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07/01/2016

CONFERENCE D'AKRAM BELKAID

Le 27 novembre, à la Bourse du travail de Périgueux, le collectif 24 pour une paix juste et durable entre Palestiniens et Israéliens invitait Akram Belkaid pour une conférence intitulée "Comprendre". Violette Folgado, présidente du Comité Dordogne Palestine a présenté l'invité : un journaliste collaborateur des revues comme le Monde Diplomatique, Géo, Afrique Magazine, le Quotidien d'Oran, essayiste, spécialiste du monde arabe dans les questions énergétiques et d'économie internationale. Elle a expliqué le titre de la conférence choisi par le collectif d'associations, de partis politiques, de syndicats : comprendre pourquoi la question palestinienne n'est pas réglée au plan international, raisons qui dépassent Israël et la Palestine mais concernent plus largement le bassin proche oriental et moyen oriental.
 

L'intervenant était donc convié à présenter "les interconnexions entre tous les enjeux politiques, géostratégiques, économiques et maintenant de guerre qui font que ce conflit perdure avec comme bras armé, Israël. Le Proche Orient et le Moyen Orient sont le théâtre depuis une vingtaine d'années de conflits qui se nourrissent les uns des autres et dont  la destruction des Etats fournit des braises vives qui entretiennent et développent tous les groupes terroristes. Dans le même temps, le Proche Orient est plongé dans la terreur quotidienne liée à l'occupation de la Palestine par Israël et à son cortège de manifestations (colonisation, apartheid, discriminations, meurtres, spoliations des ressources). Comprendre tous ces enjeux qui s'interconnectent dans tout le Proche Orient parait être un moyen de ne pas sombrer vers des sentiments et des comportements qui pourraient être irrationnels, racistes et autres" a-t-elle expliqué. Elle a poursuivi : "l'état de choc des attentats nous rend vulnérables et donc malléables. C'est une aubaine pour tous ceux qui rêvent que de démocratie affaiblie, d'union sacrée et de bruits de bottes. L'émotion risque de nous laisser enfermés dans cette régression et c'est pour résister qu'il faut d'abord comprendre. Comprendre pourquoi les puissances occidentales jouent à ne pas régler le conflit entre Israël et la Palestine".
Akram Belkaid a alors pris la parole pour souligner l'importance de parler de la Palestine en ce moment, de "ce peuple qui n'en finit pas d'attendre d'avoir son pays, son Etat, sa dignité". 
Or, la question palestinienne passe régulièrement au second plan. Cela a été le cas lorsque la 2è Intifada a commencé, occultée par les attentats du 11 septembre mais aussi au début de la décennie actuelle avec les printemps arabes. La Palestine est la grande oubliée des débats, des opinions européennes et arabes car l'attention concerne surtout ce que Malika Rahal, historienne d'origine algérienne, appelle "la guerre mondiale arabe".
Ainsi, tous les pays arabes ou presque sont concernés par un contexte latent de conflit avec une centralité, non en Palestine, mais en Irak et en Syrie, deux pays en voie d'implosion ou même qui ont déjà implosé sans s'en rendre compte. Depuis l'intervention des Etats-Unis en Irak en 2003, ce pays a connu la désintégration et une partition avec une organisation fédérale : la région du Nord contrôlée par les Kurdes, un gouvernement central qui ne gouverne pas grand chose qui a la main sur les provinces chiites notamment celles du Sud et une zone grise, ce que certains appellent le Sunnistan, zones habitées par les Sunnites, soit sous contrôle de l'Etat Islamique (EI) ou qui sont gérées par des tribus ou des milices ayant un lien de suggestion avec l'EI. En Syrie, existe une guerre entre le pouvoir de Bachar-El-Assad et de multiples oppositions (islamistes, non islamistes, armées dites djihaddistes, ethniques représentées pas certaines factions kurdes) et une guerre contre les troupes de l'EI qui ont, à la faveur du vide et de l'explosion de cet Etat, entrepris de nombreuses conquêtes territoriales les conduisant à une vingtaine de kilomètres de Damas. Elles sont dans une confrontation ascendante avec les troupes gouvernementales. Ce qui caractérise la Syrie, c'est aussi l'affrontement entre les oppositions elles-mêmes qui ajoute une difficulté de lisibilité sur ce qui se passe quotidiennement, sachant que beaucoup de milices passent d'un front à l'autre, font allégeance à telle organisation de manière ponctuelle. C'est une vraie guerre civile qui rappelle, par certains côtés, ce qui s'est passé au Liban dans les années 1970-80. Toutefois, ce n'est pas qu'une simple guerre civile où les Syriens auraient leur destin en main.
