué de bantoustans. Les
Israéliens disent qu'ils veulent la paix mais, comme l'on dit en
anglais, "no justice, no peace" : tant que le peuple
palestinien n'aura pas de justice, il continuera à exprimer d'une
manière ou d'une autre sa résistance.
Pour répondre à
une question sur l'EI, Akram Belkaid a fait un retour sur son
origine : lorsque les Américains envahissent l'Irak en 2003,
l'une des premières décisions du pro-consul mis sur place par les
Etats-Unis a été de dissoudre le parti de Saddam Hussein et
d'organiser le transfert de pouvoir entre la minorité sunnite qui a
toujours dirigé l'Irak et les chiites. Les milices chiites se
comportent de telle manière à créer des nettoyages ethniques, y
compris à Bagdad et des membres du parti de S. Hussein rejoignent Al
Qaida. Puis, il y a une scission. Dès le départ, c'est un groupe
qui est créé non pas pour affronter les Occidentaux (car tôt ou
tard les Américains allaient partir) mais pour affronter la majorité
chiite. D'ailleurs, les pires attentats qu'a commis l'EI à ses
débuts n'étaient pas dirigés contre les Occidentaux mais contre
les chiites. Aujourd'hui, il y a un vrai paradoxe : il veut
créer un Etat avec des frontières, se considère comme étant le
califat (celui qui succède au Prophète) et en même temps par son
action, se met à dos l'Occident, comme en envoyant des commandos
suicides en France. C'est incompréhensible tactiquement. Il cherche
l'affrontement au lieu de se constituer en entité avec laquelle les
Occidentaux pourraient négocier. On ne sait pas trop comment ce
groupe fonctionne mais on sait qu'il y a une aile militaire composée
d'anciens soldats de S. Hussein et une aile religieuse. On ne sait
pas si une faction a pris l'ascendant sur l'autre. L'objectif
primaire, c'est de créer un sunnistan, c'est à dire une zone
géographique où les sunnites irakiens et syriens ne seraient pas
sous la domination des chiites. Ce qui s'est passé à Paris est une
réaction à une intervention militaire sur place mais aussi un des
effets d'un Etat qui a déclaré la guerre à une bonne partie de la
planète. Ce qui va être intéressant est de voir quand le groupe EI
va considérer comme son ennemi l'Arabie Saoudite détentrice des
lieux saints que peut revendiquer un Etat se proclamant comme étant
le califat. Un seul pays l'a fait, l'Iran et l'on en connaît les
conséquences en termes de guerres locales. Au temps des débuts de
l'Arabie Saoudite moderne, le roi Saoud, dans sa conquête de la
péninsule arabique, employait certaines méthodes de Daech : il
massacrait les tribus qui n'étaient pas avec lui et qu'il
considérait, de ce fait, comme étant contre lui et s'était lancé
dans une politique d'expansion.
image extraite de : http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/proche-orient-divers-et-militaire
Un auditeur a
exprimé son inquiétude sur un risque de guerre mondiale dans
la mesure où les zones de tension deviennent très fortes. Il a
évoqué les intérêts financiers de la France dans l'armement de
ces zones. Alors que la guerre en Irak devait apporter la paix, la
démocratie, le progrès social, elle ne l'a pas permis. En revanche,
on a démembré les pays de la bande sahélienne, la Libye, peut-être
est-ce aussi le cas de la Syrie ? Quant à la Palestine, sa
société est marquée par la désespérance et est en voie de
déstructuration. Il a défendu des initiatives citoyennes
pour comprendre et pour agir mais aussi développer des logiques
de paix en permettant que l'ONU revienne sur le devant de la
scène internationale. En 2003, les positions de Chirac, Villepin ont
été fortes et structurantes. Un autre membre du public s'est
demandé si Daech était si peu désintéressé par l'argent. Un
autre encore a remercié l'intervenant d'avoir parlé d'Etat
bi-national dont la question méritait d'être posée. Puis, il
s'est demandé si la coexistence entre Israéliens et Palestiniens
était vraiment impossible et par ailleurs, il a souhaité une
explication à l'acharnement de Fabius à en finir avec Bachar El
Assad qui n'est pas un arabe. Qui sont les Alaouites et pourquoi
veut-on les chasser du pouvoir alors que ce sera un bain de sang si
cela se produit?
