Le groupe toulousain Les Autres
était en concert le 24 mars au Café Lib' de Bourrou avant de
prendre le chemin d'un autre café associatif, celui du Caf'etcetera
à Lalinde, le lendemain.
D'abord constitué en quintette, en
2008, le groupe est finalement devenu un duo, d'ailleurs très épuré
loin de la formation rock électrique des débuts, à la faveur d'une
amitié ancienne des deux compères, Emmanuel Demonsant et Timour
Tokrev, rencontrés sur les bancs de l'école de musique, l'un
pratiquant la trompette, aujourd'hui délaissée, et l'autre le
piano.
de gauche à droite : Emmanuel
Demonsant, Nathalie Schreiber du Café Lib' présentant la soirée,
Timour Tokarvev
Leur désir profond, c'est la chanson,
par la "mise à nu qu'elle engendre", "ce
côté abrupt sans arrangement", explique Manu,
l'auteur-interprète. Les petits lieux comme les cafés associatifs,
les maisons des particuliers, les petits festivals, favorisent cette
entrée franche et directe dans les mots parce qu'ils peuvent se
permettre d'enlever les filtres, de ne pas amplifier pour aller à
l'essentiel, poursuit-il. Ce qui touche Manu : la mélodie et les
textes dont il donne le squelette, pour chaque chanson, à Timour
afin qu'il réalise les arrangements.
Ceux qui l'inspirent, des chanteurs à
texte, comme l'on dit : pour les anciens, du temps où la liberté de ton était peut-être plus grande, estime-t-il, Brel, Brassens, Ferré, pour les
contemporains, Christian Olivier des Têtes Raides, Manu Solo et
surtout Valérian Renault dont la force des textes et des mélodies
semblent imprégner le chanteur, la mélancolie peut-être en moins.
Parce que, pour lui, la chanson doit être "légère",
avoir un côté "ludique" tout en apportant quelque
chose, néanmoins. "Quand on a les deux", la
profondeur et la légèreté, considère-t-il, "c'est enivrant!"
C'est pour lui un reflet de la vie qui alterne moments heureux et
plus graves. Or, la chanson est un "condensé de vie"
qui illustre cette alternance. Ses chansons, c'est en partie sa
propre vie qui les inspire car "quand on écrit, ça ne vient
pas de nulle part (...), c'est une réaction à ce que l'on
vit" mais il "faut d'abord vivre avant d'écrire".
Ces textes ne sont "pas" pour autant tous "en
lien direct avec sa vie" mais celle-ci peut être "une
impulsion vers autre chose".
La chanson Rien que pour toi
semble donner en contre-point le portrait de son auteur qui par amour
est prêt à agir à l'inverse de ce qu'il est, comme Vincent Delerm
était prêt à tous les compromis dans la chanson Tes parents
(2002) pour se faire accepter par sa belle-famille. C'est
l'image d'un jeune homme épris de liberté, rejetant les carcans,
voulant vivre ses passions, qui transparaît dans des chansons comme
La dernière fois que j'ai vu la mer : "Pourquoi
faut-il être économe/avec ce qui est agréable?/ Pour quoi faut-il
être raisonnable/ pour croire qu'on est dev'nu un homme?".
Dans La chanson du vouloir, il souhaite qu'il y ait "plus
d'ailes dans le mot "liberté"", "moins
de laisses au bout des chiens" Cette liberté va de pair
avec le rêve pour ce grand brun ténébreux, qui semble venu de
nulle part, se tenant très droit, très sérieux tout au long du
spectacle pour mieux masquer quelques traits d'humour entre les
chansons et au sein même de celles-ci, plutôt pince-sans-rire, une
sorte d'"ambassadeur de la Lune sur la Terre", comme
l'indique l'un des ses titres. Il revendique de venir d'un endroit où
l'on peut encore rêver alors que "la loi de la pesanteur
rappelle tout le monde à l'ordre" et pourtant, la Lune est
à portée de chacun. Pas besoin de monter dans une fusée! Il rêve
évidemment d'un monde meilleur "où il y aurait moins de S
dans le mot SS", "qu'tout l'monde aille par
deux/Sans marcher sur des oeufs" (La chanson du vouloir).
Il rêve parce qu'il a gardé ses souvenirs de petit garçon : Je
me souviens de tout, chante-t-il. Il se rappelle qu'"il
attendait des heures du côté des merveilles" car "il
n'arrivait jamais à trouver le sommeil".
Difficile de vivre dans ce monde quand
on est aussi proche des lieux imaginaires. Cela lui donne un côté
un peu décalé que l'on retrouve aussi chez Timour, le musicien.