En effet, ce qui complique la situation est que nous sommes dans des guerres par procuration, dans une guerre froide arabe entre l'Arabie et ses satellites (les pays du Golfe) et un pays non arabe mais musulman, l'Iran. Tous les conflits en Irak, Syrie, Yémen sont liés à l'affrontement croissant et direct entre les monarchies du Golfe et l'Iran. L'autre facette de cette guerre par procuration est une détérioration des relations entre un pays non arabe mais musulman, la Turquie, avec une partie de ses voisins et notamment l'Iran.
Tant que l'on n'aura pas un accord définitif, une paix froide ou définitive entre les monarchies du Golfe et l'Iran, on continuera à avoir des affrontements indirects qui auront lieu en Irak puisque l'Iran soutient le gouvernement central de Bagdad, l'aide dans sa lutte contre l'EI alors que les monarchies du Golfe (même si elles disent le contraire) continuent à voir le groupe EI comme étant un allié potentiel aujourd'hui et demain dans la lutte qu'elle livre à l'Iran.
Quant à la Turquie, malgré ce que dit le président, elle a deux urgences : la guerre perpétuelle contre les Kurdes et la lutte d'influence contre les Iraniens. Cette tolérance envers l'EI dont a fait preuve Ankara au cours de ces dernières années s'explique par le fait que ce groupe est un outil militaire sunnite qui permet de mettre à l'arrêt l'expansion des chiites qui font allégeance à l'Iran.
Tout cela explique cette incapacité à trouver le plus petit dénominateur commun qui réunirait les puissances régionales pour lutter contre l'EI. Celui-ci ne peut pas être défait de manière aérienne. On peut certes le priver de finances précieuses en bombardant les camions de pétrole qui vont des champs orientaux de Syrie vers la Turquie mais cela ne suffira pas. L'action terrestre est incontournable. Cependant, qui va mener cette offensive? Les pays occidentaux ont bien dit qu'ils ne le feraient pas, dont le président Obama qui laissera son successeur engager une intervention au sol s'il le souhaite après son élection en novembre 2016. Tout le monde espère que les pays de la région vont s'entendre et finalement intervenir pour réduire l'EI. Beaucoup, notamment les Etats-Unis, parient sur les Kurdes, même si la Turquie n'est pas prête d'admettre d'avoir un 2è Kurdistan autonome après le Kurdistan irakien. Voilà pourquoi, elle est peu encline à ce que l'EI soit réellement affaiblie. De même, persuadées qu'elles ont été abandonnées à leur sort par les Etats-Unis qui ont signé un accord sur la question du nucléaire avec l'Iran, les monarchies du Golfe, toutes sunnites, considèrent que le danger n°1 est l'Iran chiite, maintenant que l'Irak a été affaibli.
La crainte est l'expansionnisme d'un pays chiite comme l'Iran. Ainsi, au Bahreïn, la révolte du peuple chiite en 2011 a subi l'intervention brutale de l'Arabie Saoudite soutenue par les Emirats Arabes Unis. En Arabie Saoudite, une partie de la population chiite est considérée comme des sous-citoyens. Les rares attentats de l'EI revendiqués en Arabie Saoudite ont eu des victimes chiites saoudiennes. Au Yémen, l'Arabie Saoudite s'est engagée militairement surtout contre les milices houthistes qui relèvent d'un courant religieux apparenté au chiisme. On ne la voit absolument pas intervenir aujourd'hui contre l'EI même si officiellement elle ferait partie de la coalition.
