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08/02/2017

SOUS LA PEAU DES FILLES, LES HOMMES SONT-ILS SI DIFFERENTS?

Le 28 janvier, la Grande Métairie proposait, une fois n'est pas coutume, une soirée-concert à la salle des fêtes de La Rochebeaucourt. Suite au redoux et parce que les activités de l'association ont de plus en plus de succès, le public était venu en nombre (plus de 120 personnes) pour écouter un groupe musical installé dans la Drôme mais qui parcourt la France et les pays voisins pour faire entendre des reprises de chansons françaises.
Les quatre compères ont créé leur ensemble il y a tout juste 20 ans et Jean-Michel Mouron (l'homme encravaté) a eu l'idée de le nommer ainsi en référence aux multiples sens que l'on pouvait donner au mot caisse, notamment dans l'univers musical de quatre hommes en tournée.
Depuis des années, ces amateurs de chansons françaises reprennent les textes des autres et ont même le privilège de chanter des chansons écrites pour eux. Certains "chantistes", comme ils aiment à se présenter, ont même pris des cours de chant auprès de Chantal Verschueren, cette enseignante, chef de choeur, à l'origine de l'association La Grande Métairie et qui n'a pas manqué de rappeler les prochaines festivités.
 
Outre le chant, ils s'accompagnent de divers instruments :

