A
l'occasion du ciné-concert "South to North" à l'Agora de Boulazac élaboré à
partir du film "Sud Eau Nord déplacer" le 12 novembre, son directeur
Frédéric Durnerin invitait le réalisateur, Antoine Boutet, pour une
rencontre avec le public. Ce type de rencontre devait se
renouveller d'ailleurs le 17 décembre pour le spectacle
"Femme non-rééducable". Quant
au film, il serait projeté plusieurs fois en Dordogne à l'occasion du
Mois du Film Documentaire.
"South to North" est une création en partenariat technique avec Ciné-Passion et la compagnie Ouïe-Dire (les noms de Marc Pichelin et Kristof Guez ont été évoqués) qui est née en 1994. La dernière création de cette compagnie, "Potages et potagers", est le 3è volet de la trilogie gastronome, une manière de montrer comment les territoires ruraux évoluent, en allant à la rencontre de jardiniers et cuisiniers de l'Aveyron. http://ouiedire.com/creations/potages-et-potagers/ Le spectacle sera présenté en mai 2016 à l'Agora.
Formé aux Arts décoratifs de Paris, le réalisateur, né en 1968,
était déjà venu en résidence au centre culturel en 1999 et avait, par son
travail, porté "un regard fin et sensible sur la manière dont les liens
peuvent se faire au sein de la Cité", a expliqué le directeur du centre
culturel. Depuis, il a voyagé, réalisé un film sur un ermite, "Le Plein
Pays" (2009) car "son travail s'intéresse aux gens et fait écho à plusieurs
spectacles programmés cette année à l'Agora", a-t-il poursuivi.
Antoine
Boutet et la compagnie Ouïe-Dire, composés d'une majorité de musiciens,
se sont croisés en Chine. Ils se connaissent depuis une quinzaine
d'année. Kristof
Guez en fait partie et intervient depuis
une quinzaine d'années comme photographe. Depuis
4 ans, la compagnie est hébergée par l'Espace Britten. Elle a organisé
pendant 3 ans un festival "Sonotone" de musiques contemporaines et
expérimentales mais aussi des expositions en lien avec les lieux
culturels de Périgueux. Si elle n'a pas organisé de festival cette
année,
elle a souhaité néanmoins programmer un évènement avec l'Agora. L'idée a
germé d'associer Andy Moor et Yannis Kyriakides avec le réalisateur.
photo extraite de : http://www.sudouest.fr/2012/10/23/balade-a-vientiane-858211-4608.php
Antoine
Boutet se souvient de son passage à Boulazac, il y a plus de 15 ans,
pour une résidence un peu en marge de son activité de plasticien d'alors
pour une exposition "Vue imprenable". Pendant 3 mois, il a arpenté les
rues, s'est intéressé à la manière dont la ville se construisait à
l'époque, comment les gens y vivaient en allant à leur rencontre, en les
interrogeant sur la manière dont était organisée la ville auparavant.
Il a poursuivi ce travail par des interventions sur l'espace public,
invité par des villes ou des festivals.
Depuis une vingtaine d'années,
il utilise aussi la vidéo pour faire des documentaires à projeter dans
des salles d'exposition avec des scénographies et sonorisations.
Toutefois, au bout d'un certain temps, il reconnaît s'être interrogé sur
la position de l'artiste qui arrive quelque part, regarde et donne son
point de vue. Il s'est dit que plutôt
que d'aller dans une ville et pointer les dysfonctionnements, il était
préférable d'aller observer comment un grand projet pouvait être mis en
place sans interpréter. Il est donc parti en Chine en 2004-2005 étudier
le barrage des Trois Gorges et la manière dont il allait modifier la vie
des gens, détruire des villages et créer des villes. Son regard se
portait sur le paysage et l'architecture. Cela a donné lieu à un travail
vidéo très photographique qui offrait une vue globale de ce qui était
en train de se passer en Chine. Le contexte très sensible à l'époque
l'avait contraint à rester en retrait et avait produit un travail très
contemplatif fait essentiellement d'impressions. Le montage, donnant
lieu à une installation vidéo projetée sur deux écrans présentée au
Musée des Abattoirs de Toulouse en 2006, avait fait apparaître l'idée
d'un documentaire. Il a alors condensé les deux films en un seul d'une
demi-heure, "Zone of initial Dilution". Celui-ci
a commencé à être montré dans les festivals avec des retours très
positifs. Il a circulé pendant 2 ans. Toutefois, dans le monde du
documentaire, on évoquait son travail comme un film d'artiste et dans le
milieu des arts plastiques comme un film documentaire, s'en amuse
aujourd'hui son réalisateur.
