Quand une chanteuse grecque, Angélique Ionatos, rencontre, le 8 février, les spectateurs de l'Odyssée, elle leur parle de son pays, la Grèce qu'elle a quitté à l'âge de 14 ans, pour fuir la dictature des colonels (1967-1974).
Angélique Ionatos parle français, langue qu'elle a apprise en s'installant en Belgique en 1969 puis rapidement en France. Son premier album, Résurrection, est d'ailleurs écrit dans cette langue. Puis, en 1977, elle éprouve le besoin de revenir à sa langue maternelle. L'exil lui fait prendre conscience que le grec est sa véritable patrie. Alors, durant le spectacle, elle dit des textes en français et les chante en grec. Ces textes, ce sont des poèmes.
Crédit photo : France Inter http://www.franceinter.fr/personne-angelique-ionatos |
Angélique Ionatos parle français, langue qu'elle a apprise en s'installant en Belgique en 1969 puis rapidement en France. Son premier album, Résurrection, est d'ailleurs écrit dans cette langue. Puis, en 1977, elle éprouve le besoin de revenir à sa langue maternelle. L'exil lui fait prendre conscience que le grec est sa véritable patrie. Alors, durant le spectacle, elle dit des textes en français et les chante en grec. Ces textes, ce sont des poèmes.
La poésie pour lutter contre le désespoir, c'est ce que propose son dernier spectacle intitulé "Et les rêves prendront leur revanche", créé en juin 2012, dans le cadre des "Chantiers d'Europe" du Théâtre de la Ville à Paris. Ce titre, elle l'emprunte à l'un des plus grands poètes grecs, Odysséeas Elytis, prix Nobel de littérature en 1979, qu'elle qualifie d'Homère contemporain. Il est issu de son texte monument "Axion Esti" , acte fondateur de la poésie grecque. Dans un texte de ce livre intitulé "Propheticon", il répond à la question "Toi, le poète exilé dans ton siècle, dis-nous ce que tu vois? : "Je vois un temps où le bonheur se vendra en boîtes de conserve, où chacun aura sa petite part de rêve et viendront les années tristes". Toutefois, il finit en déclarant : "les rêves prendront leurs revanche". Comme Angélique Ionatos l'explique dans un entretien sur France Culture en 2012 au sujet de ce spectacle donné au Théâtre de la Ville de Paris, Odysseus Elytis était un visionnaire. Il n'était pas pessimiste mais lucide et il croyait en l'homme. http://www.franceculture.fr/evenement-angelique-ionatos-et-les-reves-prendront-leur-revanche-odyseas-elytis
Odysseas Elytis
Pour elle, "la parole poétique est une parole prophétique et politique". "Le poète est un démiurge, un créateur". Elle regrette que "l'on n'écoute pas assez les poètes" dont l'art est premier, celui dont découle tous les autres. Selon elle, "il nous faut interroger nos poètes pour retrouver la mémoire et l’utopie tout à la fois". Yannis Ritsos (1909-1990), autre poète grec, estime que "la poésie a inventé le monde mais le monde l'a oublié". Elle évoque aussi Kiki Dimoula (née en 1931), cette poétesse qui lie poésie et combat dont elle se sent très proche quand elle dit : "Je sais que je dois me battre". Pour la chanteuse, il est du "devoir des artistes, de tout être humain de lutter contre cette humiliation que subit l'être humain". Elle poursuit : "on nous empêche de penser, ça les arrange beaucoup". A la journaliste, Caroline Broué, qui lui demande qui elle désigne ainsi, elle répond par un mot de Ferré : " le capital qui joue aux dés notre royaume". Dans le discours, Angélique Ionatos se montre très virulente. Elle exprime sa colère face à ce qui se passe, face à la ploutocratie qu'elle assimile à une nouvelle barbarie. "Même si la Grèce est sauvée, alors quoi? On va recommencer comme avant? On va continuer dans ce monde matérialiste? (...) Il ne suffit pas d'être sauvé par les banques. Il est temps de changer complètement notre point de vue sur le monde. Nous ne pouvons pas continuer à être sur un îlot de richesse et laisser crever les 9/10è de cette Terre". Durant le spectacle, elle transmet sa révolte quand elle s'exprime entre les chansons. Elle parle de la situation de son pays qu'elle connaît bien puisque, depuis 1982, elle vit entre Athènes et Paris. Elle évoque Dimitris Mortoyas, poète de la diaspora, mort à Londres en 1974 à 43 ans et qui imaginait déjà que les classes moyennes deviendraient fascisantes. Elle doute des bonnes intentions d'Angela Merkel et rappelle, avec le sourire, ce que l'Europe doit à la Grèce : "si vous deviez donner un sous à chaque fois que vous utilisez un mot issu du grec, la dette grecque serait vite remboursée et Angela, on n'en parlerait plus!", suscitant les rires du public. Parce que la situation en Grèce est dramatique, elle évoque cette histoire : une petite fille que sa mère ne venait pas chercher à la sortie de l'école et dont l'institutrice inquiète avait trouvé, dans les poches de l'enfant, ce mot : "je ne viendrai pas chercher ma fille, je ne peux pas l'élever". Elle ajoute : "fait divers" aujourd'hui en Grèce.
