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22/09/2016

DES MARIONNETTES POUR DIRE LA RESISTANCE DE FEMMES SOUS L'OCCUPATION

Dans le décor boisé du Théâtre du Fon du Loup, à Carves, dans le Périgord Noir, avait lieu l'un des derniers spectacles de la saison  : De la porte d'Orléans.

Jean-Paul Ouvrard, fondateur du lieu, accueillait une jeune compagnie, la bien nommée, au vu du spectacle, Des Petits Pas dans les Grands, née en 2012 à Montataire, dans l'Oise, qui bénéficie d'une résidence au Palace de la ville jusqu'en 2018. A l'image de ce théâtre périgourdin soucieux de qualité artistique et d'accès à la culture, la compagnie souhaite "proposer une alternative culturelle" (...) "face aux offres massives de divertissement". Elle affirme : "nous sommes convaincus que des spectacles exigeants et populaires ont plus que jamais leur place dans ce paysage où la culture ne se définit plus comme telle".
Audrey Bonnefoy est la responsable artistique de cette compagnie qu'elle a créée. Formée à l'Ecole Régionale des Acteurs de Cannes (ERAC), elle est avant tout comédienne mais pour ce spectacle, elle est aussi auteure. Ce texte, écrit en 2008, mis en jeu par Philippe Rodriguez-Jorda et scénographié par Guillaume Hunout, est un peu "une quête d'enfance", explique-t-elle, celle aussi de son grand-père juif dont elle n'a pas porté le nom.
Cela a probablement suscité sa passion pour la période de la guerre et de l'Occupation. Sa grand-mère habitait le XIVè arrondissement. Sa petite-fille s'est intéressé à son histoire et à celle de ce quartier en se plongeant dans les archives pour découvrir les réseaux de résistance de 1942 à 1945 et même établir une carte des lieux de résistance. Elle en a tiré une histoire basée sur un épisode réel : le 1er août 1942 à 16h, avant l'ouverture des magasins, l'Union des femmes d'Ile-de-France, une émanation du parti communiste, organise une action de propagande anti-allemande appelant à poursuivre le combat pour la lutte armée. Une militante de cette organisation grimpe sur un étal, rue Daguerre, devant la succursale d'un magasin d'alimentation, pas loin de la Porte d'Orléans et prend la parole face à une clientèle nombreuse. C'est Lise London, une femme "résistante de la première heure", comme la qualifie Audrey Bonnefoy, qui s'est déjà battue aux côtés des Brigades Internationales pendant la guerre d'Espagne.  Elle est arrêtée quelques jours plus tard à cause d'une concierge non pas collaboratrice mais trop bavarde. Elle échappe à la condamnation à mort par l'Etat Français grâce à la naissance de son fils mais elle ne peut se soustraire à la déportation. Malgré tout,  au sein du camp de Ravensbrück, elle réussit à créer un réseau de solidarité et en sort vivante. Son expérience lui fait dire : "on ne naît pas résistant, on le devient" (...) "Quand on vous demande d'exécuter des ordres avec lesquels vous n'êtes pas d'accord, vous devez savoir dire non et maintenir votre nom sans faiblir (...). Il n'y a pas de héros nés, ce sont les circonstances qui font les héros". Elle meurt en 2012.
photo extraite du site : 

Le spectacle adopte le regard d'une petite fille, celle qu'Audrey Bonnefoy aurait pu être, accompagnant sa grand-mère comme chaque week-end à la mercerie de Mme Meyer. D'ailleurs, pour écrire le texte, elle a tenté de se rappeler la manière dont elle percevait enfant les conversations des adultes. C'est l'occasion de redécouvrir avec les yeux de cette enfant de 6 ans le monde de l'Occupation avec ses collabos et ses résistantes de l'ombre (car il s'agit surtout de femmes), celles qui font les petits pas pour permettre les grands. Quoi de mieux que de représenter le monde des adultes vu par une petite fille avec des marionnettes, art de l'enfance par excellence? Elles permettent aussi une prise de distance, sont une forme imagée propice à l'évocation, comme cette gardienne représentée par une marionnette en forme de serpent qui vient tourmenter la petite fille en s'enroulant autour d'elle pour la faire parler. On pense aussi à ce fabricant de plaques de vélo tout à son ouvrage et dont on sent par la manière dont il actionne le mécanisme toute la peine qu'il ressent. Ce n'est pourtant pas la pénibilité du travail qui l'oblige à interrompre son activité mais l'instauration de laissez-passer, nous apprend la pièce.  
 