Antoine Boutet
source : unifrance.org
En
2005-2006, le programme de dérivation des eaux dont il avait entendu
parler à l'époque lui donnait l'occasion d'aller plus loin, de voyager
dans des régions peu touristiques et même jusqu'au Tibet, l'idée étant
de suivre la construction des 2 voies de chacune 1400 kms et la
troisième de 300 kms. Au fur et à mesure que le projet avançait, Antoine
Boutet réalisait la complexité du sujet et souhaitait ne pas faire
uniquement un film réalisé par un étranger mais aussi un film qui
apporte des éléments de réflexion aux Chinois eux-mêmes. Alors que
l’entreprise devait durer 3 ans, elle s'est déroulée de 2008 à janvier
2015, date de la sortie du film, du fait de la difficulté
à trouver des financements. Malgré tout, elle a permis de voir émerger
la forme du
long-métrage de cinéma documentaire. Le film dure 2h et alterne prises
de vue
de chantiers, entretiens avec des personnes de la société civile, soit
des
moments de tension et des moments contemplatifs. Il est depuis sa sortie
l'objet de nombreuses rencontres-débats (environ 70) avec le public sur
des thèmes comme les Droits de l'Homme, la Chine en profonde
transformation ou, en ce moment, la COP 21. Quant à la musique, même si
elle est peu présente dans ses films, elle a pris davantage de place :
face à la saturation de plans fixes, il a voulu essayer d'ajouter des
éléments musicaux qui pouvaient lier ces plans. Bien que ne pensant pas
les garder, il les a finalement conservés, sensible au rendu onirique
qu'ils engendraient. Au final, le film comprend 3 sessions de musique
réalisés par Andy Moor et Yannis Kyriakides, deux musiciens néerlandais
qui devaient participer au festival Sonotone et qui ont finalement assuré l'accompagnement sonore du ciné-concert du 12 novembre.
Pour l'occasion, un montage de 1h15 a été refait à partir du film de
2h. Andy Moor est guitariste du collectif punk néerlandais The Ex et du
groupe britannique Dog Faced Hermans tandis que Yannis Kyriakides est un
"compositeur et artiste sonore" qui tente de "créer de nouvelles formes hybrides mêlant théâtre musical, multimédia et installations électroacoustiques".
Antoine Boutet s'est félicité de la riche collaboration que permettait
ce spectacle et des conditions techniques exceptionnelles.
Le film se développe autour du projet Nan Shui Bei Diao (littéralement Sud Eau Nord Déplacer). En effet, la Chine possède des ressources en eau considérables mais aussi des besoins qui le sont tout autant. Le Nord est particulièrement affecté par le manque d'eau. Aussi, en 1952, Mao Zedong a-t-il l'idée de transférer l'eau du fleuve Yangtze, 3è plus grand fleuve du monde et le plus grand d'Asie, du Sud vers le Nord, soit près de 45 milliards de m3 d'eau douce, par l'intermédiaire de trois voies. Le projet est finalement avalisé en 2002. Les deux premières voies sont réalisées. Il s'agit de la voie orientale qui transporte sur 1150 kms l’eau du Yangtze au nord de Shangaï puis remonte à Pékin en suivant le tracé de l’ancien canal impérial, dotée de 30 stations de pompage et de la voie centrale sur 1241 kms qui part du barrage des Trois Gorges et alimente le centre de la Chine frappé par des sécheresses chroniques et Pékin. Elle est surélevée et s'écoule donc par gravitation vers la capitale. Quant à la 3è voie, la voie occidentale, c'est la plus courte (300 kms) mais la plus complexe à réaliser
du fait notamment des hautes altitudes. La fin des travaux est prévue
en 2050. Elle doit acheminer, dans une région sismique, l'eau du plateau
tibétain au fleuve Jaune grâce à 7 barrages et tunnels. La 1ère voie est la plus polluée, malgré les infrastructures pour dépolluer, et l'eau se révèle tellement
coûteuse que certaines villes la refusent. Il n'empêche que Pékin
manque cruellement d'eau et la situation devient alarmante. Les travaux doivent coûter 80 milliards de dollars dont 1/3 en faveur de la 3è voie. Ils sont une manière de resouder le pays autour d'un projet commun qui contribuera à maintenir le PIB et affirmer la puissance du pays. Toutefois, le film donne à voir l'envers du décor : les conditions de vie, les déplacements de population (350 000 personnes sont concernées), la déforestation, l'augmentation des risques de catastrophes naturelles...
extrait de : http://www.zeugmafilms.fr/crbst_107.html
Quand un auditeur a demandé comment
le réalisateur avait réussi à conjuguer avec le pouvoir pour réaliser
son film, celui-ci a argué le fait d'avoir travaillé sur la durée, s'être intéressé d'abord aux paysages et à l'architecture avant la société civile, d'avoir utilisé des moyens réduits (traductrice, chauffeur, assistante et petite caméra). Même sans autorisation, il a pu, grâce au temps passé, rencontrer progressivement
des gens impliqués et trouver les moyens de ne pas les mettre en
danger. Alors qu'en France, il n'aurait pas été possible d'entrer sur
les chantiers, cela a été possible en Chine où la surprise de voir débarquer
des étrangers dans des lieux improbables permettait quelques
discussions et prises de vue avant de se faire refouler. Les images sont
sorties clandestinement du pays où le film n'a
pas donné lieu à une projection. Quand le film est sorti en première
mondiale au festival de Locarno en 2014, les autorités chinoises ont choisi de
visionner le film de leur compatriote plutôt que celui d'un Français comme Antoine Boutet qui reconnaît la difficulté d'être un documentariste en Chine où il n'est pas retourné.
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