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21/03/2015

CIRCA TSUICA PRSENTE "MAINTENANT OU JAMAIS" A L'AGORA



Le centre culturel de l'Agora à Boulazac accueillait du 14 au 20 mars dans la plaine de Lamoura et sous chapiteau un spectacle de cirque réalisé par Circa Tsuïca. C'est la fanfare cirque de Cheptel Aleïkoum. Ce collectif  rassemble des membres de la quinzième promotion du Centre National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne (2003), comme l'expliquent Fanny Mandonnet, la costumière et Guillaume Dutrieux, qui, lui, a surtout une formation de musicien. Après un répit hivernal de 2 mois, l'équipe a repris la route lors d'une tournée partie de Belgique, en passant par la Dordogne et la Normandie, pour y revenir le 2 avril, afin de présenter le spectacle "Maintenant ou jamais" créé en 2014. La jeune compagnie s'est déjà fait remarquer pour ses 3 spectacles (Opus 2, Fanfarerie Nationale et Opus 7).

La scénographie commence avant même l'entrée sous chapiteau en longeant les caravanes où résident tous les membres de l'équipe, en tout 11 acrobates et musiciens, des techniciens et la responsable de la diffusion.
Lorsque les spectateurs pénètrent sous le chapiteau, avant l'heure annoncée du début du spectacle, celui-ci a déjà commencé. Le public est convié à venir prendre un verre et déguster quelques mets mis à disposition sur la piste parmi les musiciens déjà à l'oeuvre au milieu des spectateurs ou dans les gradins. D'emblée, les auteurs du spectacles, dont font partie tous les artistes présents sur scène, se trouvent mêlés au public, interrogeant un autre rapport entre deux entités habituellement distinctes.
 
 
 

Ce mélange est constitutif même du nom du collectif dont est issue cette fanfare cirque puisque le nom du collectif renvoie pour l'un (le cheptel) à "l'ensemble des identités, des désirs, des points de vue différents réunis dans un même groupe" et pour l'autre (aleïkoum) au "désir d'ouverture et de partage". http://www.cheptelaleikoum.com/index.php Cette communion apparait dès le premier numéro puisque les artistes choisissent des spectateurs pour danser avec eux ou grimper sur la selle d'un vélo récompensés par un verre offert à siroter sur scène. Une autre fois, les spectateurs désignés et disposés tout autour de la piste doivent chacun frapper sur une grosse caisse conduite par un cycliste-musicien à chacun de ses passages en veillant à ne pas taper machinalement sur les cyclistes en piste aussi et sans grosse caisse! Les artistes procurent quelques frayeurs au spectateur invité à se laisser tomber en arrière de tout son long sur les mains et bras vigoureux des artistes. Devrait-on parler de frayeur sinon de confiance : pourquoi ne pas faire confiance à l'Autre? Une autre fois encore, ce sont deux hommes dans le public, visiblement des enseignants venus avec leurs classes (le 17 mars), qui deviennent les héros d'un mariage flamboyant, des enfants du public se voient confiés la charge de tenir la traîne tandis que le public, inondé de flashs de lumière et de musique joyeuse, à qui l'on distribue des foulards, est invité à les faire tourner. Dans un autre numéro, des couvertures sont installées sur la piste, un maximum de personnes pouvant venir s'y installer pour participer au numéro. En effet, une artiste incite celui qui le voudra à venir la serrer dans ses bras pour l'encourager avant son saut à la bascule. C'est un puis deux puis plusieurs spectateurs qui l'enserrent formant une union chaleureuse. On comprend alors mieux ce que les artistes expliquent quand ils présentent leur spectacle : "Est-­il utopique de vouloir inventer un autre rapport au public et à l'autre? D'être simplement ensemble, dans le présent et heureux de l'être? De laisser la place aux avis et aux différences de chacun au sein d'un même groupe et par extension d’une société ? Est-ce encore possible de rêver ensemble un monde idéal ?". A l'issue d'un saut périlleux depuis une bascule, le dernier artiste à s'élancer propose un moment de convivialité autour d'un verre et sur la piste, créant une communion exceptionnelle d'un bout à l'autre du spectacle.

En ces temps où le collectif se délite, nous avons bien besoin de spectacles engagés comme celui-là et c'est un bon signe qu'il ait du succès là où il est monté.
Parmi ces outils du collectif, apparaît le vélo qui, dans ce spectacle porte bien le nom de Petite Reine tant est grande la place qui lui est accordée. Ce vélo acrobatique, auquel se sont formés les artistes pendant un an, est, comme l'expriment les auteurs, "une discipline choisie pour son lien avec le quotidien et abordée collectivement comme l’outil de tous les possibles...". Ils poursuivent : « Nous  sommes tombés sous le charme de cette discipline collective drôle où il s’agit de jouer avec un objet rempli de symboles : populaire, simple, libre, humain ».
Le verre de l’amitié offert à la fin du spectacle était d’ailleurs à son effigie !
Emmené par cette troupe de musiciens et d’acrobates, le spectacle dégage une formidable énergie et joie de vivre, le mouvement est permanent et l’humour, distillé à petite touche, est au rendez-vous. Le public s’amuse de positions suggestives (mais non vulgaires) vélocipédiques, des choix d’encadrement par des roues de vélo détachées réalisés à chaque fois sur 2 spectateurs d’un bout à l’autre des gradins, formant comme des tableaux de portraits, créant par là-même des couples inattendus et rapprochant ainsi les individus. On admire aussi toutes les possibilités musicales d’un vélo posé à l’envers. Le ton devient plus grave quand des hommes aux lunettes teintées enferment dans une cage des personnages, rappelant des heures sombres, et quand ceux-ci laissés pour morts deviennent des objets utilisés pour jouer de la musique. Le public applaudissant est renvoyé à sa propre complicité avec des spectacles où l’humanité est dégradée et dont il est peut-être le témoin dans sa vie quotidienne. Toutefois, une note d’espoir semble se dégager car ces pantins déshumanisés se relèvent à la fin du numéro et laisse la place à une jeune femme qui choisit elle-même d’utiliser son propre corps pour créer une partition musicale.
On voit combien l’utopie est à l’œuvre (c'est "maintenant ou jamais") dans ce spectacle profondément généreux et vivant. D’ailleurs, tsuica signifie « eau de vie ». « Les utopies ne sont que des vérités prématurées », disait Lamartine. On est heureux que des intermittents existent encore pour nous les faire partager et imaginer.

Texte et photos : Laura Sansot

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