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01/12/2016

NOUVELLE CREATION DE DANIEL CHAVAROCHE : HOTEL DES PLATANES

Le 27 novembre avait lieu, à Manzac sur Vern, le deuxième spectacle à domicile de l'année organisé par le CRAC. Celui-ci a fait recette puisque une soixantaine de personnes avaient fait le déplacement, dont le maire lui-même, pour venir écouter le conteur fameux du Sarladais dans une ancienne grange transformée en belle maison d'habitation. Daniel Chavaroche avait créé deux jours auparavant son nouveau spectacle à Rouffignac, dans le cadre du Festival de contes du Lébérou. 

Pour la première fois, il inaugurait un spectacle à domicile et disait apprécier la proximité du public et la simplicité d'une prestation sans matériel de sonorisation. L'hôte qui accueillait avait au préalable vanté les mérite d'un tel dispositif l'ayant expérimenté l'an passé, occasion de belles rencontres entre spectateurs et de découvertes artistiques de grande qualité. Quant à Agnès Garcenot, la directrice du CRAC, elle incitait les spectateurs intéressés à se manifester pour accueillir chez eux de futures productions, soulignant l'originalité et la richesse d'une telle expérience.
Daniel Chavaroche crée des spectacles depuis plus de 20 ans. Son métier d'instituteur itinérant lui a permis de mesurer l'outil pédagogique essentiel que pouvait représenter le conte. Après avoir puisé et épuisé les histoires de la littérature, il a choisi d'en inventer lui-même. Ne manquant pas de susciter l'intérêt des petits, il s'est dit que ces contes pouvaient aussi attirer l'attention des plus grands.
L'écriture d'un spectacle nécessite environ une année même si ce temps peut être variable, explique-t-il, en fonction des sujets. Il reconnaît procéder beaucoup par commande comme le spectacle précédent Le pont du Garrit, sollicité par l'association de défense de cet ouvrage, objet d'une douzaine d'histoires. Une dizaine de représentations permettent de rôder un spectacle pour atteindre une durée optimale d'1h30 environ. Quand on l'interroge sur l'évolution de ses spectacles, Daniel Chavaroche estime qu'au fil du temps, son style est devenu plus coulant, moins hâché, ses textes plus exigeants. Il a le souci du mot juste, particulièrement important dans le conte, même s'il peut passer des semaines sans trouver le terme adéquat.
 
Pour cette nouvelle création, il avait en tête plusieurs histoires qu'il a choisi de relier, comme il choisit de le faire dans tous ses spectacles. Au lieu d'opposer les personnages, il s'agit plutôt de mettre en valeur leurs liens au delà de leurs différences, au-delà des générations. Une vision collective du monde mais aussi une manière de montrer que, face aux problèmes graves, il est possible de dialoguer. Même le cercueil du supplétif de la police de Pétain trouvera des porteurs, pourtant improbables, pour le mettre en terre.
Le personnage principal de ce conte est un bâtiment de village, théâtre de plusieurs moments épiques entre le milieu du XIXè siècle et la fin du XXè siècle. L'ancien instituteur n'étant pas loin, Daniel Chavaroche parsème ses histoires de quelques références historiques (la place de la vigne périgourdine en France avant le phylloxera, le contexte politique des années 30 et 40, l'Indochine, les films des lendemains de guerre...). Pour susciter l'attention des occitanistes, quelques bons mots dans cette langue sont lancés. Les plus jeunes découvrent les anciens métiers et leurs outils tandis que les aînés reprennent de bon coeur les chansons anciennes qui égrènent le spectacle, évitant subtilement, ce jour-là, au conteur d'aggraver un refroidissement plutôt malvenu en ces temps de tournée.
 
Si cette évocation du passé certes inventé anime les spectacles de Daniel Chavaroche, elle n'est pas pour autant le fruit d'une vision passéiste, souligne-t-il. Toutefois, il constate que le peuple, peut-être à la différence d'aujourd'hui, savait être heureux sans avoir beaucoup d'argent. La société de consommation aurait-elle tourné la tête des petites gens? Leur fierté d'appartenir au peuple aurait-elle été balayée par une aspiration frénétique à devenir de petits-bourgeois que la fin du spectacle moque avec délicatesse? Comme Coluche en son temps auquel il se réfère, c'est ce peuple qui intéresse Daniel Chavaroche. Il parvient avec beaucoup d'humour et de talent à en décrire quelques figures haut en couleur tout en donnant de l'importance à ceux que l'Histoire aurait vite oublié. Par la magie des mots, le personnage d'Augustin Descombes apparaît sous nos yeux, cette figure d'autorité face aux viticulteurs du village qui devient petit garçon face la jeune veuve Fantine. Il n'y a jamais de vrai méchant dans les spectacles de Daniel Chavaroche. Les personnages révèlent toujours leur part de tendresse. Quant aux femmes, elle ne sont jamais placées au second plan et se battent courageusement contre la dureté de la vie. L'une maintient sa propriété malgré la mort du conjoint, l'autre crée un dancing et se fait chanteuse en plein Périgord dans les années 20, une autre encore quitte son mari pour aller rejoindre les siens dans son pays natal plongé à nouveau dans la guerre. Pour ce qui est la femme devenue riche par héritage, son expérience des camps de la mort a préservé son humanité : elle ne reste pas indifférente au sort d'un jeune garçon handicapé abandonné de tous. Evidemment, il y a bien quelques moqueries à l'encontre de ces femmes de viticulteurs du temps d'Augustin Descombes, cette Monique, femme du propriétaire de l'hôtel ou encore cette Henriette le jour de son mariage, totalement exaltée, emportant tout sur son passage, prétexte à une description peut-être la plus drôle du spectacle. D'ailleurs, on aurait presque aimé que l'intensité du texte, son caractère hilarant se prolongeât le temps de la description des deux autres catastrophes du mariage, tellement le moment est plaisant. Les hommes ne sont pas épargnés non plus et le destin les détourne bien vite de leur égoïsme ou sait les punit quand ils s'attribuent le bien commun. Gare à celui qui agit ainsi, les fantômes sont prêts à sortir pour les en dissuader!
Derrière ces histoires anecdotiques et amusantes apparait au fil du spectacle la description d'une société villageoise qui plonge progressivement dans l'individualisme. Certes, on finit par une note d'humour après avoir appris que l'hôtel des platanes était sauvé et le testament respecté (car il ne faut pas contrarier les souhaits des Anciens) mais l'on sent comme un brin de nostalgie. Retrouvera-t-on un jour ce sens du commun qui visiblement tend à se perdre? Et ce ne sont pas de pseudo-lieux de rassemblement assez artificiels dont se targuent les collectivités qui feront renaître l'esprit villageois où chacun avait son importance et sa place, savait se parler et passer outre les conflits, semble conclure Daniel Chavaroche.
 
On peut partager ce point de vue mais il y a peut-être une note d'espoir lorsque des gens qui ne se connaissent pas se rassemblent chez l'habitant, lors d'un dimanche après-midi, à l'initiative d'une association soucieuse d'éducation populaire. Unis par le plaisir de partager un moment artistique, ils échangent un verre de l'amitié, dégustent des produits faits maison, apprennent à se connaître pour se retrouver sûrement lors de prochains spectacles.
 

Texte et photos : Laura Sansot

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