Quant à la Turquie, son attitude a radicalement changé : alors qu'il y a 5-6 ans, sa doctrine officielle était "zéro problème avec les voisins", elle a désormais un engagement direct contre les Kurdes et la volonté de faire tomber à tout prix le régime de Bachar El Assad. C'est d'ailleurs l'un des liens d'entente entre la Turquie et l'Arabie Saoudite car celui-ci est vu, à juste titre, comme l'un des relais de l'influence iranienne au Proche-Orient.
Il y a un 3è affrontement dont on ne parle pas assez et qui est fondamental car il est en train de se cristalliser autour de la question du Proche-Orient : c'est un nouvel affrontement entre les Etats-Unis et la Russie. Du fait de la question ukrainienne où les Etats-Unis ont décidé d'adopter une position très dure à l'encontre de la Russie, la situation se complique. En effet, la Russie, dont on pensait qu'elle était complètement hors-jeu du Proche-Orient il y a encore 5-6 ans (la dernière initiative des Russes dans la région avait été de convaincre Saddam Hussein de se retirer très vite du Koweit envahi à l'été 1990), bombarde les opposants de Bachar El Assad, certains opposants dits modérés que l'EI. Là encore, s'il y a un point qui unit les grands, c'est la question palestinienne puisque Moscou a bien signifié au gouvernement israélien que son intervention aux côtés des troupes de Bachar El Assad ne signifiait en aucun cas une implication de la Russie dans la question israélo-palestinienne et veillerait à séparer les deux dossiers de façon assez hermétique.
Tel est le contexte de ce Proche Orient qui n'en finit pas de s'embraser. On ne voit pas comment on n'ira pas vers davantage d'affrontements militaires et plus de souffrance des populations civiles. La conséquence est que Israël veut vendre l'idée d'un bastion de stabilité par rapport au reste du monde arabe. Le gouvernement exploite à merveille chaque péripétie de l'actualité moyen-orientale pour essayer de renforcer son image d'allié n°1 du monde occidental. Le drame du 13 novembre a été immédiatement récupéré par certains officiels israéliens mais aussi par les relais de la propagande israélienne en France et aux Etats-Unis (voilà ce que vous vivez, voilà ce que nous vivons). C'est une manière de discréditer de manière opportune le combat des Palestiniens. Cela intervient dans un contexte où l'on a du mal à comprendre où va aller ce que certains ont qualifié de 3è Intifada, mouvement pas encadré politiquement qui inquiète beaucoup car on ne sait pas où il peut aller et où peuvent aller les mesures de rétorsion. Les forces israéliennes ont un permis de tuer évident. On en est à une centaine de victimes. Ce que disent les spécialistes sur place est que les tensions sont telles qu'une explosion est possible dans un contexte où tout le monde regarde ailleurs (Syrie et Irak). On sent que l'Autorité Palestinienne (AP) est bien dépassée par rapport à cette question là, on sait que les accords d'Oslo sont morts et enterrés, que la dynamique d'il y a 22 ans a été enterrée avec l'assassinat de Rabin.
Aujourd'hui, ce qui frappe, c'est l'absence d'initiative diplomatique. Les Israéliens se sentent en position de force et n'ont pas envie que les pourparlers aboutissent, ils peuvent concéder une reprise des contacts mais la colonisation continue dans les territoires. Le gouvernement Netanyahu, fort d'une popularité assez importante, n'est pas enclin à faire la moindre concession, d'autant que le seul qui pourrait influer sur Israël, ce sont les Etats-Unis qui vont entrer en campagne électorale, peu propice pour impulser la paix. Les Palestiniens savent donc qu'ils entrent dans une période d'incertitude où ils devront être encore plus solidaires entre eux, plus engagés dans la résistance. Les opinions arabes sont plus attentives à ce qu'il leur apparaît comme un démembrement progressif des Etats de la chute de l'Empire Ottoman avec une menace islamiste, djihadisme de plus en plus avérée dans de nombreux pays comme la Syrie, Irak, Lybie, Tunisie. L'initiative diplomatique ne viendra pas des pays arabes qui ont d'autres priorités comme l'Arabie Saoudite (qui s'était illustrée il y a plus de 10 ans dans l'échange de la paix contre des terres). Celle-ci est engagée dans une guerre contre le Yémen, elle a peur de l'Iran et considère Israël comme un allié objectif dans sa lutte contre ce pays. Le seul pays qui pourrait peser diplomatiquement pour que le dossier palestinien soit abordé, c'est l'Egypte mais celle-ci est dans une dérive autoritariste qui fait que le général-maréchal-président Sissi a trop besoin de l'indulgence des Occidentaux et notamment des Etats-Unis pour pouvoir prétendre être le parrain d'une relance des négociations de paix. De plus, les relations entre lui et le gouvernement israélien sont assez bonnes.