En revanche, Angélique Ionatos explique que lorsque l'on chante, on n'a pas besoin de se mettre en colère. Sa résistance à elle, c'est l'art, le chant. "La scène, dit-elle, doit rester un espace d'intelligence et d'émotion. Dès lors que l'émotion est atteinte, l'intelligence est ouverte pour accueillir quelque chose".
Et c'est par son chant grave, rauque, magnifique et profond que l'on entre dans l'univers de cette femme aussi compositrice et merveilleuse guitariste. Pour mettre en valeur la beauté de cet art, un décor très épuré s'offre au public. L'artiste et ses musiciens interprètent, entre autres, Les cigales, Soleil de justice, Courage, Habitudes, des extraits de Maria Nefeli, poème scénique d'Odysseus Elytis.
"Les chansons commencent souvent de façon calme puis montent en tension", remarque Caroline Broué. Certains chants aux accents de musique contemporaine communiquent une certaine mélancolie, une plainte. Quand les guitares s'emballent et que le chant se fait plus puissant et plus vibrant, on retrouve la même intensité que celle des chants du flamenco. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si elle s'est entourée d'un magnifique violoncelliste, Caspar Claus, fils du guitariste flamenco Pedro Soler. Ce jeune artiste de 32 ans explore toutes les capacités de son instrument au delà de son utilisation habituelle dont le concert nous a montré quelques exemples. L'artiste vedette était aussi accompagnée sur scène par Katerina Fotinaki, cette Crétoise qui a fait ses études à Athènes et qui est arrivée en France en 2006, pour l'accompagner dans le spectacle Sappho de Mytilène, grande poétesse antique. Patrick Labesse (Le Monde) évoque la "voix évanescente et aérienne" de cette artiste. Elles se sont rencontrées grâce à un ami commun, le baryton, Spyros Sakkas, professeur de chant de Katerina. Sur la scène de l'Odyssée, elle a parlé de ces jeunes gens comme "des amis" dont elle admire l'impertinence et l'énergie et à qui elle peut, de son côté, transmettre une certaine expérience. La transmission prend d'ailleurs de plus en plus d'importance pour elle qui a déjà réalisé près d'une vingtaine d'albums en composant sur les textes des plus grands poètes grecs (Elytis, Ritsos, Palamas, Varnalis...).
Un des textes qu'Angélique Ionatos a dit en français durant le spectacle, Courage, en guise d'espoir :
« Courage mes colombes, mes anémones,
Mes belles compagnes esseulées, mes Antigones!
Là où la noirceur couve et se tapisse
Vous, devenez des soleils qui se hissent.
Parfois, la ruelle sombre mène à une place fleurie
Parfois, même le malheur s'ouvre sur l'embellie
Et c'est dans la désolation et dans le noir
qu'embauche et s'enracine la mémoire.»
(extrait de O Hélios o Héliotoras de Odysseus Elytis)
Pour ceux qui n'ont pas pu voir son concert, il est possible de revoir celui donné au Théâtre de la Ville le 13 juin 2012 http://angelique-ionatos.com/... mais rien ne vaudra jamais un concert en direct de cette magnifique artiste exigeante et résistante.