La bourgeoise collabo est une marionnette toute de noir vêtue dont la petitesse se confronte à la taille généreuse de la vendeuse. Leurs dimensions contrastées traduisent l'aspect fictionnel du spectacle tel qu'on pourrait le voir dans les albums pour la jeunesse. Elles donnent à voir aussi le rapport de domination et la peur insidieuse qui s'instaurent partout par des allusions perfides. On pense à cette étoile jaune non portée, prétexte à une transaction commerciale dont la mercière accepte qu'elle se transforme en simple don afin d'éviter la dénonciation. 
Pour dire la mort de Gégé, le vendeur de journaux trop bavard, la main gantée de noir de la comédienne vient interrompre les cris de celui qui haranguait les passants. Le personnage de Gégé est aussi l'occasion d'évoquer les journaux de l'époque aussi différents que Combat et Je suis partout mais aussi de découvrir, avec force démonstration, la technique imparable pour envoyer des tracts du haut d'un immeuble sans se faire pincer. 
La mise en scène d'un couple de bouchers, les Pinson, partageant le même corps pour signifier leur union indéfectible si ce n'est leur dépendance financière nous plonge dans le monde des privations, des difficultés de ravitaillement et laisse entrevoir la malhonnêteté à l'oeuvre pour maintenir son commerce à flot. 
La figure de la concierge collabo menaçante est représentée par cette Mme Perez au visage longiligne, coiffée un bonnet noir. 
Les marionnettes figures de la résistance dévoilent des corps plus épais, comme si leurs rondeurs matérialisaient leur générosité et leur bonhommie, à l'image de la marchande des quatre saisons bien joufflue, du pharmacien aux lèvres épaisses, de la mercière, Mme Meyer, une sorte de grand-mère gâteau avec son chignon, ses lunettes et ses grosses mains. Derrière la pharmacie de Monsieur Garand, se cachent des activités clandestines que la mise en scène met en avant par un simple changement d'éclairage, au pied du comptoir. C'est aussi à hauteur d'enfant que les activités secrètes de la marchande des quatre saisons, cachée sous son étal, sont révélées.   
Il y a, en outre, cette Viviane qui sonne à la porte pour donner les noms de ceux qui assureront la réussite de cette opération de résistance, comme cette Mme Nini. 

La grand-mère et sa petite-fille rencontrent aussi la marchande des quatre saisons qui donnera des informations précieuses.
Ainsi, émergent tout au long du spectacle dix marionnettes confectionnées par Alexandra Basquin qui a notamment travaillé pour Les Guignols de l'info et s'oriente désormais vers des "choix plus personnels". Afin de réaliser les personnages, elle privilégie des "matériaux simples et souvent naturels".
Pour mieux se plonger dans cette ambiance de la guerre, le fonds sonore, créé par Karine Dumont, plonge le spectateur dans les chansons de l'époque, dont la comédienne interprète avec sa jolie voix l'une d'entre elles, mais aussi dans les émissions de Radio Londres puis de Radio Paris quand une sonnerie inattendue retentit à la porte. On y entend la voix de la comédienne qui parvient à enchaîner tous les rôles avec, semble-t-il une grande facilité, tout en manipulant les marionnettes. On comprend que cette performance ne dure que 45 minutes, durée parfaitement adaptée aux enfants. Les adultes, quant à eux, seraient peut-être enclins à en voir davantage, tant ils peuvent goûter, comme les enfants, à la poésie du spectacle sans que les références historiques ne leur échappent voire même les immergent dans les récits de leur enfance. Les plus jeunes, à l'inverse, semblent, d'après l'auteure du texte qui fait là oeuvre pédagogique sans être pour autant historique, éloignés de cette période de l'Histoire : "c'est la préhistoire pour eux", confie-t-elle. La compagnie a, pour cette raison,  créé un dossier pédagogique afin d'accompagner le spectacle. Audrey Bonnefoy salue au passage le travail des enseignants que révèle la richesse des questions de fin de représentation. Il y a aussi ces tracts distribués aux spectateurs les plongeant dans l'ambiance de l'époque grâce à quelques annonces, publicités, un extrait de loi ou un exposé rapide de la situation des artistes et du système D. On aura regretté, toutefois, l'absence, lors de la soirée du 17 septembre, de l'historien, Masaï Mejiaz, qui accompagne habituellement le spectacle. 

Nonobstant, le spectacle parvient à séduire petits et grands en ayant le mérite de faire découvrir cet épisode méconnu de l'Occupation. Grâce à un décor minimaliste où tout se joue autour d'un buffet modulable et de jeux de lumières, servies par des marionnettes confectionnées à partir des matériaux de mercerie, la comédienne fait renaître la mémoire du Paris occupé tout en mêlant sa propre histoire à la Grande. Elle met en scène la dualité de l'être humain, entre résistance et collaboration à l'oppression. Elle donne à cette période de l'Histoire une portée universelle, renvoyant à nos propres actions de résistance aujourd'hui. N'est-on pas à nouveau sous une occupation, celle d'un système économique qui parvient même à confisquer notre imaginaire nous empêchant de construire une alternative politique? Il convient de rendre hommage à cette jeune femme qui réussit, par le truchement d'un art simple, dépouillé et pudique, à mettre à la portée des enfants ces questions éminemment politiques.

Texte et photos : Laura Sansot

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