Après cet exposé, le public était invité à poser des questions. A été abordé le sujet de l'AP qui a toujours condamné toutes les atrocités de l'EI, a toujours refusé de prendre parti dans le conflit entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, au grand dam de cette dernière. On a souvent décrit l'affrontement dans le monde arabe entre les chiites et les sunnites. Or, la population palestinienne d'obédience sunnite a beaucoup de sympathie pour le Hezbollah qui lui est chiite, pro-iranien et pro-Bachar El Assad. De même, l'évaluation de la situation est politique et non confessionnelle (contrairement à l'Arabie Saoudite) dans les pays du Maghreb où 95% des musulmans sont sunnites. Même l'Iran n'est pas vu comme étant le Grand Satan, ce qui désespère les monarchies du Golfe qui investissent beaucoup dans la propagande, notamment via les télévisions satellites pour convaincre le reste du monde de s'unir à elle contre l'Iran.
Quant au rôle de la France dans les négociations, il suscite des interrogations. En effet, alors que longtemps la France a joué un rôle d'intermédiaire entre les forces en présence, depuis qu'elle a adopté une position de neutralité pendant les bombardements de Gaza, depuis qu'elle hésite à faire entrer la Palestine à l'Unesco, à l'ONU, il est difficile de savoir si elle va le retrouver. Il faudrait qu'elle ait un vrai engagement diplomatique. Ceci dit, la France reste pour l'AP un allié potentiel à ménager. Ce que cherche Paris, c'est surtout trouver le plus petit dénominateur commun entre tous les acteurs du conflit syro-israélien. Aujourd'hui, dans une opinion française aussi traumatisée par ce qui s'est passé, cela va être difficile. Il est déjà important de réagir à cette propagande tendancieuse qui consiste à dire que Daech et les Palestiniens, c'est la même chose.
Au sujet d'une solution à la question palestinienne, le journaliste a rappelé qu'il existe un débat entre ceux qui continuent de croire que 2 Etats sont possibles et ceux qui pensent qu'un Etat bi-national est la solution. Toutefois, il ne peut pas trancher cette question. Ce qui l'interpelle est que l'on sait ce que veulent les Palestiniens (un Etat, une dignité, la possibilité de vivre comme tout le monde), beaucoup moins ce que veulent les Israéliens : veulent-ils le statu quo, pensent-ils qu'il peut durer éternellement, projettent-ils que la situation se dégrade à chaque fois et débouche sur une nouvelle Nakba qui obligera les Palestiniens à aller ailleurs ? Les dirigeants israéliens pensent peut-être être capables de perpétuer la situation d'apartheid et gagner à terme. C'est peut-être ce que les Palestiniens ont intériorisé : ce sera une résistance à la longue. C'est mortifère. Ce que veulent les Israéliens, c'est la poursuite de la colonisation, qui est un pas de plus vers la solution à deux Etats mais où la Palestine serait un archipel constitué de bantoustans. Les Israéliens disent qu'ils veulent la paix mais, comme l'on dit en anglais, "no justice, no peace" : tant que le peuple palestinien n'aura pas de justice, il continuera à exprimer d'une manière ou d'une autre sa résistance.
