Lors
de la journée du 27 septembre, Alternatiba Bergerac proposait plusieurs
conférences et tables rondes autour des alternatives. Ainsi, le thème de la
transition éducative était développé sous forme d’une conférence donnée par
Géraldine Seignarbieux, directrice de l’école La Marelle, située à Saint
Pantaly d’Ans.
logo extrait du site
de la La Marelle :
http://www.marelleetcompagnie.com/articles/l-ecole-la-marelle
Cette école est une école expérimentale de maternelle et élémentaire. Sa directrice la considère comme une contribution au changement d’orientation de la société : « nous faisons notre part comme petits colibris ». Or, explique-t-elle, « sans changer l’éducation, le changement de société est difficile (...). La transition dans l’éducation est un premier pas vers une transition plus globale ». Toutefois, la transition, par définition, n’est pas nécessairement visible mais des indicateurs montrent qu’elle est en marche.
Une transition en marche
Au
sein de l’Education Nationale, existent beaucoup d’initiatives : des
postes de CARDIE (Conseiller recherche-développement, innovation et
expérimentation), FESPI (Fédération des Etablissements Publics Innovants) qui
regroupe 12 établissements et 5 en cours de création dont les demandes d’inscription
augmentent fortement (Notre-Dame à Bordeaux, lycée auto-géré de St Nazaire...),
le Collectif des Associations Partenaires de l’Ecole Publique (CAPE), les
micro-lycées dans les ZEP, des outils innovants sur des sites Internet comme le
Web pédagogique ou des blogs. Ils en existent aussi hors de l’institution et
« il faut les deux pour que les choses bougent », considère
l’intervenante. L’instruction dans la famille concernerait 40 000 enfants
entre 3 et 16 ans et s’organiserait en fédérations : LED’A et LAIA. Quant aux
écoles indépendantes, elles étaient 717 en 2014 en France, soit 60 000
enfants de 3 à 16 ans. 37 écoles se sont ouvertes en 2013, 51 en 2014. Ce
nombre progresse chaque année. Il y a 1 à 2 ouvertures par an en Dordogne. Dans
l’Education Nationale, une professeure des écoles de Gennevilliers, Céline
Alvarez a introduit dans son enseignement des éléments de la méthode Montessori
qui a obtenu de bons résultats mais l'institution ne lui a pas permis de
poursuivre. Elle a donc décidé de démissionner mais de transmettre aux
enseignants de l'école conventionnelle ces pratiques. Cet été, un atelier sur
ce sujet qu’elle pensait proposer à une trentaine de personnes a été plébiscité
par 200 personnes. « C’est donc un mouvement de fond qui se passe »,
affirme-t-elle, « mais qui ne peut pas se produire du jour au lendemain ».
Les média commencent à s’intéresser au sujet. Des films sortent comme Etre
et devenir, Quels enfants laisserons-nous à la planète ?, Alphabet,
L’arbre de l’enfance (en cours de réalisation).
Si
la transition est en route d’après les indicateurs énumérés, celle-ci a besoin
d’être définie. Tous les projets se rejoignent autour de 3 idées communes. Les
enfants sont les adultes de demain qui ont le potentiel de créativité pour le
changement de demain et notre travail est de le préserver. Que transmettre pour
transformer le monde ? Comment permettre à un enfant de devenir ce qu’il
est ? Il s’agit davantage d’accompagner chacun dans l’expression de son
plein potentiel plutôt que d’orienter, ce qui suppose de repenser la place de
l’adulte. Il faut donc personnaliser les cursus, offrir un espace de
développement personnel, apprendre le travail en équipe, l’empathie,
l’autonomie, la connaissance de soi, la créativité, valoriser toutes les formes
d’intelligence, les compétences extra-scolaires. Géraldine Seignarbieux se
réfère aussi aux travaux d’André Stern qu’elle définit comme un "éducateur
écologique" qui affirme la nécessité de respecter les dispositions
naturelles de l’enfant.
La Marelle
La
directrice de l’école indépendante a souhaité « partager une expérience
qui nous enthousiasme (...) sans la poser en exemple » car sa
« conviction est dans la diversité : il y a plusieurs
manières de faire la transition ».
Le
projet pédagogique se résume ainsi. Il s’agit d’abord de cultiver le plaisir
d’apprendre. Même si apprendre suppose de la persévérance, même si cela est
difficile, cela ne signifie pas que ce soit pénible ou cause de la souffrance.