Celui-ci y ajoute un côté facétieux, aidé par un piano qui,
toujours au service du texte, se montre tantôt calme, presque
romantique, tantôt énergique, très rythmé et malicieux. On aura
d'ailleurs apprécié, en fin de concert, sa manière très drôle
d'inciter les spectateurs à consulter le site Internet et à faire
l'acquisition de leur album intitulé Appartement 22. On aura
souri aussi de la manière très originale de saluer le public.
Un peu en marge de ce monde très
rationnel, même si c'est un garçon comme les autres qui n'est pas à
l'abri d'une nuit d'ivresse (Entre deux bagnoles), il cherche
sa place et ses chansons évoquent souvent des lieux concrets comme
pour tenter de s'ancrer dans le monde. Même s'il a gardé cette
charmante pointe d'accent toulousain, il nous parle de Lyon (Le
Rhône ou la Saône) où il a vécu mais aussi de Paris (Bonjour
Paris) où il s'est récemment installé, deux villes propices à
développer ses deux arts de prédilection, le chant et le théâtre.
On imagine que ce côté rêveur risque d'être malmené lors de
rencontres avec les filles et en effet, il s'adresse ainsi à celle
qu'il aime : "tu crois que je danse/tu t'en balances (...) tu
malmènes mes chances (...) Je m'emballe, Je t'emballe/Toi, tu me
déballes". Mais notre jeune homme plein d'espoir
n'abandonne jamais et s'entête dans son amour impossible : Je
tombe, je me relève, dit une de ses chansons très dansante
voire galopante, accompagné du pianiste "qui doit envoyer du
lourd", comme l'y invite le chanteur, un peu moqueur, une
expression là aussi décalée dans un concert où les arrangements
musicaux se font plutôt dans la finesse. Tout ceci pour mieux
signifier à l'impassible jeune fille tous les efforts de plus en
plus importants déployés. Quand l'amour semble inaccessible, il
faut parfois se résigner. La chanson Pour t'oublier
entreprend de décrire par le menu comment faire pour ne plus aimer...
mais est-ce si facile?
Alors, évidemment, quand on est un peu
différent, on rêve de se "montrer plus réciproque/ Avec
les gens de [s]on époque" (La chanson du vouloir)
mais cela en vaut-il la peine car l'artiste voit ce que les autres ne
voient pas encore? C'est sûrement pour cela que le groupe a pris ce
nom. Il pré-existait à la formation musicale, se souvient Emmanuel
Demonsant. Bien que polysémique, il interroge notamment le rapport à
soi et aux autres, sa place dans le monde. Ce jeune homme, on
l'imagine solitaire mais "sans s'la jouer solo"
(L'homme qui court) et non dénué de convictions qu'il clame
avec une diction forte et claire qui accompagne ses interprétations
des chansons. Sans jamais se décourager, il avance comme l'homme qui
court mais n'en oublie pas moins d'aimer : "Il déborde
d'amour, y'en a pour dix/Si bien qu'il en largue des tonnes/il en
sème à la place de la haine/Pendant des bornes et des bornes".
D'ailleurs, les chansons d'amour parsèment le concert comme la
première, la plus touchante : Il était sourd, elle était
aveugle. Elle en dit autant sur les amours ceux en possession de
leurs cinq sens que ceux qui en sont privés (du moins de l'ouïe ou
de la vue) : "le coup de foudre, c'est reconnaître/Quelqu'un
sans l'avoir jamais vu/Chanter une chanson à sa f'nêtre/sans
l'avoir jamais entendue". Comme chez beaucoup de jeunes
chanteurs, Emmanuel a composé une chanson en hommage à sa mère.
Maman est à la fois un cri d'amour explicite et une
déclaration qui se cache derrière des mots familiers, illustrant
une certaine pudeur. C'est ce mélange très étonnant que l'on
retrouve dans ces chansons à la fois poétiques et très concrètes,
chez ces garçons en apparence très sérieux mais pleins d'humour,
de cet humour sobre mais tout en finesse, soutenu par un piano
toujours présent, très soutenant à la manière de celui d'un Boby
Lapointe et riche de ses arrangements multiples et variés.
On passe un très agréable moment,
presque trop court, avec ces deux jeunes gens qui nous transportent,
avec délicatesse et sans le moindre artifice, dès les premières
notes et par leur présence scénique, vers un autre univers pour
mieux interroger notre monde si prosaïque. Un groupe discret mais que l'on vous incite à découvrir.
Pour retrouver l'actualité du groupe,
voici le lien : https://legroupelesautres.bandcamp.com/
Texte et photos : Laura Sansot
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