Pour répondre à une question sur l'EI, Akram Belkaid a fait un retour sur son origine : lorsque les Américains envahissent l'Irak en 2003, l'une des premières décisions du pro-consul mis sur place par les Etats-Unis a été de dissoudre le parti de Saddam Hussein et d'organiser le transfert de pouvoir entre la minorité sunnite qui a toujours dirigé l'Irak et les chiites. Les milices chiites se comportent de telle manière à créer des nettoyages ethniques, y compris à Bagdad et des membres du parti de S. Hussein rejoignent Al Qaida. Puis, il y a une scission. Dès le départ, c'est un groupe qui est créé non pas pour affronter les Occidentaux (car tôt ou tard les Américains allaient partir) mais pour affronter la majorité chiite. D'ailleurs, les pires attentats qu'a commis l'EI à ses débuts n'étaient pas dirigés contre les Occidentaux mais contre les chiites. Aujourd'hui, il y a un vrai paradoxe : il veut créer un Etat avec des frontières, se considère comme étant le califat (celui qui succède au Prophète) et en même temps par son action, se met à dos l'Occident, comme en envoyant des commandos suicides en France. C'est incompréhensible tactiquement. Il cherche l'affrontement au lieu de se constituer en entité avec laquelle les Occidentaux pourraient négocier. On ne sait pas trop comment ce groupe fonctionne mais on sait qu'il y a une aile militaire composée d'anciens soldats de S. Hussein et une aile religieuse. On ne sait pas si une faction a pris l'ascendant sur l'autre. L'objectif primaire, c'est de créer un sunnistan, c'est à dire une zone géographique où les sunnites irakiens et syriens ne seraient pas sous la domination des chiites. Ce qui s'est passé à Paris est une réaction à une intervention militaire sur place mais aussi un des effets d'un Etat qui a déclaré la guerre à une bonne partie de la planète. Ce qui va être intéressant est de voir quand le groupe EI va considérer comme son ennemi l'Arabie Saoudite détentrice des lieux saints que peut revendiquer un Etat se proclamant comme étant le califat. Un seul pays l'a fait, l'Iran et l'on en connaît les conséquences en termes de guerres locales. Au temps des débuts de l'Arabie Saoudite moderne, le roi Saoud, dans sa conquête de la péninsule arabique, employait certaines méthodes de Daech : il massacrait les tribus qui n'étaient pas avec lui et qu'il considérait, de ce fait, comme étant contre lui et s'était lancé dans une politique d'expansion.
 image extraite de : http://www.monde-diplomatique.fr/cartes/proche-orient-divers-et-militaire
Un auditeur a exprimé son inquiétude sur un risque de guerre mondiale dans la mesure où les zones de tension deviennent très fortes. Il a évoqué les intérêts financiers de la France dans l'armement de ces zones. Alors que la guerre en Irak devait apporter la paix, la démocratie, le progrès social, elle ne l'a pas permis. En revanche, on a démembré les pays de la bande sahélienne, la Libye, peut-être est-ce aussi le cas de la Syrie ? Quant à la Palestine, sa société est marquée par la désespérance et est en voie de déstructuration. Il a défendu des initiatives citoyennes pour comprendre et pour agir mais aussi développer des logiques de paix en permettant que l'ONU revienne sur le devant de la scène internationale. En 2003, les positions de Chirac, Villepin ont été fortes et structurantes. Un autre membre du public s'est demandé si Daech était si peu désintéressé par l'argent. Un autre encore a remercié l'intervenant d'avoir parlé d'Etat bi-national dont la question méritait d'être posée. Puis, il s'est demandé si la coexistence entre Israéliens et Palestiniens était vraiment impossible et par ailleurs, il a souhaité une explication à l'acharnement de Fabius à en finir avec Bachar El Assad qui n'est pas un arabe. Qui sont les Alaouites et pourquoi veut-on les chasser du pouvoir alors que ce sera un bain de sang si cela se produit?
Akram Belkaid a expliqué qu'officiellement, ce qui guidait le groupe EI était la foi mais suite à l'abandon de Mossoul par l'armée irakienne, bien que supérieure en nombre et en matériel, il a fait main basse sur ce qu'il y avait dans la banque centrale de cette ville et sur beaucoup d'armement américain, une des raisons de la puissance militaire du groupe EI. S'il y a beaucoup de trafic, de contrebande, l'organisation assez homogène n'est pas minée de l'intérieur par la corruption ni par des rivalités internes ni par des questions matérielles. En outre, elle est en train de créer un attribut de souveraineté : la monnaie, élément important en termes de propagande, qui va concurrencer le dollar, monnaie de référence depuis 20-30 ans, dans cette zone.
