Depuis 2005, le Théâtre Grandeur Nature propose des résidences artistiques au cours desquelles un ou plusieurs comédiens, musiciens, danseurs, poètes travaillent ensemble autour d'un projet qu'ils présentent lors d'un spectacle public. C'était le cas de la Compagnie Pierrot Noir accueillie du 3 au 6 février, soit quelques jours pour rôder, peaufiner les arrangements d'un spectacle musical déjà programmé 7 ou 8 fois en Dordogne depuis un an : "Et Caetera".
http://pierrot-noir.skynetblogs.be/
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Affiche du spectacle que Pierrot Noir a lui-même réalisée |
Cette fois-ci, Philippe Le Velly, alias Pierrot Noir, avait choisi de mettre en avant ses propres compositions, sans oublier, pour autant, de chanter des textes de son auteur fétiche Gaston Couté, poète libertaire, chansonnier beauceron, mort prématurément à 31 ans, en 1911, des suites de la tuberculose, d'un abus de l'absinthe et d'une vie faite de privations. Pierrot Noir a, en effet, réalisé plusieurs disques sur cet homme libre dont la poésie est, selon lui, "pétrie d'humanité", "puissante et libérée de toute entrave esthétique inutile". Cet attachement et cette volonté de faire vivre le souvenir de cet artiste, c'est une manière de dire combien ces textes peuvent résonner (voire raisonner notre monde contemportain) encore aujourd'hui. L'esprit de révolte est toujours d'actualité.
Gaston Couté |
On pense à "Les mangeux d'terre", "La chanson d'un gars qu'a mal tourné" ou le spectacle "Cantique païen".
Dans le spectacle donné au Paradis, on a savouré la magnifique chanson de Couté Sur le pressoir ou celle intitulée Notre Dame des sillons http://www.poesie.net/coute.htm
Les chansons de Pierrot Noir sont inspirées de cet univers de Gaston Couté. On vante la beauté des femmes (Le Tertre St Aman, Mademoiselle), le réconfort qu'elles peuvent apporter (Marlène) ou l'on s'en moque allègrement (La java d'la grosse Lulu). On chante des chansons d'amour (Et Caetera) ou un peu coquines (Amélie).
On s'insurge contre tous les pouvoirs, capitalistes (La hâche de guerre) ou religieux (La dernière tentation). D'ailleurs, pour cette chanson, Pierrot Noir a souri en disant qu'elle n'avait bien sûr rien à voir avec les évènements récents! On dénonce aussi l'hypocrisie, on en appelle à l'insoumission dans Comme un cheyenne ou dans Le Poilu. Il s'agit, "enfants de la patrie", de "refuser d'obéir". "La désobéissance est un devoir quand on oblige un être humain au crime organisé". "Sachons être mutins plutôt que mutilés". On donne une place aux sans-papiers (Clandestin), aux SDF (La hâche de guerre). On chante un pays commun, La Beauce (J'm'en viens d'un pays), dont on magnifie les paysages mais qui n'aime guère l'étranger, où l'on ne pense qu'à exploiter la terre pour faire du "rendement", où "il n'y a plus de chemineux, où il n'y a même plus de chemins offerts aux amoureux".
Pierrot Noir nous emporte dans des chansons réalistes, poétiques, où se mêlent amours et révolution, parfois aux accents de jazz manouche, de java. On sourit et on peut être ému par ces chansons tendres, révoltées ou drôles. Mais celui qui, par l'intermédiaire d'un des personnages de ses chansons, dit "ne plus vouloir engraisser les maquereaux, les maquerelles", qui a "renoncé au troupeau", "ne broute plus avec les veaux" doit se frayer un chemin dans un monde de la chanson où il est de plus en plus difficile de se faire entendre quand on a cette liberté de ton. Il ne faut plus alors compter que sur le milieu underground, comme explique Philippe Le Velly ('on n'y dénombre rarement plus de 70 spectateurs par concert) ou sur les plateaux découvertes où des professionnels sont rassemblés pour entendre 5 ou 6 artistes par soirée qui, de cette manière, se font connaître. On ne remerciera donc jamais assez des lieux confidentiels mais ô combien nécessaires, comme Le Paradis ou le Théâtre de la Poivrière, qui a programmé ce spectacle en novembre 2014, d'accueillir ces artistes peu conventionnels et pourtant si vrais. Si un public encore plus nombreux aurait ravi les musiciens, leur réelle complicité et leur plaisir de jouer ensemble se lisaient sur les visages et donnaient à ce spectacle toute son authenticité.
De gauche à droite : Rodrigue Maurand à la contrebasse, Alain Moreau à l'accordéon et au bandonéon, Kevin Castagna à la guitare, auteurs des arrangements et de certaines musiques, entouraient Philippe Le Velly, au centre.
Texte et photos : Laura Sansot
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