Cela donne une chance de toujours évoluer, de s’adapter, d’inventer, de
développer une posture active. « Etre acteur de sa vie, c’est l'un des
ingrédients nécessaire au bonheur », souligne-t-elle. Les recherches
des neuro-sciences confirment le lien entre apprentissage et bonheur. A la
naissance, le potentiel d’apprentissage n’est pas déterminé. On nait avec
d’innombrables connexions neuronales mais seules celles que l’on utilise vont
se développer, si bien que l’adulte n’en utilise qu’un tiers. Toutefois, cela
ne suffit pas pour apprendre. L’enthousiasme est nécessaire. Le cerveau se
développe là où on l’encourage avec plaisir. La sécrétion de
neuro-transmetteurs fonctionne comme des fertilisants mais cela n’a pas lieu
quand on reçoit des insultes, quand on apprend par cœur. L’enfant se développe
à travers le jeu et vient au monde avec le plus efficace des supports
d’apprentissage : le jeu et la curiosité. Sans l’intervention de l’adulte,
il s’émerveille 50 à 100 fois par jour jusqu’à l’âge de 3-4 ans. Quand on fait
ces mesures chez l’adulte, on obtient un chiffre de 3 fois par an pour des pics
d’enthousiasme de la même intensité. Deux raisons expliquent cette perte
d'enthousiasme. D’un côté, on repère les expériences négatives de
l’apprentissage : ce sont les apprentissages subis qui ne répondent à
aucune motivation, qui ont lieu dans des situations de stress, qui éloignent
des autres, sont accompagnés de souffrance. De l’autre côté, l’influence de
l’entourage peut jouer en sa défaveur : quand l’enfant réalise que ce
qu’il est ne plaît pas à son entourage ou quand il est face à un adulte
sur-protecteur, il abandonne son enthousiasme par fidélité à l’adulte référent.
En conclusion de cela, Géraldine Seignarbieux évoque une phrase de Philippe
Meirieu : « rien ne s'enseigne que l'élève ne désire
apprendre ».
Pour
préserver cet enthousiasme, à La Marelle, travaillent une enseignante à plein
temps, une assistante d’éducation à mi-temps, une directrice qui intervient
auprès des enfants comme intervenante extérieure tout comme d’autres personnes,
des services civiques, des bénévoles. L’école est prévue pour accueillir 18
enfants (il reste 4 places vacantes pour cette année scolaire) de 3 à 11 ans
dans le cadre d’une classe unique. Les cours ont lieu 4 jours par semaine, les
apprentissages fondamentaux étant dispensés le matin et les ateliers, projets
collectifs, l’après-midi. L’école n’est affiliée à aucun mouvement pédagogique.
La directrice l’a définie comme une « école plurielle » qui se
laisse la possibilité d’emprunter des éléments dans toutes les méthodes.
Afin
d’expliciter son propos, elle présente un plat rempli de terre. Pour cultiver
et récolter, il faut semer et planter. Un bon terreau est constitué de
différentes composantes. Tout ce qui est fait en classe ne diffère pas
nécessairement de ce qui est fait en classe conventionnelle mais l’intention de
respecter les dispositions naturelles de l’enfant est primordiale. Le
positionnement de l’adulte est aussi différent : il l’observe puis le
guide plus qu'il lui enseigne ou l’évalue. Cela est possible s’il y a une confiance
dans la capacité d’apprentissage de chaque enfant, dans les choix pédagogiques.
On part de ce que l’enfant sait pour apporter un niveau de connaissance
supérieure plutôt que de partir de ses lacunes. Quant au cadre, il est très
clair : « les enfants veulent ce qu’ils font mais ne font pas tout
ce qu’ils veulent ». Des limites permettent à l’enfant d’évoluer dans
un cadre rassurant.
C’est
après ce que l’on peut commencer les semis. Il existe plusieurs sortes de
graines liées à l’ambiance de travail. Des graines permettent de développer
l’autonomie. La matériel Montessori y contribue mais aussi les plans de
travail, les pauses auto-gérées, l’organisation de la vaisselle. D’autres
graines développent l’apprentissage du choix et de la responsabilité, d’autres encore
le droit à l’erreur sans risquer d’être humilié ou moqué. Rien ne démobilise
plus que l’échec. Le matériel de l’enfant est auto-correctif et suppose une
intervention à minima de l’adulte qui préserve l’envie d’apprendre et la
confiance. D’autres graines favorisent le temps accordé à l’enfant pour faire
son travail que l’on interrompt jamais brutalement. Dans une moindre mesure, on
le prévient 10 minutes avant avec un sablier. Il s’agit aussi de valoriser
toutes les compétences. Un cahier de réussite met en valeur les réussites de la
journée. La vie pratique est aussi très présente. Le groupe classe est présenté
comme une famille, l’objectif étant de réduire l’écart entre l’école et la vie
en dehors et éviter les cloisonnements. L’espace de l’école lui-même est
envisagé comme une maison. Le lien à la nature est aussi très important :
les enfants sortent tous les jours, même quand il pleut et il n’y a pas de
préau. Le but est de sensibiliser l’enfant à l’observation de l’environnement,
lui permettre de rester en lien avec le rythme biologique. Cela donne un sens
du sacré et permet de se respecter soi-même et les autres.
