Le 24 septembre, le
groupe Attac Périgueux-Nontron invitait à une rencontre avec Christophe Pébarthe, historien de l'Antiquité grecque, spécialiste de la démocratie athénienne, maitre de conférences à l’université Bordeaux Montaigne, sur le thème : "la démocratie mise à nu par la crise grecque".
Afin de susciter la
réflexion autour de la question de la démocratie, l’historien a proposé aux
membres de l’auditoire de définir ce qu’ils entendaient par ce terme plutôt
que de présenter d’emblée sa vision des choses d’une façon verticale. En
« cré[ant] le désordre », comme il l'a dit, il a fait émerger une
multiplicité de points de vue et montré ainsi la complexité de la définition,
point de départ du débat. Cette liberté d’échange, l’expression de la diversité
devaient d’ailleurs rythmer la réunion, mettant en pratique le sujet même de la
conférence et rassurant l’intervenant, l'a dit-il affirmé, sur la pérennité de l’esprit
démocratique dont cette assemblée en était un exemple. Ils mettaient aussi en
exergue la difficulté voire l’impossibilité de définir le projet démocratique,
celui n’étant peut-être jamais advenu.
Christophe Pébarthe a insisté d’emblée sur le risque majeur auquel était, de nos jours, confrontée la démocratie : « le cynisme généralisé ». Les hommes politiques seraient tous pourris, ne pensant qu'à leur carrière et considérant l'intérêt général comme accessoire. Pour lui, il s'agirait de l'autre face de l'abstention et par ailleurs, un moyen de dé-ligitimer le discours politique. Or, comment peut-on articuler l'ambition d'une autre politique et la possibilité d'avoir des représentants qui la défendent? Il y aurait aussi une tendance à considérer les hommes politiques comme des experts de ce domaine à qui l'on délèguerait tout le pouvoir de décider. Il y aurait ainsi des individus qui en sauraient plus que nous. Toute notre société, a rappelé l'historien, est basée sur cette idée de délégation qui a connu son heure de gloire dans les années 50-60.
Christophe Pébarthe a insisté d’emblée sur le risque majeur auquel était, de nos jours, confrontée la démocratie : « le cynisme généralisé ». Les hommes politiques seraient tous pourris, ne pensant qu'à leur carrière et considérant l'intérêt général comme accessoire. Pour lui, il s'agirait de l'autre face de l'abstention et par ailleurs, un moyen de dé-ligitimer le discours politique. Or, comment peut-on articuler l'ambition d'une autre politique et la possibilité d'avoir des représentants qui la défendent? Il y aurait aussi une tendance à considérer les hommes politiques comme des experts de ce domaine à qui l'on délèguerait tout le pouvoir de décider. Il y aurait ainsi des individus qui en sauraient plus que nous. Toute notre société, a rappelé l'historien, est basée sur cette idée de délégation qui a connu son heure de gloire dans les années 50-60.
Or, la crise grecque a rendu ces questionnements sur la démocratie d'une brûlante actualité. Pour mieux les comprendre, l'intervenant a retracé l'historique des évènements depuis janvier 2015 jusqu'aux élections législatives du 20 septembre 2015.
Le Parlement grec ou Vouli est composé de 300 députés. Grâce aux élections du 25 janvier, Syriza a obtenu près de 37% des sièges, soit 149 députés. C'est par une alliance avec ce que l'on considère, selon le point de vue, l'extrême droite ou la droite souverainiste, ayant en commun la même lutte contre l'Union européenne, qu'il a obtenu la majorité. Toutefois, sans cette alliance, ce faible score a déjà mis en relief un élément problématique du point de vue démocratique. En outre, Alexis Tsipras a mis en avant cette légitimité démocratique pour refuser d'application les injonctions de l'Union européenne imposées et validées bien avant les élections. Un membre du public a voulu nuancer en soulignant que c'était davantage la troika et son mémorandum qui avaient pénalisé la Grèce, plus que l'UE, soit une structure au-dessus d'elle. L'historien, qui n'a pas donné tort à l'intervention, a, toutefois, rappelé que les gouvernements avaient signé des accords internationaux sur lesquels ils ne pouvaient revenir, suite à une élection nationale. C'est la logique de droit international qui prime. Les arguments du camp opposé sont donc recevables.
Le discours libéral n'est pas nouveau et, l'historien de citer plusieurs tenants de cette tendance comme Trichet ou Camdessus qui depuis plusieurs années l'expriment, le considérant comme indispensable à mettre en oeuvre. La Grèce n'est donc pas l'unique Etat sur lequel il s'agirait d'appliquer le programme (la Bolivie, la Louisiane ont été donnée à titre d'exemple). La question est de savoir pourquoi ce discours triomphe partout. A nouveau, le public est intervenu, s'inquiétant que Christophe Pébarthe ne prenne pas en compte la force des réseaux permettant aux élites de dominer, de manipuler aussi et d'imposer, dans un individualisme forcené, une inégalité sociale croissante. En réponse, il a fait allusion aux travaux du couple de sociologues Pinçont-Charlot, soulignant l'importance de la coopération dans ce milieu. Pour lui, il est important de se demander comment une majorité de la population peut évoquer un complot et en même temps adhérer à l'ordre établi.
