Le 29 novembre, le CRAC
organisait en partenariat avec la commune de Douzillac un parcours conté
constitué de deux parties : une balade autour de quelques lieux
historiques du village commentée par quelques-uns de ses habitants puis un
spectacle de la conteuse Monique Burg.
Comme l’a expliqué l’un des enfants (devenu grand) de la commune, Paul Mariuzzo-Raynaud, réquisitionné pour emmener le petit groupe vers les différents lieux, l’idée était de « faire participer les mémoires locales ».
Ainsi, André-Pierre Chavatte, auteur de plusieurs
ouvrages et à ce titre présent au salon du livre organisé ce jour-là à
Douzillac, a évoqué son ouvrage sur les 192 poilus, originaires de Douzillac ou
présents dans la commune lors du recensement, partis à la Grande Guerre : Douzillac. Parcours de poilus.
Sur ce
nombre, 49 sont morts au combat, soit environ 25% des personnes envoyées au
front entre 18 et 43 ans. Une famille avait vu mourir ses trois fils dans les
tranchées. Le monument aux morts a été érigé en 1926 suite à un appel d’offres
remporté par une société du Nord de la France dont les conditions stipulaient
que les matériaux et la main d’œuvre utilisés ne devaient en aucun cas être
allemands ! Il aura fallu 8 ans de délibérations pour aboutir à ce
monument réalisé à l’autre bout de la France.
Un important travail de recherche
aux Archives départementales a été mené par l’auteur qui s’est rendu sur les
tombes de Douzillac et Notre-Dame-de-Lorette dans le Nord.
La place a vu
l’ouverture d’un restaurant Le Moneta en 2008 dans un bâtiment qui accueillait
autrefois la famille Durieux : le maréchal-ferrant devenu tenancier de bar
dans lequel une habitante a, avec humour, suggéré qu’il « valait mieux boire dans les bouteilles que
dans les verres ». Dans les années 1830, y étaient hébergés les
écuries et le presbytère.
Quant au cimetière, il était à côté de l’église, ce
qui n’a plus été le cas à partir de 1843. L’église a été agrandie au XVè siècle
suite à la Guerre de Cent Ans puis remaniée aux XIXè et XXè siècle. Les deux
saints du village sont St Barthélémy et St Vincent, patron des vignerons car la
vigne poussait sur la commune avant l’arrivée du phylloxera.
A été évoqué
aussi la figure du Capitaine Maine, originaire de Mussidan, enterré au
cimetière de Douzillac, qui a fait, en tant que caporal, la bataille de Camerone
au Mexique au cours de laquelle 65 légionnaires ont combattu vaillamment pour
se retrouver au nombre de 5 ou 6 face à 2000 Mexicains, le 30 avril 1963.
Depuis les années 1960, début mai, l’Amicale des Anciens de la Légion Etrangère
se rend au village pour célébrer l’anniversaire de ce combat.
Puis, le groupe
s’est dirigé vers Guilhem Bas en s’arrêtant à la fontaine de la Fontigue
ou à l’Abreuvoir, au lieu dit Le Derrot (le roc, ro en occitan, le rocher), car
jusque dans les années 1960-70, quand il y avait encore de la polyculture, les
animaux venaient y boire, s’y attardaient parfois en rentrant le soir.
Le groupe s’est
retrouvé au lavoir de Guilhem réhabilité à la fin des années 1990, occasion
d’apprendre que le village comptait de nombreux lavoirs, sources, fontaines,
prétexte à une balade possible de 12 kms, la balade des 15 sources. Ces
curiosités étaient liées à l’animal fétiche du village, la salamandre tâchetée,
aussi emblème du club de foot local, que l’on retrouve sur une tour du château
de Mauriac. Elle était l’emblème de François 1er. Un habitant de
Douzillac, féru de faune et de flore, publie d'ailleurs chaque mois un billet sur ces
thèmes http://douzillacmonvillage.fr/category/faune-et-flore/.
Il a ainsi fait un écrit au sujet de cet amphibien, piètre nageur, capable de
se noyer dans l’eau. Une habitante se souvient que les femmes venaient au
lavoir avec leur "selle" car il n’y avait pas d’eau courante dans les maisons.
L’eau était potable.
Sous une pluie
fine, le groupe a pris le chemin du retour en passant par le salon du livre
pour arriver dans la salle des fêtes où le spectacle a été introduit par Agnès
Garcenot du CRAC. Celle-ci s’est félicitée du partenariat avec la commune pour
faire découvrir les trésors de Douzillac et clôturer ce parcours conté organisé
pendant 15 jours sur plusieurs communes. Elle a rendu hommage aussi à l’Agence
culturelle départementale qui s’est associée à ce projet.
