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11/06/2017

RENCONTRE AVEC LES ARTISTES DE LA CARAVANE CULTURELLE SYRIENNE

Le  25 mai, la caravane culturelle syrienne, invitée par le Festival Printemps au Proche-Orient, faisait étape à Bourrou par une belle journée ensoleillée.

Cette caravane, intitulée "Liberté pour le peuple syrien", a démarré son périple le 12 juillet 2014, à Paris, où elle est basée. Depuis, comme l'explique le peintre Najah Al Bukai, elle a parcouru 6700 kms en allant au-delà de la France, en Italie, Espagne, à Berlin, Oslo. C'est l'artiste peintre et photographe Mohamad Al Roumi, né en 1945 à Alep, qui a eu l'idée de monter cette caravane et de réunir des oeuvres d'artistes syriens pour parler de la cause de ce pays. A chaque arrêt dans une ville ou dans un village, les arts et la gastronomie sont proposés et mêlés. Une centaine d'oeuvres sont rassemblées (courts-métrages, sculptures, peintures, photographies) et une sélection est faite pour chaque évènement. Ainsi, une vingtaine d'entre elles étaient exposées à Bourrou. Les artistes qui accompagnent sur les routes cette caravane l'espace de quelques jours ou quelques semaines sont bénévoles.
Mohamad Al Roumi, Najah Al Bukai, Walid El Masri et Hareth Mhedi sont intervenus pour évoquer la situation politique en Syrie et leur propre expérience.
 de gauche à droite : 
Mohamad Al Roumi, Najah Al Bukai, Hareth Mhedi, Emilie, la compagne de Mohamad Al Roumi et Walid El Masri
Mohamad Al Roumi a expliqué combien il était important pour ce collectif d'artistes de contrebalancer le discours médiatique officiel. Bachar Al-Assad, qui a pris la succession de son père en juin 2000, est un tyran qui a favorisé le terrorisme alors qu'il se présente auprès de l'Occident comme un rempart contre Daech. Lorsque Hafez Al-Assad, alors ministre de la défense depuis 1966, prend le pouvoir par un coup d'Etat et devient président de la République en février 1971, la Syrie devient "une propriété privée" car le pouvoir instaure un régime mafieux. Ainsi, pour avoir un poste, il faut adhérer au parti Baas. Installé en France depuis une trentaine d'années, Mohamad Al Roumi travaille avec le centre d'études de l'Orient contemporain implanté à Paris. Il n'a pas pris part à la Révolution et a peu connu la prison. Suite à ses prises de position dans les média, après l'écriture d'un livre, il ne pouvait pas rentrer en Syrie où il pensait cependant que le régime tomberait.
Mohamad Al Roumi
Il a donc laissé parler Najah Al Bukai né à Homs en 1970 qui a étudié les Beaux-Arts en France et à Damas. Il a été incarcéré 3 fois dans les prisons du régime syrien (quelques heures en avril 2011, un mois en juillet 2012 et surtout 11 mois entre septembre 2014 et juillet 2015). Il raconte avoir connu la torture. Il était chargé de transporter les cadavres alors qu'il pouvait en être un le lendemain. Après être sorti de prison, il s'est réfugié, au Liban avec sa femme et sa fille, en laissant sa mère et sa soeur en Syrie où, pour l'instant, elles n'ont pas été inquiétées. Dans ce pays d'accueil, celui qui se considère comme "le voyageur involontaire" a rempli des cahiers de ses souvenirs de prison et de ce travail auprès des morts. Il nous a gentiment autorisés à publier ses dessins, un témoignage unique. Qu'il en soit grandement remercié.
Il a expliqué que, comme au temps du nazisme, le régime documentait avec une grande précision sa répression et des numéros étaient indiqués sur les corps. Un photographe de la police militaire qui a fait défection en 2013, du nom de code César, a été chargé par le régime dès 2011, année du printemps syrien, de photographier les opposants, ou supposés tels, tués par le pouvoir. Il possèderait les clichés de 6700 cadavres. Selon Amnesty International, dans la seule prison de Saidnaya, au Nord de Damas, 13 000 personnes ont été pendues entre 2011 et 2015 : chaque semaine, 20 à 100 personnes ont été exécutées au milieu de la nuit. A ce chiffre s'ajoutent les "plus de 17 000 personnes mortes dans les geôles syriennes en raison des conditions inhumaines et de la torture", d'après un rapport d'août 2016 de cette même organisation. https://www.amnesty.fr/conflits-armes-et-populations/actualites/syrie-lhorrible-prison-de-saidnaya Le peintre a poursuivi : la torture est réalisée uniquement pour effrayer le peuple. Elle est même mise en scène en étant filmée. Mohamad Al Roumi a mis en garde contre les prises de position dans la société française, renvoyant dos à dos gens de droite et gens de gauche. Les premiers sont partisans du dialogue avec Bachar Al-Assad, comme à Munich en 1938, alors que celui-ci est prêt à exploiter la faiblesse de l'Occident à son égard. Quant aux seconds, ils peuvent parfois considérer cette dictature comme un rempart à l'impérialisme.
A la demande du public, Najah Al Bukai est revenu sur les conditions de son arrestation dans une prison au coeur de Damas. La population ne pouvait pas imaginer qu'à 200 m du Hilton, à 50 m du ministère l'Intérieur, à 500 m de l'opéra, dans des sous-sols,  se trouvaient "des abattoirs d'être humains". Lui-même a été dénoncé par un membre de la coalition de son quartier, des organisations mises en place au moment du printemps syrien. Suivant l'exemple de ses voisins tunisiens, libyens, égyptiens, la révolte a débuté le 15 mars 2011 et a duré 4 mois. Ce sont les morts lors des manifestations et lors des funérailles de ces mêmes morts qui ont accéléré la rébellion du peuple. Najah Al Bukai a régulièrement participé aux manifestations pacifistes, celles pour la dignité du peuple, contre la corruption, contre l'incarcération d'enfants tagueurs le 13 mars, contre la violence. A ce propos, il a précisé que, pour avoir dessiné des graffitis contre Bachar Al-Assad ("c'est ton tour, Docteur!" en référence à ses études de médecine), des enfants de 12-13 ans ont été torturés (violés, les ongles arrachés). Aux parents qui réclamaient de leurs nouvelles, on leur a répondu qu'ils n'avaient qu'à aller voir leur femme pour qu'elle leur fasse d'autres enfants.
Najah Al Bukai est né avec la dictature. Grâce à un culte de la personnalité très fort, Hafez Al Assad y était considéré comme le père du peuple. Un premier massacre a eu lieu en 1982. Comme en témoigne Walid El Masri, né en 1979, le drame n'a pas commencé en 2011.
 oeuvre de Walid El Masri
Selon Mohamad Al Roumi, l'oncle de la femme de Bachar Al-Assad aurait avoué au début de la révolte que l'homme fort du régime avait l'intention d'utiliser la répression, comme son père, afin d'avoir une tranquillité pour 30 ans. Pour cela, le peuple devait soutenir son dirigeant, sinon leur village était brûlé. Quant aux Occidentaux, ils se sont abrités derrière le veto russe, tout en envoyant de la technologie comme des ordinateurs, des smartphones pour que leurs média puissent recevoir des images. Bachar Al-Assad a fait en sorte de "djihadiser" le conflit. Aussi, des manifestations où des filles non voilées étaient présentes déplaisaient-elles doublement au régime. En effet, pour affaiblir la rébellion, celui-ci cherchait à instrumentaliser les manifestations en les présentant comme le fait d'islamistes. Il a aussi ouvert les prisons et fait sortir de nombreux musulmans fanatiques. Les Turcs ont aussi fait passer en Syrie des islamistes : à une époque, il en passait 1000 par jour. Le pouvoir syrien a laissé des armes dans les rues pour militariser la révolte. Il a aussi vidé le pays de ses intellectuels et de ses artistes pour mieux contrôler le pays et surtout manipuler l'opinion. Nombreux sont les Syriens restés au pays qui sont prêts à mourir pour le maintien au pouvoir de Bachar Al-Assad. Si les opposant ne partent pas, ils sont emprisonnés, torturés et tués. La classe moyenne a tenté de partir en Occident. Les Syriens, dans les villes, se sont d'abord déplacés d'un quartier à l'autre puis des villes entières, comme Homs, ont émigré. En 2012, les Syriens ont beaucoup fui vers le Liban, fin 2013, début 2014, ils ont pris la route du Nord.
Parce que la répression contre le printemps syrien a été féroce, parce que l'on compte 65 000 disparus depuis 2011, sur 22 millions de Syriens, 5 millions sont devenus des réfugiés dont 3 millions en Turquie, 650 000 en Jordanie, 1 million au Liban, d'après l'ONU (chiffres de mars 2017), sans compter les déplacés de l'intérieur (7,6 millions en octobre 2015). Si les chiffres officiels évoquent plus de 300 000 morts dans cette guerre, selon Najah Al Bukai, ils seraient plus proches du million. Il y a aussi la pression du régime sur les familles de prisonniers pour leur extorquer de grosses sommes d'argent en échange de quelques nouvelles. A été cité le cas de ce peintre dont le fils avait été emprisonné. Pendant un an, alors qu'il avait déjà été exécuté, le pouvoir lui a fait croire ainsi qu'à sa femme qu'il était vivant, réclamant du couple de l'argent et les invitant à cuisiner des plats pour leur fils supposé vivant. De même, la femme de Najah Al Bukai a dû vendre sa voiture pour obtenir son transfert de la prison 227 à une prison de droits communs et débourser de très grosses sommes pour sa libération.
Pour mieux comprendre l'enfer des prisons syriennes, les intervenants ont cité le livre de Moustafa Khalifé, La Coquille, paru en 2012 qui décrit "la barbarie des geôliers" et "la déshumanisation des détenus eux-mêmes".
Un autre livre a été évoqué le livre de Hala Kodmani, journaliste franco-syrienne, grand reporter à Libération : Seule dans Raqqa paru en mars 2017 qui raconte l'histoire de Nissan Ibrahim, syrienne, musulmane, résistante, professeure de philosophie qui pendant 4 ans a fait des posts sur facebook pour raconter la joie de la révolte et la progressive arrivée des femmes voilées et des hommes en noir, le quotidien des civils à la fois contre Daech et contre le régime de Bachar Al-Assad. Daech a annoncé sa mort en janvier 2016. Elle avait 30 ans.
Les Syriens invités sont revenus pêle-mêle sur quelques clichés véhiculés en Occident, notamment sur l'idéalisation du PKK. Les Kurdes de Syrie (ils seraient 2 millions sur les 35 millions, chiffre habituellement retenu pour représenter le plus grand peuple apatride du monde) se sentiraient plus Syriens que Kurdes, contrairement à ce que l'on imagine. Palmyre est certes le site archéologique le plus connu mais masque les nombreux autres sites détruits. 
Outre ces témoignages durs et passionnants, l'intérêt de cette journée résidait dans la découverte de des oeuvres exposées et notamment des photographies qui donnaient à voir le regard de quelques artistes sur leur pays. On vous laisse en découvrir quelques-unes.
Akram Al Halabi né en 1981 dans le Golan
Ammar Abed Rabbo né en 1966 à Damas
Ammar Al Beik né en 1972 à Damas 
Tammam Azzam, né en 1980
 
Sulafa Hijazi, née à Damas
Texte et photos (les images sans copyright correspondent aux oeuvres des artistes) : Laura Sansot

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