Quant à la cohabitation entre Palestiniens et israéliens, elle est possible si on prend l'exemple de l'Afrique du Sud : à la faveur de personnalités exemplaires, au terme d'un processus de négociation, on peut arriver à des consensus. La place des Arabes Israéliens montre bien que l'on peut arriver à trouver un terrain d'entente a minima. Toutefois, on aurait peut-être dû écouter Edward Saïd opposé aux accords d'Oslo, à l'idée de deux Etats. Pour lui, la question palestinienne était l'occasion de forger de nouveaux outils juridiques, législatifs et de sortir de l'idée de l'Etat-Nation. Or, du côté palestinien, les forces politiques croient encore à un Etat (négocier la paix contre des terres) mais côté israélien, il n'est pas question d'imaginer cela.
Concernant le califat, il est une revendication des islamistes, des salafistes. Tous les courants religieux qui ont instrumentalisés l'Islam en tant que politique, y ont eu recours, comme le GIA algérien dans les années 90. Quand Daech crée le califat, il s'adresse d'abord à sa clientèle salafiste nourrie par le wahhabisme, doctrine d'Arabie Saoudite qui a pris le pas sur toutes les autres doctrines musulmanes au cours des dernières décennies. Cependant, une centaine de clercs et d'oulémas égyptiens ont publié une lettre pour dénier le droit à créer un califat sur le plan théologique et religieux.
Depuis quelques années et notamment depuis 2012, la France sort du rôle habituel de "go between" (facilitateur, négociateur, pays appelant à la raison) et s'oriente vers un rôle de plus en plus actif, dynamique dans cette guerre froide. Elle a clairement pris parti  pour les monarchies du Golfe, dans l'affrontement avec l'Iran, et accessoirement pour Israël. Elle a tout fait pour ralentir l'accord négocié entre les Etats-Unis et l'Iran. Ainsi, la position vis-à-vis de Bachar el Assad, doit être lue dans l'opposition de la France vis-à-vis d'une normalisation des relations avec l'Iran car Bachar El Assad est le client de l'Iran. Ce dernier est indéfendable, il mérite d'être jugé pour ses crimes. Il est à l'origine du renforcement de l'EI car quand il a eu affaire à une contestation syrienne, démocratique, civile, il s'est dépêché d'ouvrir les portes de ses prisons dont les membres les plus dangereux (et il le savait) ont rejoint les groupes djihaddistes : il avait besoin de créer un front contre l'islamisme radical pour se poser en dernier rempart de la civilisation, d'un monde opposé à l'islamisme. La position de la France a été interprétée, dans le monde arabe, comme le fait qu'elle était devenu un pays néo-conservateur ayant une position opportuniste et matérialiste : dans un contexte où l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, à un degré moindre, le Qatar, étaient vent debout contre les Américains, Obama les ayant trahi en signant un accord avec l'Iran, la France en prenant parti contre l'Iran, a pu obtenir quelques contrats. Or, l'Arabie Saoudite, est en train de bombarder l'un des pays les plus pauvres de la planète, le Yémen, qui importe 80% de ses besoins alimentaires et qui est soumis à un embargo et à un blocus maritime. Les officiels des pays occidentaux ont tendance à dédouaner ces monarchies ayant des attitudes rétrogrades, suite au déclin de la pensée progressiste, incarnée en partie par les partis communistes arabes très puissants dans les années 1950-60. Une pensée radicale, religieuse a émergé, diffusée dans les madrasa financées par des subsides saoudiens. Aujourd'hui, on paie cela alors qu'il aurait fallu que la France continuât à avoir une position d'équilibre défendue par Villepin. Quand la France a décidé d'intervenir en Syrie militairement et d'avoir cette position du ni-ni, il a déclaré que la France n'était pas les Etats-Unis et n'avait pas la capacité à se protéger comme eux. J.C Rufin, ancien ambassadeur et écrivain, a dit exactement la même chose : le rôle de la France, ce n'est pas d'être une puissance agissante. Toutefois, l'acte de guerre qui a été commis sur le territoire français implique de réfléchir à ce que l'on fait face au groupe EI qui a appuyé sur un levier endogène à la société française : la non-intégration d'une partie de la jeunesse française, un tabou total (sauf pour Macron, seule personne dans le gouvernement à en avoir parlé). On fait comme si c'était une attaque frontale exogène à  100%. Or, elle a été rendue possible car on a dans cette société, y compris dans la société belge, des béances qui s'avèrent être des points de vulnérabilité. C'est venu de l'EI, cela aurait pu venir d'ailleurs.