Monique Burg est
une conteuse d’abord formée au métier de comédienne pendant 3 ans en Angleterre où elle arrive à l’âge de 24 ans. Après
11 ans dans ce pays, en 1993, elle décide de revenir en France et de vivre en
Dordogne d’où elle est originaire. Préférant travailler seule plutôt que de fonder une
troupe, elle se tourne finalement vers le conte en 1996.
Dans ses contes,
la langue occitane revient souvent, trace d’une histoire familiale où plusieurs
générations cohabitaient sous le même toit. Les interdits entourant le patois,
que les parents s’efforçaient de ne pas parler à leurs enfants, avaient moins
de prise sur les aînés. Ainsi, par les grands-parents se transmettaient les
dictons, les histoires, les contes, une base éducative pour les enfants,
notamment pour ceux qui avaient peu accès à l’école. Elle se souvient de sa grand-mère
qui racontait souvent une histoire plutôt que de dire « il ne faut pas ».
https://clo.revues.org/1773 Dans ses spectacles, Monique Burg fait appel
à l’occitan qu’elle traduit quand le public y est peu familier, comme dans les
autres langues qu’elle cite.
Le titre du
spectacle « Rien de neuf » renvoie à la réalité du conte qui avance
des vérités universelles : à travers les siècles, ils ne cessent de parler
des mêmes choses, mêmes si celles-ci revêtent des formes différentes selon les
pays et les régions, comme l’aspiration au pouvoir, la lutte pour y arriver et
celles entre classes sociales. Ainsi, l’histoire de l’Antoine et de la Simone,
un conte d’une bonne quarantaine de minutes qu’elle a intitulé « Rien de
neuf », évoque la figure typique et récurrente du machiste, du sexiste qui
a le goût du pouvoir et cherche à le conserver, rejette sur sa femme la responsabilité
de sa propre difficulté à trouver une solution (en fait, elle rate la mique de
son fait à lui). C’est aussi une expression fréquemment usitée dans les
campagnes, chez les paysans, une « forme
d’auto-dérision » chez ceux auxquels on reproche souvent « un certain immobilisme ». Ce
milieu, Monique Burg, cette fille de paysans, le connaît bien. C’est d’ailleurs
« à travers cette loupe »
qu’elle observe le monde, confie-t-elle.
Quand elle s’est
lancée dans le conte, elle a recherché des contes traditionnels de son pays en
les confrontant aux mêmes contes qui pouvaient apparaître sous des versions
différentes dans d’autres régions ou cultures. L’idée était alors de recenser à
chaque fois 4 ou 5 versions pour en extraire une « colonne vertébrale, des points communs ».
Dans la mesure où il
y avait une demande en Périgord (venue de centres d’accueil, de
restaurants...) de contes issus de la culture du pays, la conteuse les a
adaptés de cette manière, pouvant focaliser l’attention sur un
personnage particulier
qui aurait retenu sa propre attention plutôt qu'un autre.
Elle a aussi
écrit des histoires pour mettre en scène des thèmes, des mythes comme celui de
la chasse volante, racontée pendant le spectacle, ou le poisson lièvre. Elle se
souvient que cette histoire de chasse volante était racontée en Périgord mais elle
n’a pas trouvé d’écrit et a donc décidé d’en réaliser un.
Elle invente
parfois des contes comme celui mettant en scène le mythe du Drac
que l’on
trouve dans d’autres régions mais qu’elle a placé dans celle où elle vit
et où
elle conte le plus souvent. Il s’agit d’une figure méchante
appliquée au diable que l’on retrouve en Quercy et dans des contrées
plus
méridionales qui peut prendre la forme d’un cheval s’allongeant
indéfiniment, emportant fréquemment la jeunesse et la jettant dans une
rivière. Elle insère alors
ce personnage dans un conte actuel qui fait se confronter deux
mondes : une réalité contemporaine et le domaine du fantastique, un peu à
la manière de ce qu’elle a vécu dans son enfance. C’était l’époque où
son pays
entrait dans la « modernité », dans ces nouvelles idées
d’après-guerre mais où perduraient les croyances, les superstitions, des
convictions et une morale d’une autre époque. Cette rencontre du
fantastique et de la réalité, qui crée un choc dans ses contes, contribue à
« supprimer le temps »,
comme l'exprimait pertinemment une spectatrice au sortir du spectacle.
Dans sa région d’origine, les contes dont Monique Burg est fortement imprégnée sont
toujours bien présents : « je
porte cela en moi, ils appartiennent à ma réalité et travaillent en moi ».
