Le 22 novembre, au café associatif de Léguillac
de Cercles, une artiste venue de l'Orne, en Normandie, Marie Guyonnet,
présentait un spectacle d'1h15 autour de l'oeuvre de Gustave Flaubert, Un
coeur simple.
La comédienne et metteuse en scène dirige une compagnie implantée dans le théâtre de la Boderie qu'elle a créé en pleine campagne, à Sainte Honorine-la-Chardonne, à 15 kms de Flers (61), dans une grange d'un ancien fief seigneurial du XVIè siècle. Venant de Paris, elle souhaitait développer la culture en milieu rural avec "le désir d'être élitaire pour tous" (Antoine Vitez). Le projet s'est réalisé en 1998 autour de professionnels et de bénévoles et grâce à l'aide de subventions européennes ou plus locales. L'association propose des spectacles et des résidences d'artistes invités à faire des restitutions de leur travail dans la salle de 100 places.
Les propositions de la compagnie accordent
beaucoup d'importance à l'adaptation de textes contemporains comme ceux de
Georges Perec (L'Augmentation ou W ou le souvenir d'enfance) mais pas
uniquement puisque c'est à un auteur du XIXè siècle que la comédienne rendait
hommage ce dimanche-là. La compagnie alterne propositions de formes courtes
comme cette dernière où Marie Guyonnet est seule en scène permettant de jouer
dans une grande diversité de lieux (cafés associatifs, établissements
scolaires, médiathèques, logement de particuliers...) et mises en scène plus
classiques composées de plusieurs artistes proposées dans le circuit ordinaire
comme les théâtres de ville et même au festival d'Avignon. Dans ce cas, la
comédienne devient metteuse en scène. Pour elle, il est important de garder les
deux axes de la création pour aller à la rencontre de publics variés et
développer un travail diversifié. A l'invitation d'une amie venue s'installer
en Dordogne, elle s'était déjà produite au café de Léguillac pour présenter
aussi une forme courte "24h dans la vie d'une femme" de Stephan
Zweig. Des spectateurs assidus se sont souvenus, à la fin du spectacle, de son
accent britannique parfait d'alors, en découvrant sa prestation, à l'inverse,
dans la langue de Flaubert. Ce spectacle avait été joué la veille au Café lib'
de Bourrou et encore avant chez l'habitant à Bordeaux.
Il a été créé il y a 13 ans à l'occasion de
l'ouverture de la salle spectacle. Quoi de mieux, en effet, que de convoquer un
auteur normand pour parler de la vie d'une fille de la campagne afin
d'inaugurer ce lieu? Si la comédienne a retenu un peu moins de la moitié du texte
originel, elle a souhaité conserver les mots de Flaubert dont elle apprécie la
très belle écriture, très évocatrice. Elle la sert d'ailleurs à merveille par
une diction parfaite et une voix claire. Quant aux coupures, elles n'altèrent en rien le déroulement du récit. Elle a choisi
de centrer la pièce sur la vie de la jeune Félicité, une femme du monde rural
au XIXè siècle à la vie en apparence très simple voire monotone mais dont on
découvre au fil de l'histoire toute la richesse de la vie intérieure, comme
l’explique la comédienne, au sortir de sa prestation. Ce texte, qui est issu d'un
recueil de nouvelles publié en 1877, 3 ans avant la mort du romancier, intitulé
Trois Contes, évoque Madame Bovary et le travail autour d'un
portrait psychologique intimiste. Félicité, délaissée par un jeune homme,
Théodore, qu'elle espérait épouser, quitte la ferme où elle travaillait pour la
ville de Pont-l'Evêque où elle reste au service de sa maîtresse, Mme Aubain,
jusqu'à la mort celle-ci. Tour à tour, elle se prend d'affection pour les
enfants de la jeune veuve qui l’emploie, Paul et Virginie, pour son neveu,
Victor, puis, suite aux morts ou départs de chacun, reporte son amour sur un
perroquet reçu en cadeau, Loulou. A la mort de ce dernier, elle le fait empailler
et, sur son lit de mort, le confond avec le Saint Esprit. Sa vie durant, elle
aura passé son temps à prendre soin de la maison et de ses habitants,
fréquentant régulièrement l’Eglise après avoir appris les rudiments de la
religion au contact de Virginie qu’elle accompagnait au catéchisme.
Si
le texte est très évocateur, doté de
descriptions précises, il est mis en valeur par une comédienne très
expressive,
au sourire franc qui, avec peu de moyens scéniques, quelques accessoires
comme
des vêtements de fille de ferme, une table, un prie-dieu ou un
perroquet, par son jeu théâtral, parvient à rendre vivante l’évocation
de la vie de cette
femme. Marie Guyonnet, très concentrée sur son texte, malgré les
conditions de
jeu dans un café, joue tous les personnages du conte qu’elle distingue
par une simple expression du visage ou un changement de la voix. Une
performance. Par son jeu et l’adaptation du texte, Marie Guyonnet
réussit à
transcender l’évocation d’une vie apparemment mièvre pour sonder la
profondeur
d’une vie simple et pudique et nous dévoiler son attachement au
personnage.
A la fin du spectacle et en référence aux attentats du 13 novembre, la
comédienne émérite a salué le public en citant François Morel (« ne
renoncer à rien »), un natif du département où elle vit, et Jean-Pierre
Siméon («c’est la poésie qui sauvera le monde»). En coulisse, elle
s’est inquiétée du contexte dans lequel va désormais évoluer la culture. Le
repli sur soi est à craindre tant au niveau du public que des financeurs tentés
de soutenir des spectacles dont on est assuré du succès. Même si elle constate
une difficile remise en cause des habitudes en France, elle plaide pour une
évolution des compagnies théâtrales indépendantes vers davantage de travail en
commun afin que celles-ci puissent perdurer. Si elles représentent 80% de
l’offre culturelle, elles sont un enjeu majeur du maintien de l’exception
culturelle française.
On se réjouit que des lieux comme les cafés
associatifs contribuent à cette diversité.
Texte et photos : Laura Sansot
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