Le concret est
toujours placé avant l’abstraction. C’est ce que l’on retrouve dans la méthode
Montessori. On part des expériences sensorielles avant d’introduire le concept
intellectuel. Les outils d’apprentissage coopératif sont valorisés :
tutorat, échange de stratégies mentales quand un enfant explique aux autres
comment il a fait pour parvenir au résultat. Le conseil d’enfants joue un rôle
central. Les adultes ont une voix comme chaque enfant. Les décisions sont
prises collectivement. Le règlement intérieur est élaboré à partir du conseil
d'enfants. Toutes les règles sont édictées en commun, sauf 3 règles posées par
l’adulte (ne pas taper, ne pas se moquer, ne pas détruire). Ainsi, les enfants
savent pourquoi on a posé la règle. Les ateliers philosophiques permettent de
développer l’esprit critique, les capacités d’écoute, d’argumentation, de prise
de parole en groupe. Ils répondent à une quête de sens. Dans les ateliers de
connaissance de soi, de pleine conscience, on apprend aux enfants à comprendre
leurs émotions, à avoir conscience de leurs richesses et de leurs limites. Les
enfants sont formés à la médiation qui est encouragée entre pairs. L’école hors
les murs est favorisée : les enfants sortent autant que possible pour
comprendre le monde qui les entoure. Les célébrations sont nombreuses. Le
cahier de réussite y participe. Pour les anniversaires, le petit rituel à la
manière Montessori est utilisé. Des chefs d’œuvre sont réalisés pour ceux qui
partent au collège. Chaque année effectuée est l’objet d’un rite de passage
pour signifier à l’enfant son évolution.
Une
fois ces graines semées, on récolte de l’enthousiasme, de la joie. Les enfants
arrivent avec le sourire à l’école. Ils sont en confiance avec eux-mêmes et
l'adulte, fondements de la réussite. Chacun révèle sa personnalité sans souci
du conformisme. Chacun cherche à s'améliorer par rapport à lui-même, non par
rapport aux autres, ce qui change l'ambiance de classe. Les acquis sont
stables, on revient peu sur les apprentissages. Les niveaux de compétences sont
en accord avec les référentiels officiels. Les adultes sont heureux de voir
leurs utopies mises à l'épreuve de la réalité et l'expérience débutante, même
si elle suppose des améliorations, les conforte dans leurs choix. Changer
l'école ne semble pas si difficile que cela sur le plan technique,
méthodologique voire financier mais requiert quelque chose difficile à mettre
en oeuvre pour les adultes : lâcher ses repères, ses certitudes, ce qui est
insécurisant. La prochaine étape est de "se rassembler autour d'un
message clair de cohérence et d'incarnation de nos valeurs, donner une chance
pour que ce mouvement de fond soit visible et ait un impact".
Un
débat avec le public a suivi cette présentation. Il a été question de nombreux
pédagogues qui ont contribué aux pédagogies alternatives, de la disposition
naturelle des enfants contestée dans le fait que les individus sont déjà
marqués par leur environnement dans le foetus. Héritiers, pour certains, de
l'histoire difficile de leurs parents, parfois véritables "champs de
guerre", ils sont en souffrance et n'ont pas envie d'apprendre. Géraldine
Seignarbieux a rappelé que le potentiel neurologique était le même à la
naissance mais que des éléments interféraient comme l'entourage, les enfants
étant plongés dès la première année dans un bain culturel qui a déjà produit
ses effets quand l'enfant entre en classe. Toutefois, l'observation permet de
développer son potentiel, tout en reconnaissant qu'il s'agit d'un partage
d'expérience et que la directrice de l'école ne se pose pas en expert. Le
souhait d'inclure le collège dans l'école est réel, matérialisé par la
rédaction d'un projet pédagogique mais l'intervenante considère que l'équipe
est encore trop dans la phase de démarrage de l'école pour le mettre en place.
Interrogée sur les suites de cet apprentissage, elle a pu difficilement en
parler puisque seuls deux enfants sont partis au collège dont un n'a pas donné
de nouvelles. Statistiquement, l'adaptation au collège conventionnel est
identique mais les enfants auront peut-être une meilleure conscience
d'eux-mêmes, une plus grande autonomie, seront plus à l'aise, auront une
capacité de recul lors de leur immersion dans un milieu différent et donc
auront des capacités d'adaptation. Cependant, tout dépendra de l'enseignant qui
sera moteur ou sera déstabilisé et le fera sentir face à un enfant au
comportement différent. La directrice qui a souligné la spécificité de
l'accompagnement des enfants dans leurs apprentissages a reconnu que le terme
d'enseignant convenait peu aux membres de l'équipe et le public a suggéré des
termes comme "accompagnateur à la liberté", "éclaireur
de confiance". Elle a modestement expliqué que les enfants les
appelaient par leurs prénoms. Elle a conclu en incitant les uns et les autres à
venir visiter l'école.
Texte et photos :
Laura Sansot
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire