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06/09/2016

LA TRACE : BALADE ARTISTIQUE ENCHANTEE DANS LES BOIS DE MAUZENS ET MIREMONT

En venant de Périgueux, à quelques kilomètres de St Félix de Reilhac, et traversant le passage à niveau de l'ancienne gare de Mauzens et Miremont, l'individu curieux s'aventure sur un chemin, guidé par un mystérieux dessin, celui d'un diable vert sur un fond rouge.
C'est le logo de la compagnie Le diable par la queue qui s'est installée, il y a une dizaine d'années, sur les hauteurs de la gare, en pleine nature, dans un paysage forestier, comme coupée du monde. Elle est née en 1983 et devenue association en 1986. Spécialisée dans le théâtre de rue, cette troupe de théâtre familiale, animée par ses fondateurs Gérard Chabert et sa femme Solange avec tous leurs enfants, a parcouru pendant des années les routes en roulotte et 17 chevaux en présentant des spectacles sous chapiteau.
 Gérard Chabert

Préférant rompre avec les tournées estivales riches de rencontres mais épuisantes, souhaitant profiter aussi du lieu merveilleux de 10 hectares que le couple a acquis, celui-ci s'engage désormais vers des créations in situ, comme l'explique Gérard Chabert. La compagnie se définit à présent comme une compagnie d'arts visuels. Gérard Chabert en est le directeur artistique, le décorateur, lui qui a fait l'école des Beaux-Arts, mais aussi le metteur en scène ainsi qu'un des comédiens, comme pour cette création présentée actuellement les mercredis de l'été, jusqu'en septembre : La Trace. Elle a déjà été proposée au public les années précédentes mais est l'objet de nouvelles réalisations chaque année. Son concepteur a déjà imaginé dans son vaste atelier une nouvelle et grande installation pour l'année prochaine que nous ne dévoilerons pas pour vous laisser le plaisir de la découverte. On peut simplement révéler qu'elle a un côté iconoclaste dont se réjouit à l'avance, la malice au coin de l'oeil, son créateur.
Le spectateur est invité à se présenter dès 20h s'il le souhaite pour venir déguster quelques mets dans une ambiance orientale
 
avant que la nuit tombe et que la balade nocturne puisse commencer. 
En arrivant, le chemin de castine laisse bientôt place à un chemin herbeux qui plonge progressivement le visiteur dans un autre univers...
Le parcours artistique débute par le tableau d'un homme et d'une femme nus, allongés tête bêche, que l'on découvre en pénétrant dans un espace intime circulaire, les comédiens couverts de talc étant surélevés au-dessus des spectateurs, sur un support blanc, cette même couleur qui recouvre leur corps. Le nu, qui est un thème récurrent du travail de Gérard Chabert, représente pour lui la liberté. Quand Eve a rencontré Adam, celle-ci a dû se couvrir et en même temps accepter la domination masculine. La nudité lui est aussi familière depuis sa formation au cours de laquelle on peignait à partir de modèles nus vivants, rappelle-t-il.
On voit donc ce thème parcourir cette balade, la nudité des comédiens étant toujours présentée naturellement, sans aucune vulgarité

 ou avec pudeur, comme dans ce théâtre d'ombres
aperçue à travers un voilage
ou encore en début de parcours, une fine poudre recouvrant les comédiens se dévêtant progressivement.
 
L'homme et la femme apparaissent le plus souvent comme un couple aimant à l'image de Solange et Gérard qui vivent ensemble depuis 35 ans.

 La nudité peut apparaître plus crue quand elle est l'objet d'une sculpture... de jour..
comme de nuit,

