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24/11/2015

UN COEUR SIMPLE AU CAFE DE LEGUILLAC DE CERCLES

Le 22 novembre, au café associatif de Léguillac de Cercles, une artiste venue de l'Orne, en Normandie, Marie Guyonnet, présentait un spectacle d'1h15 autour de l'oeuvre de Gustave Flaubert, Un coeur simple

La comédienne et metteuse en scène dirige une compagnie implantée dans le théâtre de la Boderie qu'elle a créé en pleine campagne, à Sainte Honorine-la-Chardonne, à 15 kms de Flers (61), dans une grange d'un ancien fief seigneurial du XVIè siècle. Venant de Paris, elle souhaitait développer la culture en milieu rural avec "le désir d'être élitaire pour tous" (Antoine Vitez). Le projet s'est réalisé en 1998 autour de professionnels et de bénévoles et grâce à l'aide de subventions européennes ou plus locales. L'association propose des spectacles et des résidences d'artistes invités à faire des restitutions de leur travail dans la salle de 100 places. 
Les propositions de la compagnie accordent beaucoup d'importance à l'adaptation de textes contemporains comme ceux de Georges Perec (L'Augmentation ou W ou le souvenir d'enfance) mais pas uniquement puisque c'est à un auteur du XIXè siècle que la comédienne rendait hommage ce dimanche-là. La compagnie alterne propositions de formes courtes comme cette dernière où Marie Guyonnet est seule en scène permettant de jouer dans une grande diversité de lieux (cafés associatifs, établissements scolaires, médiathèques, logement de particuliers...) et mises en scène plus classiques composées de plusieurs artistes proposées dans le circuit ordinaire comme les théâtres de ville et même au festival d'Avignon. Dans ce cas, la comédienne devient metteuse en scène. Pour elle, il est important de garder les deux axes de la création pour aller à la rencontre de publics variés et développer un travail diversifié. A l'invitation d'une amie venue s'installer en Dordogne, elle s'était déjà produite au café de Léguillac pour présenter aussi une forme courte "24h dans la vie d'une femme" de Stephan Zweig. Des spectateurs assidus se sont souvenus, à la fin du spectacle, de son accent britannique parfait d'alors, en découvrant sa prestation, à l'inverse, dans la langue de Flaubert. Ce spectacle avait été joué la veille au Café lib' de Bourrou et encore avant chez l'habitant à Bordeaux.
Il a été créé il y a 13 ans à l'occasion de l'ouverture de la salle spectacle. Quoi de mieux, en effet, que de convoquer un auteur normand pour parler de la vie d'une fille de la campagne afin d'inaugurer ce lieu? Si la comédienne a retenu un peu moins de la moitié du texte originel, elle a souhaité conserver les mots de Flaubert dont elle apprécie la très belle écriture, très évocatrice. Elle la sert d'ailleurs à merveille par une diction parfaite et une voix claire. Quant aux coupures, elles n'altèrent en rien le déroulement du récit. Elle a choisi de centrer la pièce sur la vie de la jeune Félicité, une femme du monde rural au XIXè siècle à la vie en apparence très simple voire monotone mais dont on découvre au fil de l'histoire toute la richesse de la vie intérieure, comme l’explique la comédienne, au sortir de sa prestation. Ce texte, qui est issu d'un recueil de nouvelles publié en 1877, 3 ans avant la mort du romancier, intitulé Trois Contes, évoque Madame Bovary et le travail autour d'un portrait psychologique intimiste. Félicité, délaissée par un jeune homme, Théodore, qu'elle espérait épouser, quitte la ferme où elle travaillait pour la ville de Pont-l'Evêque où elle reste au service de sa maîtresse, Mme Aubain, jusqu'à la mort celle-ci. Tour à tour, elle se prend d'affection pour les enfants de la jeune veuve qui l’emploie, Paul et Virginie, pour son neveu, Victor, puis, suite aux morts ou départs de chacun, reporte son amour sur un perroquet reçu en cadeau, Loulou. A la mort de ce dernier, elle le fait empailler et, sur son lit de mort, le confond avec le Saint Esprit. Sa vie durant, elle aura passé son temps à prendre soin de la maison et de ses habitants, fréquentant régulièrement l’Eglise après avoir appris les rudiments de la religion au contact de Virginie qu’elle accompagnait au catéchisme.
Si le texte est très évocateur, doté de descriptions précises, il est mis en valeur par une comédienne très expressive, au sourire franc qui, avec peu de moyens scéniques, quelques accessoires comme des vêtements de fille de ferme, une table, un prie-dieu ou un perroquet, par son jeu théâtral, parvient à rendre vivante l’évocation de la vie de cette femme. Marie Guyonnet, très concentrée sur son texte, malgré les conditions de jeu dans un café, joue tous les personnages du conte qu’elle distingue par une simple expression du visage ou un changement de la voix. Une performance. Par son jeu et l’adaptation du texte, Marie Guyonnet réussit à transcender l’évocation d’une vie apparemment mièvre pour sonder la profondeur d’une vie simple et pudique et nous dévoiler son attachement au personnage.
 
A la fin du spectacle et en référence aux attentats du 13 novembre, la comédienne émérite a salué le public en citant François Morel (« ne renoncer à rien »), un natif du département où elle vit, et Jean-Pierre Siméon («c’est la poésie qui sauvera le monde»). En coulisse, elle s’est inquiétée du contexte dans lequel va désormais évoluer la culture. Le repli sur soi est à craindre tant au niveau du public que des financeurs tentés de soutenir des spectacles dont on est assuré du succès. Même si elle constate une difficile remise en cause des habitudes en France, elle plaide pour une évolution des compagnies théâtrales indépendantes vers davantage de travail en commun afin que celles-ci puissent perdurer. Si elles représentent 80% de l’offre culturelle, elles sont un enjeu majeur du maintien de l’exception culturelle française.
On se réjouit que des lieux comme les cafés associatifs contribuent à cette diversité.

Texte et photos : Laura Sansot

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