contrebasse (Bruno Martins), 
accordéon, clarinette basse, (Dominique Bouchery),
guitare et dulcimer à marteaux (Gilles Raymond), un instrument en vogue au temps de Marie-Antoinette, a précisé Dominique Bouchery, que le mauvais souvenir laissé par la dame dans l'histoire de France a jeté aux oubliettes, du moins a relégué de l'autre côté de l'Atlantique avant de revenir en Europe.
Depuis leur premier concert en janvier 1997, les quatre artistes n'ont d'ailleurs pas chômé en sortant pas moins de huit disques depuis le tout premier Fallait pas me faire chier la veille jusqu'au dernier opus issu d'une des premières représentations du spectacle, Sous la peau des filles, dont le titre revient au dramaturge Eugène Durif et la mise en scène et le livret (les commentaires dits par les artistes entre chaque chanson) à l'auteure-compositrice-interprète Juliette. Les souvenirs heureux d'une première partie de concerts de la célèbre chanteuse les ont incités à lui proposer de faire la mise en scène d'un précédent spectacle Je hais les gosses commandé par le théâtre d'Ivry-Sur-Seine. Le public jeunesse auquel il était destiné représentait une véritable gageure étant donné le répertoire du regretté chanteur peu développé (quoiqu'il y ait ce Patin, Pantine) voire hostile en la matière!
Forts de cette expérience, les interprètes qui ont choisi de se lancer dans le nouveau projet initié par Leïla Cukierman ont donc naturellement demandé à une artiste dont ils connaissaient les talents de metteuse en scène d'apporter son regard féminin. Elle n'a pas hésité : "J'en suis", a-t-elle déclaré, se souvient Dominique Bouchery. Elle est devenue "la patronne", terme d'une de ses chansons, en réglant la mise en scène que les quatre chantistes semblent respecter scrupuleusement, même si une pointe de spontanéité ne gâcherait pas le spectacle. Entre les chansons, les musiciens-chanteurs se font comédiens rebondissant par quelques plaisanteries sur les statistiques, au sujet des femmes, véridiques parfois terribles (notamment sur le viol) lancées par Dominique Bouchery.
Pour ce projet, il s'agissait de donner une autre orientation à leur travail. Ils avaient jusqu'ici interprété plus d'une centaine de chansons majoritairement écrites par des hommes parlant parfois des femmes mais du point de vue masculin. L'originalité de l'entreprise était d'aller voir ce que les femmes disaient d'elles-mêmes et de leur rapport aux hommes, de faire "une petite promenade de l'autre côté du genre", tout en chantant eux-mêmes leurs mots. Bref, comme il est dit en introduction de l'unique chanson de Juliette chantée pendant le concert, L'éternel féminin : "tu te réveilles et tu es une fille"... et bien que se passe-t-il?
Toutefois, l'intention n'était pas de s'affubler de vêtements féminins et de renier leur virilité et leurs voix graves. Ils sont d'ailleurs sobrement habillés en pantalons et chemises noires avec chacun un petit détail vestimentaire blanc. Peut-être une manière subtile d'évoquer la femme? L'idée était d'imaginer les sentiments féminins (s'ils étaient différents de ceux des hommes), en se laissant pénétrer par leurs paroles. Quelque chose de plus intérieur, que la musique et la voix étaient sûrement les plus à mêmes de traduire.
Pour la préparation de ce spectacle qui a duré deux ans, les chantistes sont donc allés fouiller dans le répertoire français en essayant de mêler différentes époques, quoique pas trop anciennes (on n'a entendu ni des chansons de Fréhel ni de Damia par exemple). Fonctionnant à l'unanimité et non au vote majoritaire, ils se sont mis d'accord pour établir un récital de 23 chansons qui soit à l'image de leur style alliant "humour, émotion, sobriété, dérision", comme ils le disent eux-mêmes. Si l'on retrouve ces caractéristiques sur scène, elles s'ajoutent, malgré des textes parfois un peu crus, à une certaine pudeur, comme si, pour reprendre une chanson de Brassens, ils se "fai[saient] tout petit[s]" devant le mystère féminin. Lorsqu'ils chantent a capella ou en solo, on a parfois le sentiment qu'ils se mettent à nu. Il s'en dégage une réelle émotion. Quant au choix des chansons, il révèle aussi une part d'eux-mêmes, un attrait pour des chansons peu connues du grand public, même si l'on peut noter deux exceptions (Il venait d'avoir 18 ans interprétée par Dalida et Mon amie la rose, par Françoise Hardy). Il y a sûrement au fond la volonté de mettre en valeur des auteures interprètes dont la qualité des textes les écarte malheureusement des grands médias. On pense à Chloé Lacan, Melissmell, les filles du Quartet Buccal, Claire Diterzi, Lucid Beausonge, Evelyne Gallet.
Le concert, réalisé sans effet de lumière particulier, du fait des conditions d'accueil, mais bénéficiant à l'inverse d'une belle acoustique, est inauguré avec une chanson des Wriggles (Le goût des filles). C'est une manière d'entrer délicatement dans le monde des filles que l'on approche en goûtant leur bouche puis leur corps, de l'épaule jusqu'aux chevilles en passant par leurs fesses, et déjà ces hommes disent leur souffrance quand elles ne sont plus là  : "Seul on cherche entre les draps/A retrouver le goût des filles qui n'y sont pas". Très vite, le ton est donné : les filles savent parler du plaisir autant que les garçons (Depuis l'aube du Quartet Buccal).
Si elles n'en oublient pas la poésie ("Mon clithoris, petit bourgeon dans son buisson/ Mon clithoris posé tel une pierre précieuse/ Dans l'écrin d'une huître soyeuse"), elles impressionneraient presque ces quatre gaillards qui, immédiatement dans la chanson suivante, écrite spécialement pour le spectacle par Michèle Bernard, reprenent des mots d'hommes : "Vivre sous la peau des filles/Dans la nuit de leurs pupilles/Se promener comme un chat/Ouvrir doucement la grille/Qui mène au monde des filles/Que toujours on me cacha". Pas si facile d'entrer dans l'univers féminin et de s'approprier leurs mots finalement!
 
Peut-être parce que la vie d'une femme n'est pas si rose quand les hommes lui mènent la vie dure, comme ils le chantent avec force a capella : "J'ai perdu mon sourire/Qui pendait pour un rien/ Y a même plus de plaisir à partager mon sein (...)/J'me suis perdue souvent/Pour des histoires d'un jour/Alors qu'aucun amant/Aurait suivi ma route" (Je me souviens de Melissmell).