Le discours libéral n'est pas nouveau et, l'historien de citer plusieurs tenants de cette tendance comme Trichet ou Camdessus qui depuis plusieurs années l'expriment, le considérant comme indispensable à mettre en oeuvre. La Grèce n'est donc pas l'unique Etat sur lequel il s'agirait d'appliquer le programme (la Bolivie, la Louisiane ont été donnée à titre d'exemple). La question est de savoir pourquoi ce discours triomphe partout. A nouveau, le public est intervenu, s'inquiétant que Christophe Pébarthe ne prenne pas en compte la force des réseaux permettant aux élites de dominer, de manipuler aussi et d'imposer, dans un individualisme forcené, une inégalité sociale croissante. En réponse, il a fait allusion aux travaux du couple de sociologues Pinçont-Charlot, soulignant l'importance de la coopération dans ce milieu. Pour lui, il est important de se demander comment une majorité de la population peut évoquer un complot et en même temps adhérer à l'ordre établi.
L'historien s'est ensuite interrogé sur la manière dont le gouvernement grec a été empêché de gouverner. Il faut savoir que le Grecs utilisent beaucoup les liquidités, comme pour le paiement du loyer. La Banque Centrale Européenne a donc asséché en liquidités le pays. Or, la stratégie de Syriza a été de faire appel au droit pour s'opposer : laissons-les nous étrangler de cette manière et l'on pourra ensuite aller devant la commission de droits de l'homme pour contester. La question qui se pose alors : peut-on utiliser le droit pour défendre la démocratie? Cela signifie déléguer la question démocratique à des juges qui fabriquent du droit en permanence, le droit étant un travail d'interprétation et "un rapport de force neutralisé". L'autre problème qui se pose quand on fait appel au droit est le temps de la crise. Il y a une réalité matérielle : le peuple finit par crier famine. La BCE le savait et a donc adopté cette stratégie d'assécher le pays en liquidité dès janvier.
Suite à une autre intervention du public, Christophe Pébarthe a rappelé l'action de la BCE pour empêcher la Grèce de se financer elle-même alors que la banque lui devait 17 milliards d'euros. Face à la volonté de l'Etat grec de faire des réformes fiscales, la BCE a imposé un accord-cadre global après l'ultimatum du 30 juin. Autre instance, l'Eurogroupe, qui est une réunion mensuelle des ministres des Finances des États membres de la zone euro et n'a aucune légitimité politique, s'est elle aussi imposée à la Grèce par des demandes sans cesse croissantes et avait pour objectif de susciter le mécontentement populaire. L'historien a rappelé que le ministre grec Y. Varoufakis semblait pourtant le plus compétent parmi les ministres, lui-même étant économiste, et a cité les dialogues de sourds qui régnaient dans l'Eurogroupe. Pourtant, c'est lui qui a dû démissionner, lui qui avait été critiqué jusque dans sa tenue vestimentaire, celle-ci ne respectant pas les codes (il ne portait pas de cravate). Ainsi, ce sont de soi-disant experts regroupés dans une instance sans légitimité politique à qui on a délégué des décisions économiques et qui ont évincé celui qui "ne parlait pas leur langue" et avait fini par devenir "un porte-drapeau". Or, la démocratie, a rappelé l'historien, est la capacité à débattre, ce qu'aurait pu permettre le dialogue entre ces ministres et celui de Grèce. Il se serait alors agi de construire le consensus sur du dissensus. Au contraire, les élites sont restées entre elles, renforçant la coupure avec le peuple, elles qui ont, non seulement, "des manières de vivre différentes" mais aussi "des manières différentes de voir le monde". Pour autant, la démission du ministre grec a été un acte politique fort, une manière de refuser "le cynisme généralisé".
Dans le mémorandum du 12 juillet, non seulement, il a été demandé aux Grecs d'accepter les conditions de l'Union Européenne faites le 25 juin, alors qu'ils avaient dit non à plus de 61% lors du référendum du 5 juillet, mais aussi d'accepter une relecture de leur propre histoire, notamment d'effacer toutes les lois votées.
La 3è étape a été ponctuée par les élections du 20 septembre qui a vu la victoire de Syriza, malgré la scission du parti en deux et l'émergence de l'Union Populaire, suite au refus d'accepter le nouveau plan d'aide. Cette situation a été utilisée par les zélateurs de l'Union Européenne pour contrer les velléités d'émancipation des peuples en Europe, comme celles de Podemos. Ces mêmes zélateurs ont donc tout intérêt, explique l'historien, à mettre en avant des hommes comme Michel Onfray qui estime les hommes politiques comme étant tous pourris et ne vote pas. Pourtant, les tentatives ont montré que l'on pouvait faire autrement. Si le peuple a voté favorablement pour Syriza, c'est probablement pour trois raisons, selon Christophe Pébarthe : laisser ceux qui avait négocié avec le Troika finir le travail, obtenir un allègement de la dette et surtout faire dégager l'oligarchie dans un pays où le pouvoir est extrêmement concentré.
