Le centre culturel de l'Agora à Boulazac accueillait du 14 au
20 mars dans la plaine de Lamoura et sous chapiteau un spectacle de cirque
réalisé par Circa Tsuïca. C'est la fanfare cirque de Cheptel Aleïkoum. Ce
collectif rassemble des membres de la quinzième promotion du Centre
National des Arts du Cirque de Châlons-en-Champagne (2003), comme l'expliquent
Fanny Mandonnet, la costumière et Guillaume Dutrieux, qui, lui, a surtout une
formation de musicien. Après un répit hivernal de 2 mois, l'équipe a repris la
route lors d'une tournée partie de Belgique, en passant par la Dordogne et la
Normandie, pour y revenir le 2 avril, afin de présenter le spectacle "Maintenant
ou jamais" créé en 2014. La jeune compagnie s'est déjà fait remarquer
pour ses 3 spectacles (Opus 2, Fanfarerie Nationale et Opus 7).
La scénographie commence avant même l'entrée sous chapiteau en longeant les caravanes où résident tous les membres de l'équipe, en tout 11 acrobates et musiciens, des techniciens et la responsable de la diffusion.
Lorsque les spectateurs pénètrent sous le chapiteau, avant
l'heure annoncée du début du spectacle, celui-ci a déjà commencé. Le public est
convié à venir prendre un verre et déguster quelques mets mis à disposition sur
la piste parmi les musiciens déjà à l'oeuvre au milieu des spectateurs ou dans
les gradins. D'emblée, les auteurs du spectacles, dont font partie tous les
artistes présents sur scène, se trouvent mêlés au public, interrogeant un autre
rapport entre deux entités habituellement distinctes.
Ce mélange est constitutif même du nom du collectif dont est
issue cette fanfare cirque puisque le nom du collectif renvoie pour l'un (le
cheptel) à "l'ensemble des identités, des désirs, des points de vue
différents réunis dans un même groupe" et pour l'autre (aleïkoum) au
"désir d'ouverture et de partage". http://www.cheptelaleikoum.com/index.php
Cette communion apparait dès le premier numéro puisque les artistes
choisissent des spectateurs pour danser avec eux ou grimper sur la selle d'un
vélo récompensés par un verre offert à siroter sur scène. Une autre fois, les
spectateurs désignés et disposés tout autour de la piste doivent chacun frapper
sur une grosse caisse conduite par un cycliste-musicien à chacun de ses
passages en veillant à ne pas taper machinalement sur les cyclistes en piste
aussi et sans grosse caisse! Les artistes procurent quelques frayeurs au
spectateur invité à se laisser tomber en arrière de tout son long sur les mains
et bras vigoureux des artistes. Devrait-on parler de frayeur sinon de confiance
: pourquoi ne pas faire confiance à l'Autre? Une autre fois encore, ce sont
deux hommes dans le public, visiblement des enseignants venus avec leurs
classes (le 17 mars), qui deviennent les héros d'un mariage flamboyant, des
enfants du public se voient confiés la charge de tenir la traîne tandis que le
public, inondé de flashs de lumière et de musique joyeuse, à qui l'on distribue
des foulards, est invité à les faire tourner. Dans un autre numéro, des
couvertures sont installées sur la piste, un maximum de personnes pouvant venir
s'y installer pour participer au numéro. En effet, une artiste incite celui qui
le voudra à venir la serrer dans ses bras pour l'encourager avant son saut à la
bascule. C'est un puis deux puis plusieurs spectateurs qui l'enserrent formant
une union chaleureuse. On comprend alors mieux ce que les artistes expliquent
quand ils présentent leur spectacle : "Est-il utopique de vouloir
inventer un autre rapport au public et à l'autre? D'être simplement ensemble,
dans le présent et heureux de l'être? De laisser la place aux avis et aux
différences de chacun au sein d'un même groupe et par extension d’une société ?
Est-ce encore possible de rêver ensemble un monde idéal ?". A l'issue d'un
saut périlleux depuis une bascule, le dernier artiste à s'élancer propose un
moment de convivialité autour d'un verre et sur la piste, créant une communion
exceptionnelle d'un bout à l'autre du spectacle.
En ces temps où le collectif se délite, nous avons bien
besoin de spectacles engagés comme celui-là et c'est un bon signe qu'il ait du succès
là où il est monté.
Parmi
ces outils du collectif, apparaît le vélo qui, dans ce spectacle porte bien le
nom de Petite Reine tant est grande la place qui lui est accordée. Ce vélo
acrobatique, auquel se sont formés les artistes pendant un an, est, comme
l'expriment les auteurs, "une discipline choisie pour son lien avec le
quotidien et abordée collectivement comme l’outil de tous les possibles...".
Ils poursuivent : « Nous sommes tombés sous le charme de cette
discipline collective drôle où il s’agit de jouer avec un objet rempli de
symboles : populaire, simple, libre, humain ».
Le verre de l’amitié offert à la fin du spectacle
était d’ailleurs à son effigie !
Emmené par cette troupe de musiciens et d’acrobates,
le spectacle dégage une formidable énergie et joie de vivre, le mouvement est permanent
et l’humour, distillé à petite touche, est au rendez-vous. Le public s’amuse de
positions suggestives (mais non vulgaires) vélocipédiques, des choix
d’encadrement par des roues de vélo détachées réalisés à chaque fois sur 2
spectateurs d’un bout à l’autre des gradins, formant comme des tableaux de
portraits, créant par là-même des couples inattendus et rapprochant ainsi les
individus. On admire aussi toutes les possibilités musicales d’un vélo posé à
l’envers. Le ton devient plus grave quand des hommes aux lunettes teintées
enferment dans une cage des personnages, rappelant des heures sombres, et quand
ceux-ci laissés pour morts deviennent des objets utilisés pour jouer de la
musique. Le public applaudissant est renvoyé à sa propre complicité avec des
spectacles où l’humanité est dégradée et dont il est peut-être le témoin dans
sa vie quotidienne. Toutefois, une note d’espoir semble se dégager car ces
pantins déshumanisés se relèvent à la fin du numéro et laisse la place à une
jeune femme qui choisit elle-même d’utiliser son propre corps pour créer une
partition musicale.
On voit combien l’utopie est à
l’œuvre (c'est "maintenant ou jamais") dans ce spectacle profondément généreux et vivant. D’ailleurs, tsuica
signifie « eau de vie ». « Les
utopies ne sont que des vérités prématurées », disait Lamartine. On
est heureux que des intermittents existent encore pour nous les faire partager
et imaginer.
Texte et photos : Laura Sansot
Texte et photos : Laura Sansot
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