Akram Belkaid a
expliqué qu'officiellement, ce qui guidait le groupe EI était
la foi mais suite à l'abandon de Mossoul par l'armée irakienne,
bien que supérieure en nombre et en matériel, il a fait main
basse sur ce qu'il y avait dans la banque centrale de cette ville et sur beaucoup d'armement américain, une des raisons de la
puissance militaire du groupe EI. S'il y a beaucoup de trafic, de
contrebande, l'organisation assez homogène n'est pas minée de
l'intérieur par la corruption ni par des rivalités internes ni par
des questions matérielles. En outre, elle est en train de créer
un attribut de souveraineté : la monnaie, élément important
en termes de propagande, qui va concurrencer le dollar, monnaie de
référence depuis 20-30 ans, dans cette zone.
Quant à la
cohabitation entre Palestiniens et israéliens, elle est
possible si on prend l'exemple de l'Afrique du Sud : à la
faveur de personnalités exemplaires, au terme d'un processus de
négociation, on peut arriver à des consensus. La place des Arabes
Israéliens montre bien que l'on peut arriver à trouver un terrain
d'entente a minima. Toutefois, on aurait peut-être dû écouter
Edward Saïd opposé aux accords d'Oslo, à l'idée de deux Etats.
Pour lui, la question palestinienne était l'occasion de forger de
nouveaux outils juridiques, législatifs et de sortir de l'idée de
l'Etat-Nation. Or, du côté palestinien, les forces politiques
croient encore à un Etat (négocier la paix contre des terres) mais
côté israélien, il n'est pas question d'imaginer cela.
Concernant le
califat, il est une revendication des islamistes, des
salafistes. Tous les courants religieux qui ont instrumentalisés
l'Islam en tant que politique, y ont eu recours, comme le GIA
algérien dans les années 90. Quand Daech crée le califat, il
s'adresse d'abord à sa clientèle salafiste nourrie par le
wahhabisme, doctrine d'Arabie Saoudite qui a pris le pas sur toutes
les autres doctrines musulmanes au cours des dernières décennies.
Cependant, une centaine de clercs et d'oulémas égyptiens ont publié
une lettre pour dénier le droit à créer un califat sur le plan
théologique et religieux.
Depuis quelques
années et notamment depuis 2012, la France sort du rôle
habituel de "go between" (facilitateur, négociateur, pays
appelant à la raison) et s'oriente vers un rôle de plus en plus
actif, dynamique dans cette guerre froide. Elle a clairement pris
parti pour les monarchies du Golfe, dans l'affrontement
avec l'Iran, et accessoirement pour Israël. Elle a tout fait pour
ralentir l'accord négocié entre les Etats-Unis et l'Iran. Ainsi, la
position vis-à-vis de Bachar el Assad, doit être lue dans
l'opposition de la France vis-à-vis d'une normalisation des
relations avec l'Iran car Bachar El Assad est le client de l'Iran. Ce
dernier est indéfendable, il mérite d'être jugé pour ses crimes.
Il est à l'origine du renforcement de l'EI car quand il a eu affaire
à une contestation syrienne, démocratique, civile, il s'est dépêché
d'ouvrir les portes de ses prisons dont les membres les plus
dangereux (et il le savait) ont rejoint les groupes djihaddistes :
il avait besoin de créer un front contre l'islamisme radical pour se
poser en dernier rempart de la civilisation, d'un monde opposé à
l'islamisme. La position de la France a été interprétée, dans le
monde arabe, comme le fait qu'elle était devenu un pays
néo-conservateur ayant une position opportuniste et matérialiste :
dans un contexte où l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, à
un degré moindre, le Qatar, étaient vent debout contre les
Américains, Obama les ayant trahi en signant un accord avec l'Iran,
la France en prenant parti contre l'Iran, a pu obtenir quelques
contrats. Or, l'Arabie Saoudite, est en train de bombarder l'un des
pays les plus pauvres de la planète, le Yémen, qui importe 80% de
ses besoins alimentaires et qui est soumis à un embargo et à un
blocus maritime. Les officiels des pays occidentaux ont tendance à
dédouaner ces monarchies ayant des attitudes rétrogrades, suite au
déclin de la pensée progressiste, incarnée en partie par les
partis communistes arabes très puissants dans les années 1950-60.
Une pensée radicale, religieuse a émergé, diffusée dans les
madrasa financées par des subsides saoudiens. Aujourd'hui, on
paie cela alors qu'il aurait fallu que la France continuât à avoir
une position d'équilibre défendue par Villepin. Quand la France a
décidé d'intervenir en Syrie militairement et d'avoir cette
position du ni-ni, il a déclaré que la France n'était pas les
Etats-Unis et n'avait pas la capacité à se protéger comme eux. J.C
Rufin, ancien ambassadeur et écrivain, a dit exactement la même
chose : le rôle de la France, ce n'est pas d'être une puissance
agissante. Toutefois, l'acte de guerre qui a été commis sur le
territoire français implique de réfléchir à ce que l'on fait face
au groupe EI qui a appuyé sur un levier endogène à la société
française : la non-intégration d'une partie de la jeunesse
française, un tabou total (sauf pour Macron, seule personne dans le
gouvernement à en avoir parlé). On fait comme si c'était une
attaque frontale exogène à 100%. Or, elle a été rendue
possible car on a dans cette société, y compris dans la société
belge, des béances qui s'avèrent être des points de vulnérabilité.