Ce que cette histoire révèle finalement, a expliqué l'intervenant, c'est que ceux qui ont voté non en 2005 au traité constitutionnel avaient raison. Elle montre aussi que l'enjeu pour les tenants de la Troika était d'empêcher les autres pays de l'Union européenne d'être atteints par un éventuel virus de gauche. La manière de faire a été très brutale et très efficace en poussant A. Tsipras à signer lui-même le mémorandum. Une forme de démonstration qu'il n'y avait pas d'autre alternative, relayée par les éditorialistes en France, prêts à abandonner la démocratie quand la politique pour laquelle ils étaient en place a été mise en péril. Cela signifie aussi que la démocratie est encore vivante même si elle est imparfaite et que notre tort, insiste l'historien, est de "céder trop vite du terrain". Or, le travail d'une association comme Attac est de regagner ce terrain. Il faut reconquérir ces questions et ne pas considérer qu'elles sont trop complexes. Chacun est légitime à prétendre dire la vérité sur le monde et non une élite. C'est le citoyen qui a le "courage de dire le vrai", la parrêsia, concept qu'a développé Michel Foucault. Leur plus grande victoire a été de nous retirer cette prétention de comprendre le monde. L'école est le premier lieu où l'on nous fait céder face à ceux qui sauraient. Aussi complexes que soient les questions, notre devoir est de nous y intéresser. Nous devons nous réapproprier le discours politique. Toutefois, comprendre le rapport de force, cette violence sans scrupule ne suffit pas. Il faut les comprendre ensemble pour construire autre chose en commun. En 2005, il y a eu une véritablement une victoire, même si le public a semblé contester ce qu'il en reste aujourd'hui. Il ne faudrait pas s'en déposséder, a souhaité Christophe Pébarthe.
Texte et photos : Laura Sansot
Dans le mémorandum du 12 juillet, non seulement, il a été demandé aux Grecs d'accepter les conditions de l'Union Européenne faites le 25 juin, alors qu'ils avaient dit non à plus de 61% lors du référendum du 5 juillet, mais aussi d'accepter une relecture de leur propre histoire, notamment d'effacer toutes les lois votées.
La 3è étape a été ponctuée par les élections du 20 septembre qui a vu la victoire de Syriza, malgré la scission du parti en deux et l'émergence de l'Union Populaire, suite au refus d'accepter le nouveau plan d'aide. Cette situation a été utilisée par les zélateurs de l'Union Européenne pour contrer les velléités d'émancipation des peuples en Europe, comme celles de Podemos. Ces mêmes zélateurs ont donc tout intérêt, explique l'historien, à mettre en avant des hommes comme Michel Onfray qui estime les hommes politiques comme étant tous pourris et ne vote pas. Pourtant, les tentatives ont montré que l'on pouvait faire autrement. Si le peuple a voté favorablement pour Syriza, c'est probablement pour trois raisons, selon Christophe Pébarthe : laisser ceux qui avait négocié avec le Troika finir le travail, obtenir un allègement de la dette et surtout faire dégager l'oligarchie dans un pays où le pouvoir est extrêmement concentré.
Ce que cette histoire révèle finalement, a expliqué l'intervenant, c'est que ceux qui ont voté non en 2005 au traité constitutionnel avaient raison. Elle montre aussi que l'enjeu pour les tenants de la Troika était d'empêcher les autres pays de l'Union européenne d'être atteints par un éventuel virus de gauche. La manière de faire a été très brutale et très efficace en poussant A. Tsipras à signer lui-même le mémorandum. Une forme de démonstration qu'il n'y avait pas d'autre alternative, relayée par les éditorialistes en France, prêts à abandonner la démocratie quand la politique pour laquelle ils étaient en place a été mise en péril. Cela signifie aussi que la démocratie est encore vivante même si elle est imparfaite et que notre tort, insiste l'historien, est de "céder trop vite du terrain". Or, le travail d'une association comme Attac est de regagner ce terrain. Il faut reconquérir ces questions et ne pas considérer qu'elles sont trop complexes. Chacun est légitime à prétendre dire la vérité sur le monde et non une élite. C'est le citoyen qui a le "courage de dire le vrai", la parrêsia, concept qu'a développé Michel Foucault. Leur plus grande victoire a été de nous retirer cette prétention de comprendre le monde. L'école est le premier lieu où l'on nous fait céder face à ceux qui sauraient. Aussi complexes que soient les questions, notre devoir est de nous y intéresser. Nous devons nous réapproprier le discours politique. Toutefois, comprendre le rapport de force, cette violence sans scrupule ne suffit pas. Il faut les comprendre ensemble pour construire autre chose en commun. En 2005, il y a eu une véritablement une victoire, même si le public a semblé contester ce qu'il en reste aujourd'hui. Il ne faudrait pas s'en déposséder, a souhaité Christophe Pébarthe.
Texte et photos : Laura Sansot
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