Un auditeur s'est demandé si la démographie palestinienne ne jouait pas contre l'Etat israélien. En effet, les projections le montrent, a soutenu le journaliste, et l'absence de vision à long terme n'en est que plus étonnante. Toutefois, Israël compense par l'émigration. Comment un Israélien peut-il penser que c'est une situation durable, sauf à penser que l'hypothèse d'une nouvelle Nakba est possible? C'est le non-dit dans la classe politique israélienne. Qui aujourd'hui défendrait les Palestiniens si un gouvernement encore plus réactionnaire que celui qui existe en Israël décidait de les expulser?
Suite à une question sur la véritable autorité de l'AP, Akram Belkaid a expliqué que déjà elle-même ne se considérait plus comme détentrice de son autorité puisque les accords d'Oslo étaient morts. Beaucoup de jeunes palestiniens la voient comme une instance de collaboration avec  l'occupant. Elle est en phase de faiblesse, critiquée en interne pour son incapacité à trouver un accord définitif avec le Hamas. Beaucoup de Palestiniens disent que ce n'est pas le moment d'affaiblir l'AP car il est préférable d'avoir une instance visible notamment hors des frontières. Cependant, les tiraillements sont nombreux sur lesquels joue le gouvernement israélien : il sait très bien que l'AP ne peut pas aller à l'épreuve de force parce qu'elle a besoin de continuer à exister pour d'hypothétiques négociations.
Quant à la possible intervention de Sadate dans le conflit israélo-palestinien, l'intervenant n'a pas pu répondre mais a cité une biographie de Boutros-Boutros Ghali, ministre des Affaires Etrangères de cet homme d'Etat, qui, à chaque fois, a fait partie de l'équipe de négociation. Il raconte que Sadate, même s'il a tenté d'incorporer la question palestinienne dans les négociations, a vite compris la difficulté. De plus, il avait un agenda national avec pour priorité la restitution du Sinaï. C'est davantage la mort de Rabin qui a marqué un tournant, quoique l'on pense du rôle terrible de ce personnage pendant la 1ère Intifada. Son assassinat a signé le glas de accords d'Oslo et la société israélienne a basculé avec les attentats.
Suite à une question sur les Kurdes, l'intervenant a expliqué que ceux-ci voulaient libérer leur propre territoire mais ne revendiquaient pas le gouvernement de la Syrie. A Racca, à l'Est de la Syrie, où est établi l'EI, les habitants (arabes) veulent se libérer de ce groupe mais ne pas être sous la tutelle des Kurdes. Visiblement, les Américains souhaitent monter une coalition au sol dans laquelle entreraient, entre autres, des tribus arabes qui, pour le moment, se sont tenus à l'écart des conflits, des forces d'opposition "dites modérées" dont certaines ont plus ou moins fréquenté Al-Qaida afin qu'il n'y ait plus un label kurde sur cette question. Or, aucune des forces n'est pour le moment encline à vouloir se battre contre l'EI qui compte 30 à 40 000 combattants. Sur le terrain, ceux qui ont le plus enregistré de succès militaire contre l'EI, ce sont les Kurdes. Cela crée des problèmes avec les Turcs puisque l'une des obsessions d'Ankara est qu'il n'y ait pas de jonction entre le Kurdistan irakien et un Kurdistan syrien qui signifierait de nouveaux sanctuaires pour les combattants du PKK en Turquie.

Art Péri' Cité n'a pu assister à la fin de la conférence (constituée d'autres questions-réponses) qui n'a pas non plus été enregistrée. Nous en sommes désolés. 

Akram Belkaid est l'auteur d'un blog dont voici le lien : http://akram-belkaid.blogspot.fr/

Texte et photos : Laura Sansot

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