à l'image de cette sculpture d'une homo sapiens fabriquée pour un musée de la préhistoire recyclée dans ce spectacle.
Le dernier tableau du parcours artistique a été inspiré par la comédienne elle-même qui s'y produit : Nathalie, militante du droit des femmes, a fait une requête au metteur en scène. Elle voulait être crucifiée, estimant qu'un homme ayant accepté ce supplice pour sauver le monde pouvait être tout aussi bien représenté par une femme. Gérard Chabert souhaitant davantage mettre en avant l'amour plutôt que la souffrance a proposé que le sang coule d'une manière différente. C'est le sang menstruel qui est symbolisé : la femme donne son sang pour sauver le monde. Ce sang symbolique est ensuite proposé aux spectateurs.
Dans la scène ci-dessous où les comédiens sont revêtus de masques d'animaux, Gérard Chabert explique qu'à l'origine ce sont ses petites-filles qui ont commencé à les réaliser en papier mâché. Il a complété leur travail pour représenter des animaux avec des corps d'humain pour signifier une origine commune, d'où le titre : "Homo sapiens, oui mais".
Au-delà de ce thème central de la nudité, c'est une volonté de plus en plus affirmée de briser les tabous dont le dernier tableau en est l'illustration en glorifiant la femme et en en faisant réellement l'égale de l'homme. Il écrit d'ailleurs : "tant que la femme n'aura pas atteint le rang qui lui revient, l'homme n'atteindra pas la gloire qui l'attend".
Pour retrouver la trace de cet âge d'or où la femme avait ce statut glorieux (il évoque ce temps très ancien du matriarcat), quoi de plus original que de revenir à la terre-mère? Une terre toutefois façonnée par un artiste, une terre qui a connu la tempête de 1999 jonchée d'arbres, de ronces et parcourue par des animaux comme les sangliers, chevreuils et autres lapins. De leurs traces, Gérard Chabert en a fait des sentiers que les spectateurs empruntent pour aller à la rencontre du beau car la recherche esthétique guide profondément son créateur. Pour pénétrer dans cet univers enchanteur, le visiteur doit franchir un théâtre de pluie dont le liquide ne sera pas révélé (d'où le titre : Formule secrète), comme pour laver le spectateur de la modernité occidentale et de ses tabous aussi. On quitte le domaine de la Raison pour entrer dans le monde du sensible et de la beauté. "A partir de ce passage, nous sommes dans le domaine de la femme splendeur, du couple aimant et de la liberté sans entrave", écrit son auteur.
En effet, les deux scènes introductives semblent évoquer le monde d'avant où les couples se montrent indifférents, collés l'un à l'autre mais sans vie, ou bien se chamaillent dans ce tableau intitulé Incontrôlable finissant par restés immobiles face à la pluie blanche qui s'abat sur eux.

Une fois franchi le rideau de pluie, un autre univers surgit. Une femme Libre comme l'air évolue nue autour de cordes. Après avoir vu une jeune femme en habit de soirée, bercée par le chant des oiseaux, rouler une sphère de bois (Boule, boule et reboule), comme une Sisyphe au féminin roulant son rocher, signifiant sa souffrance, ou bien à l'inverse un symbole de la maternité, source de joie,
c'est une autre femme plus âgée parcourue, comme éclaboussée, par des éclats de lumières multiples qui est présentée dans le tableau suivant. Une manière de magnifier la vieillesse.
Toujours inspiré par la relation homme-femme, Gérard Chabert a réalisé Le temple de l'amour, très influencé par un voyage en Inde en famille et par la magnificence des temples. Construit à base de polystyrène, il semble presque réel de l'extérieur comme à l'intérieur, accompagné de musique indienne et d'une forte odeur d'encens. 
Imprégné par cette ambiance, le spectateur ne manquera pas de jeter une pièce et faire un voeu dans La fontaine miraculeuse du fonds du bois, peut-être pour demander un amour éternel.
La balade permet de croiser des têtes de statues étonnantes, un oeuf au-dessus d'une main,
 
une salle tapissée de magnifiques carrés de laines comme on en faisait dans les années 60-70,
 
une machine infernale à faire du bruit, comme une revanche de son auteur après avoir fabriqué enfant un instrument qui n'avait guère plu à ses parents, mettant fin à tout velléité musicale de leur progéniture.
Des hommes sont mis en scène : l'un semble vouloir se fondre dans la femme en revêtant ses habits
l'autre se pose en chamane, rôle qu'il a usurpé à la femme à partir du néolithique, rappelle Gérard Chabert. Une évocation pour rappeler que le futur âge d'or, dont il pressent l'arrivée prochaine, renouera avec cette tradition ancienne de la femme chamane.
Les rondeurs de la féminité, avec La fleur aux amoureux et cette masse ovale changeant de couleur, renouent avec cette douceur dont un stroboscope nous avait éloigné.
Après avoir longé une fleur épanouie, où la rondeur est toujours présente,
le spectateur pénètre sur la place où de multiples animations, sous forme de théâtre visuel et sonore, sont données à voir.
Pour réaliser ce parcours, Gérard Chabert aura passer des journées de travail et bénéficié de l'aide de comédiens non professionnels bénévoles. Ils sont six à participer à l'aventure que le metteur en scène réalise essentiellement pour le plaisir.
On sort enchanté et émerveillé de cette balade nocturne étonnante et très originale dans les bois où une surprise semble attendre le spectateur à chaque pas. Il y a quelque chose d'irréel, de fantastique dans ce parcours hors du temps, comme pour mieux inciter le visiteur, grâce à une importante recherche esthétique, à revenir vers le monde : s'interroger sur son propre rapport au corps et à l'Autre pour qu'advienne une nouvelle Harmonie entre les êtres où la femme retrouvera le statut qu'elle a perdu pendant des millénaires.
Courez-y, il y a encore une représentation le 7 septembre. Pour cela, il est préférable d'appeler avant le 06 13 55 77 16.
Toutes les informations sont sur facebook : https://www.facebook.com/spectaclelatrace/
et sur le site de la compagnie : http://www.lediableparlaqueue.com/
avec le blog du spectacle : http://latrace.fr/

Texte et photos : Laura Sansot

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