Texte et photos (sauf mention contraire) : Laura Sansot
Odysseas Elytis
Crédit photo : site officiel d'Angélique Ionatos http://angelique-ionatos.com/odysseus-elytis/ |
Pour elle, "la parole poétique est une parole prophétique et politique". "Le poète est un démiurge, un créateur". Elle regrette que "l'on n'écoute pas assez les poètes" dont l'art est premier, celui dont découle tous les autres. Selon elle, "il nous faut interroger nos poètes pour retrouver la mémoire et l’utopie tout à la fois". Yannis Ritsos (1909-1990), autre poète grec, estime que "la poésie a inventé le monde mais le monde l'a oublié". Elle évoque aussi Kiki Dimoula (née en 1931), cette poétesse qui lie poésie et combat dont elle se sent très proche quand elle dit : "Je sais que je dois me battre". Pour la chanteuse, il est du "devoir des artistes, de tout être humain de lutter contre cette humiliation que subit l'être humain". Elle poursuit : "on nous empêche de penser, ça les arrange beaucoup". A la journaliste, Caroline Broué, qui lui demande qui elle désigne ainsi, elle répond par un mot de Ferré : " le capital qui joue aux dés notre royaume". Dans le discours, Angélique Ionatos se montre très virulente. Elle exprime sa colère face à ce qui se passe, face à la ploutocratie qu'elle assimile à une nouvelle barbarie. "Même si la Grèce est sauvée, alors quoi? On va recommencer comme avant? On va continuer dans ce monde matérialiste? (...) Il ne suffit pas d'être sauvé par les banques. Il est temps de changer complètement notre point de vue sur le monde. Nous ne pouvons pas continuer à être sur un îlot de richesse et laisser crever les 9/10è de cette Terre". Durant le spectacle, elle transmet sa révolte quand elle s'exprime entre les chansons. Elle parle de la situation de son pays qu'elle connaît bien puisque, depuis 1982, elle vit entre Athènes et Paris. Elle évoque Dimitris Mortoyas, poète de la diaspora, mort à Londres en 1974 à 43 ans et qui imaginait déjà que les classes moyennes deviendraient fascisantes. Elle doute des bonnes intentions d'Angela Merkel et rappelle, avec le sourire, ce que l'Europe doit à la Grèce : "si vous deviez donner un sous à chaque fois que vous utilisez un mot issu du grec, la dette grecque serait vite remboursée et Angela, on n'en parlerait plus!", suscitant les rires du public. Parce que la situation en Grèce est dramatique, elle évoque cette histoire : une petite fille que sa mère ne venait pas chercher à la sortie de l'école et dont l'institutrice inquiète avait trouvé, dans les poches de l'enfant, ce mot : "je ne viendrai pas chercher ma fille, je ne peux pas l'élever". Elle ajoute : "fait divers" aujourd'hui en Grèce.
En revanche, Angélique Ionatos explique que lorsque l'on chante, on n'a pas besoin de se mettre en colère. Sa résistance à elle, c'est l'art, le chant. "La scène, dit-elle, doit rester un espace d'intelligence et d'émotion. Dès lors que l'émotion est atteinte, l'intelligence est ouverte pour accueillir quelque chose".
Et c'est par son chant grave, rauque, magnifique et profond que l'on entre dans l'univers de cette femme aussi compositrice et merveilleuse guitariste. Pour mettre en valeur la beauté de cet art, un décor très épuré s'offre au public. L'artiste et ses musiciens interprètent, entre autres, Les cigales, Soleil de justice, Courage, Habitudes, des extraits de Maria Nefeli, poème scénique d'Odysseus Elytis.
"Les chansons commencent souvent de façon calme puis montent en tension", remarque Caroline Broué. Certains chants aux accents de musique contemporaine communiquent une certaine mélancolie, une plainte. Quand les guitares s'emballent et que le chant se fait plus puissant et plus vibrant, on retrouve la même intensité que celle des chants du flamenco. Ce n'est d'ailleurs peut-être pas un hasard si elle s'est entourée d'un magnifique violoncelliste, Caspar Claus, fils du guitariste flamenco Pedro Soler. Ce jeune artiste de 32 ans explore toutes les capacités de son instrument au delà de son utilisation habituelle dont le concert nous a montré quelques exemples. L'artiste vedette était aussi accompagnée sur scène par Katerina Fotinaki, cette Crétoise qui a fait ses études à Athènes et qui est arrivée en France en 2006, pour l'accompagner dans le spectacle Sappho de Mytilène, grande poétesse antique. Patrick Labesse (Le Monde) évoque la "voix évanescente et aérienne" de cette artiste. Elles se sont rencontrées grâce à un ami commun, le baryton, Spyros Sakkas, professeur de chant de Katerina. Sur la scène de l'Odyssée, elle a parlé de ces jeunes gens comme "des amis" dont elle admire l'impertinence et l'énergie et à qui elle peut, de son côté, transmettre une certaine expérience. La transmission prend d'ailleurs de plus en plus d'importance pour elle qui a déjà réalisé près d'une vingtaine d'albums en composant sur les textes des plus grands poètes grecs (Elytis, Ritsos, Palamas, Varnalis...).
Un des textes qu'Angélique Ionatos a dit en français durant le spectacle, Courage, en guise d'espoir :
« Courage mes colombes, mes anémones,
Mes belles compagnes esseulées, mes Antigones!
Là où la noirceur couve et se tapisse
Vous, devenez des soleils qui se hissent.
Parfois, la ruelle sombre mène à une place fleurie
Parfois, même le malheur s'ouvre sur l'embellie
Et c'est dans la désolation et dans le noir
qu'embauche et s'enracine la mémoire.»
(extrait de O Hélios o Héliotoras de Odysseus Elytis)
Pour ceux qui n'ont pas pu voir son concert, il est possible de revoir celui donné au Théâtre de la Ville le 13 juin 2012 http://angelique-ionatos.com/... mais rien ne vaudra jamais un concert en direct de cette magnifique artiste exigeante et résistante.
Texte et photos (sauf mention contraire) : Laura Sansot
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