Cette modernité des contes transparaît aussi dans son analyse sociologique qui
peut prendre la forme d’une anticipation. Sur le mode ironique, elle donne à
entendre et à voir, dans le conte « Rien de neuf », un Périgord loin
des images lisses où le tourisme, gangréné par l’argent, a fortement biaisé la
relation entre les habitants et les visiteurs et enlevé toute authenticité.
Toutefois, de cette manière, « le
pays se porte bien, le pays est prospère ». C’est aussi le prétexte à
des inventions truculentes d’abréviations comme le BEFL (Bureau de l’Energie et
de la Fierté Locale) qui remplacerait l’office du tourisme ou les PQEV
(Personnes en Quête d’Elles-mêmes par le Voyage). On s’amuse de la description
savoureuse d’un petit élu local prêt à tout pour garder son pouvoir, voire pour
monter en grade, illustrant la médiocrité de ce monde politique que Monique Burg ne
fréquente guère mais qui la fascine. Dans les contes qu’elle raconte, il y a
toujours une part de sa propre histoire : le personnage de Félix dans
« Rien de neuf » évoque un camarade de classe qui ne brillait pas par
ses performances scolaires et dont le maître, qui ne brillait pas lui-même par
ses méthodes pédagogiques (ceci expliquant peut-être cela), lui avait dit qu’il
n’était « bon qu’à cirer le 45è
parallèle ». Elle s’est souvenue de cette phrase lorsqu’elle a écrit
le conte. De même, Simone, accusée d’avoir raté la mique et qui décide de
quitter le foyer, rappelle une femme évoquée par son père quand elle était
enfant. Cette femme victime d’accusations mensongères de la part de son mari
avait refusé de se coiffer à une époque où cela ne pouvait que faire honte à la
famille.
Grâce à sa jolie voix, elle intègre a capella des chansons traditionnelles occitanes comme, ce jour-là, celle sur
la foire de Saint Clar ou une autre originaire de Provence dans laquelle une
jeune femme, délaissée pour une femme riche, en meurt de chagrin.
Enfin, dans les spectacles,
la conteuse peut faire aussi appel, sans en modifier le contenu, à des contes traditionnels du monde comme
celui de « La petite querelle ». Ce
dernier avait été raconté par Amadou Hampâthé Bâ, écrivain et ethnologue
malien, dans une réunion de l’ONU dans les années 1960 pour alerter sur le conflit israélo-palestinien.
Elle a aussi raconté, lors du rappel, l’histoire de la fourmi et du roi
Salomon. Ce 29 novembre, ces contes devaient résonner avec l’actualité et susciter une espérance auprès des spectateurs. Ils ont cette vertu.
Car la conteuse
cherche toujours à créer un lien avec son public. Si la scène est un passage
obligé, elle la considère, pourtant comme « une hérésie pour le conte ». Pour favoriser une plus grande
proximité, elle arrive souvent par l’arrière de la salle, comme elle l’a fait
cet après-midi-là, se met à siffler ou serre la main de quelques spectateurs.
En cours de spectacle, elle peut aussi faire répéter des phrases afin d’engendrer
une dynamique, créer un échange qui reste une prise de risque mais permet de renouer
avec les origines du conte. Si ce genre connait un renouveau depuis les années 1970, comme l’explique Monique Burg, il diffère, en s'étant davantage professionnalisé, de sa forme originelle plus intimiste où les
spectateurs, lors des veillées ou sur les places, entraient en dialogue avec le
conteur, commentant entre eux les histoires racontées. Ils pouvaient le faire,
toutefois, après le spectacle lors d’un verre offert par la mairie dans la
cantine-librairie où le salon du livre s’était achevé.
Peut-être auront-ils
évoqué avec elle sa manière très personnelle de relier passé et présent,
transportant, en quelques phrases, les spectateurs dans un autre univers tout
en faisant écho à des situations très contemporaines, ceci, par sa présence étonnante
sur scène, par son regard intense posé sur le public et sa mine sérieuse, par
sa voix mêlée d’accent occitan claire et ferme pour mieux le capter. Ils auront
probablement évoqué son analyse fine, sensible et pleine d’humour des relations
entre les êtres, leurs mesquineries, leur soif de pouvoir mais aussi leur
abnégation et leur courage en particulier celui des femmes, qu’ils vivent en
Périgord ou en Afrique, aujourd’hui ou il y a 300 ans. Ils auront enfin perçu
que, derrière cette peinture parfois acerbe de l’humanité, se cache un profond
attachement de la conteuse à ses personnages car ils disent ce qu’est la vie
dans toute sa beauté et sa dureté.
Texte et photos : Laura Sansot
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