C'est venu de l'EI, cela aurait pu venir d'ailleurs.
Un auditeur s'est
demandé si la démographie palestinienne ne jouait pas contre
l'Etat israélien. En effet, les projections le montrent, a soutenu
le journaliste, et l'absence de vision à long terme n'en est que
plus étonnante. Toutefois, Israël compense par l'émigration.
Comment un Israélien peut-il penser que c'est une situation durable,
sauf à penser que l'hypothèse d'une nouvelle Nakba est possible?
C'est le non-dit dans la classe politique israélienne. Qui
aujourd'hui défendrait les Palestiniens si un gouvernement encore
plus réactionnaire que celui qui existe en Israël décidait de les
expulser?
Suite à une
question sur la véritable autorité de l'AP, Akram Belkaid a
expliqué que déjà elle-même ne se considérait plus comme
détentrice de son autorité puisque les accords d'Oslo étaient
morts. Beaucoup de jeunes palestiniens la voient comme une instance
de collaboration avec l'occupant. Elle est en phase de
faiblesse, critiquée en interne pour son incapacité à trouver un
accord définitif avec le Hamas. Beaucoup de Palestiniens disent que
ce n'est pas le moment d'affaiblir l'AP car il est préférable
d'avoir une instance visible notamment hors des frontières.
Cependant, les tiraillements sont nombreux sur lesquels joue le
gouvernement israélien : il sait très bien que l'AP ne peut
pas aller à l'épreuve de force parce qu'elle a besoin de continuer
à exister pour d'hypothétiques négociations.
Quant à la possible
intervention de Sadate dans le conflit israélo-palestinien,
l'intervenant n'a pas pu répondre mais a cité une biographie de
Boutros-Boutros Ghali, ministre des Affaires Etrangères de cet homme d'Etat,
qui, à chaque fois, a fait partie de l'équipe de négociation. Il
raconte que Sadate, même s'il a tenté d'incorporer la question
palestinienne dans les négociations, a vite compris la difficulté.
De plus, il avait un agenda national avec pour priorité la
restitution du Sinaï. C'est davantage la mort de Rabin qui a
marqué un tournant, quoique l'on pense du rôle terrible de ce
personnage pendant la 1ère Intifada. Son assassinat a signé le glas
de accords d'Oslo et la société israélienne a basculé avec les
attentats.
Suite à une
question sur les Kurdes, l'intervenant a expliqué que ceux-ci
voulaient libérer leur propre territoire mais ne revendiquaient pas
le gouvernement de la Syrie. A Racca, à l'Est de la Syrie, où est
établi l'EI, les habitants (arabes) veulent se libérer de ce groupe
mais ne pas être sous la tutelle des Kurdes. Visiblement, les
Américains souhaitent monter une coalition au sol dans laquelle entreraient, entre autres, des tribus
arabes qui, pour le moment, se sont tenus à l'écart des conflits,
des forces d'opposition "dites modérées" dont certaines
ont plus ou moins fréquenté Al-Qaida afin qu'il n'y ait
plus un label kurde sur cette question. Or, aucune des forces n'est pour le moment encline à vouloir se battre contre l'EI
qui compte 30 à 40 000 combattants. Sur le terrain, ceux qui ont le
plus enregistré de succès militaire contre l'EI, ce sont les
Kurdes. Cela crée des problèmes avec les Turcs puisque l'une des
obsessions d'Ankara est qu'il n'y ait pas de jonction entre le
Kurdistan irakien et un Kurdistan syrien qui signifierait de nouveaux
sanctuaires pour les combattants du PKK en Turquie.
Art Péri' Cité n'a pu assister à la fin de la conférence (constituée d'autres questions-réponses) qui n'a pas non plus été enregistrée. Nous en sommes désolés.
Akram Belkaid est l'auteur d'un blog dont voici le lien : http://akram-belkaid.blogspot.fr/
Texte et photos : Laura Sansot
Art Péri' Cité n'a pu assister à la fin de la conférence (constituée d'autres questions-réponses) qui n'a pas non plus été enregistrée. Nous en sommes désolés.
Akram Belkaid est l'auteur d'un blog dont voici le lien : http://akram-belkaid.blogspot.fr/
Texte et photos : Laura Sansot
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