Le 3 mai, le théâtre le Palace de Périgueux programmait le spectacle de Julian Blight, Relaps, créé par sa compagnie La Nébuleuse cette année 2016 à la Manufacture Atlantique de Bordeaux, un lieu dédié depuis 1997 aux artistes émergents, et présenté les 30, 31 mars et 1er avril. Le projet avait fait l'objet d'une première résidence à St Paul de Serres en décembre 2015 et d'une première restitution au Café lib' de Bourrou dont nous avions parlé dans un précédent article http://artpericite.blogspot.fr/2016/01/rencontre-avec-julian-blight-metteur-en.html puis au Carré des Colonnes http://www.lecarre-lescolonnes.fr/ avant deux avant-premières à Lilas en Scène (93) .
Pour ce début du mois de mai, le spectacle était joué dans la ville même du metteur en scène où il retrouvait famille et amis visiblement épatés par le travail. Celui-ci a été mené collectivement à partir d'improvisations sur plateau par une jeune équipe de moins de 30 ans dont on dit qu'elle appartient à la génération Y.
Copyright : La Nébuleuse
Comme l'explique Nathalie Brafman http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/05/18/generation-y-du-concept-marketing-a-la-realite_1703830_3224.html, cette génération est définie ainsi et en partie en référence aux fils des écouteurs accrochés aux oreilles qui donnent l'apparence de la lettre prononcée comme le mot why en anglais et qui illustre aussi son attitude à toujours s'interroger. C'est bien d'ailleurs ce qui ressort du spectacle, un véritable flux de paroles uniquement interrompu par des intermèdes musicaux bienvenus pour atténuer la nécessaire attention du public tant ce qui est dit est dense. Les deux personnages mis en scène ne cessent de se poser des questions, celles-ci fonctionnant même à vide au départ lorsque le jeune homme interprété par Jules Sagot, seul face aux spectateurs, répond aux interrogations qu'il se lance. Plus tard, il reconnaît être dans le doute perpétuel mais l'irruption du personnage féminin, interprété par Céline Martin-Sisteron, vient rompre ce monologue et engage un dialogue soutenu. Le personnage masculin qui n'a pas non plus de nom, signe probable de la volonté du collectif d'auteurs de construire un archétype, donne l'image d'un individu indifférent à tout, si ce n'est à lui-même, puisque finalement toute la pièce tourne autour de lui, la jeune femme servant de faire-valoir à ses questionnements. Elle le laisse d'ailleurs seul face à lui-même à la fin de la pièce. Semblant envisager un monde où tout se vaut, il montre combien ses occupations ne sont pas moins sérieuses que le travail de sondeuse de sa compagne, d'autant que ces sondages paraissent comme des outils de manipulation faciles à mettre en place auprès d'un public peu critique. Cette génération ne s'attend plus à trouver ni un sens dans un travail ni un métier stable mais uniquement un enchaînement d'emplois précaires. Voilà ce que la génération précédente lui a transmis.
C'est aussi la figure d'un individu peu impliqué qui transparaît, préférant ne pas agir plutôt que de rater parce que de toute façon, comme le dit l'Ecclésiaste dont le personnage masculin lit un passage, tout acte est vain et futile : le fou comme le sage sont condamnés à la mort. Sa compagne trace de lui le portrait peu reluisant d'un être essayant de tout contrôler, se posant en retrait du monde et lui renvoie, derrière son apparent détachement et sa hauteur de vue, son extrême banalité voire sa lâcheté et ses jugements binaires.
Peut-être est-ce sa manière d'envisager la culture qui le rend ainsi? Il a le sentiment de ne pouvoir distinguer les livres dont il a l'usage puisqu'ils sont tous lus "à l'aune de sa subjectivité", ce qui l'amène à se demander s'il doit continuer à se cultiver puisque finalement il a le sentiment de lire toujours le même livre, malgré des titres différents. Sa culture est matérialisée par un mur de livres et par un flot de références de répliques de films et de séries TV qu'il assène à sa compagne. La culture semble être devenue un bien de consommation dont il s'est gavé jusqu'à l'overdose, n'y trouvant plus un guide à son émancipation ni un sens à sa vie. Les livres peuplent les murs et s'étalent à même le sol un peu partout dans la pièce. Visiblement, ceux-ci sont passés d'un statut encore sacré dans la génération précédente à celui d'objet jetable avant sa disparition au profit des tablettes. Cette accumulation de référents culturels signe un trop-plein qui semble l'empêcher de penser. Cet excès empêche le désir y compris sexuel qu'illustre une scène suggérée derrière le canapé. La relation amoureuse, la relation avec l'Autre en général sont-elles possibles dans ces conditions tant le personnage masculin semble envahi par son narcissisme?
Toutefois, le canapé comme le mur ne vont pas tarder à tomber, tout en sachant la prise de risque que cela suppose. En effet, dans les première minutes du spectacle, avant l'arrivée du personnage féminin, le jeune homme a disposé au sol des livres qui représentent, explique-t-il, les synapses dans le cerveau qui assurent les connexions, métaphore des chemins de l'existence. Posant ses pieds sur ce chemin de livres censés le guider vers de nouveaux horizons, il montre le chemin que l'individu emprunte, privilégiant les voies connues à celles inexploitées. C'est pourtant la voie de l'inconnu qui est empruntée. Reste à savoir si c'est un choix ou le poids de ce trop-plein qui conduit à ce changement radical. Il est, en tout cas, une ouverture, tout comme l'est le moment où les personnages, animés de perpétuelles questions, se retrouvent lors d'une scène mémorable, peut-être la plus puissante de la pièce, sous les draps d'un canapé pliable qui a basculé, comme dans une matrice, pour imaginer comment faire renaître un monde plus égalitaire. Il s'agit d'un véritable dialogue constructif où l'on se dit que quelque chose est en germe. D'ailleurs, la source de lumière provient uniquement de cet endroit de la scène.
Pourtant, tout retombe vite quand la jeune femme découvre le désir de domination de son compagnon livrant sa vision d'un monde idéal. C'est d'ailleurs ce terme de relaps qui donne le nom à la pièce évoquant notamment "l'abandon d'une tentative d'aller vers un idéal pour retourner dans l'état que l'on cherchait à changer". Dans ce spectacle, on s'emballe beaucoup et vite. On multiplie et enchaîne les activités, on passe d'un sentiment à un autre sans crier gare. Il s'en dégage aussi une formidable énergie que les comédiens plein d'entrain savent transmettre. Cependant, devant un fond de scène assez sombre qui suggère un enfermement, ce zapping incessant paraît masquer un ennui et une solitude viscérale dans un monde où tous les repères s'effondrent.
Face à cela, le jeu peut-il être une parade? Si l'on arrive à se moquer de la mort, parce que la modernité tend par le transhumanisme à la dompter, quel sens a la vie? L'ennui ne guette-t-il pas à nouveau? Si l'amour est un jeu, comme il peut l'être sur les sites de rencontres en ligne brocardés à la fin du spectacle, existe-t-il encore? Peut-on se jouer de ces choses sacrées que sont eros et thanatos?
Julian a, semble-t-il, trouvé une réponse à ce monde instable, du moins pour lui-même et pour son public : "je préfère que l'on me raconte des histoires parce qu'il n'y a que ça". La création semble l'ultime moyen de se sauver.
Julian a, semble-t-il, trouvé une réponse à ce monde instable, du moins pour lui-même et pour son public : "je préfère que l'on me raconte des histoires parce qu'il n'y a que ça". La création semble l'ultime moyen de se sauver.
Texte et photos (sauf copyrights indiqués) : Laura Sansot
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