Difficile aussi de supporter un amant alcoolique qu'il faut aller chercher ivre dans l'escalier mais qu'une autre femme prise au piège prend à son tour sous son aile quand la première est épuisée par cet amour (L'escalier de Los Carayos), une chanson qui met bien à mal la célèbre phrase de Clémenceau : "le meilleur moment dans l'amour, c'est quand on monte l'escalier"! Mais les filles aiment le romantisme dont se moquent gentiment les artistes, Dominique Bouchery et Jean-Michel Mouron mimant un couple d'un magazine de la presse du coeur, Intimité, pour introduire la chanson de Claire Diterzi, Le bal des pompiers.
 
A nouveau, les chantistes se confrontent aux paroles crues des femmes, en reprenant, sur les conseils de Juliette, Fuck me tender du groupe Maximum Kouette : cette fois, ce n'est plus un homme qui goûte le corps d'une femme mais l'inverse et c'est nettement plus détaillé!
Les chansons suivantes replongent dans la mélancolie de la femme dont le temps flétrit les attraits (Il venait d'avoir 18 ans et Mon amie la rose) tandis que L'éternel féminin vient en filigrane se moquer des hommes qui font des femmes des diablesses. Anne Sylvestre n'épargne pas les rivalités féminines (Les Blondes) ni Brigitte Fontaine les femmes étourdies ou leur coquetterie (Le sac), deux chansons légères en guise d'intermède avant d'évoquer les tourments de la séparation. On entend les paroles de Charlotte Gainsbourg (L'un part, l'autre reste) et de Brigitte Fontaine, trois fois sollicitée pour ce tour de chant. Cette dernière évoque le moment où Quand tu n'es pas là/Mon lit est un tombeau que des commentaires viennent avec humour dédramatiser, tout comme cette chanson mise en musique par Evelyne Gallet sur une femme qui n'arrive pas être fidèle et qui préfère la liberté (Infidèle). La chanson de Lucid Beausonge est plus sombre où il est question du viol, de ces hommes qui prennent les femmes pour des objets (Lettre à un rêveur). Une des chansons les plus émouvantes du concert évoque la figure d'une enseignante, syndicaliste, militante communiste, grâce à la voix puissante et touchante de Bruno Martins : Marta Ugarte se queda écrite par Sergio Ortega. Après ces chansons les plus dures sur la condition des femmes de ce programme, les chantistes abordent la chanson pleine d'espoir de Chloé Lacan incitant à croquer la vie : La pêche au bonheur. En bis, ils interprètent la chanson humoristique moyenageuse des Quatre Barbus La ceinture où il est question d'une chasteté pas si bien gardée.
Si Une sorcière comme les autres d'Anne Sylvestre dit encore des mots de femme et notamment ceux d'une féministe pour rappeler comment la femme peut être maltraitée, elle précède la dernière chanson qui revient à deux hommes, l'auteur du texte, Victor Hugo et l'interprète fameux, Serge Gainsbourg. La chanson de Maglia est une chanson d'homme qui rend hommage à la femme : "Vous êtes bien belle/Et je suis bien laid/A vous la splendeur/De rayons baignés/A moi la poussière/A moi l'araignée...". C'est une manière pour les interprètes de dire leur admiration pour le sexe opposé après avoir reconnu les souffrances qu'il peut vivre tout en se moquant avec tendresse de quelques petits travers. Au-delà des différences, les hommes et les femmes brûlent du même coeur. La musique et le chant sont là pour faire résonner cette sensibilité et cette communion. Le public ne s'y est pas trompé en applaudissant chaleureusement avant de partager un verre de l'amitié.
Le prochain concert, le 12 mars 2017 à 15h, sera en quelque sorte la réponse féminine de celui-ci puisque cette fois, c'est la compagnie Carton jaune qui fera le spectacle : A nos hommes!

Retrouvez toutes les informations sur le groupe Entre 2 caisses sur ce lien : http://www.entre2caisses.com/ 

Texte et photos : Laura Sansot

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