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19/02/2016

"EROS ET THANATOS", DERNIERE CREATION DE LA COMPAGNIE PIERROT NOIR

Après une semaine de résidence et une année de réflexion, Philippe Le Velly et Alain Moreau présentaient, avec leur compagnie Pierrot Noir, leur dernière création au théâtre de la Poivrière de Saint Astier, le dernier week-end de janvier 2016 : "Eros et Thanatos". Il faisait suite à leur spectacle "Et caetera" auquel nous avions consacré un article en 2015.
http://artpericite.blogspot.fr/2015/02/la-compagnie-pierrot-noir-au-paradis.html

Le spectacle donnait lieu à des chansons autour du thème de l'amour et de la mort, comme l'indiquait le titre mais mettait aussi en exergue des messages personnels clandestins, pour ne pas dire libertaires et iconoclastes, afin de "mieux brouiller les pistes". Dans un décor épuré, avec simplement un accordéon, un bandonéon et une guitare, toute la place était laissée au texte et à la musique.
La première chanson, comme pour introduire l'affiche du spectacle où des têtes de mort sur le côté droit se mêlaient aux femmes et à l'amour côté gauche (rien à voir avec la configuration de l'échiquier politique... quoique!), dont une description précise était donnée, évoquait "les deux grands courants de la poésie" et leurs liens indéfectibles que les musiciens souhaitaient mettre en valeur. Si Philippe Le Velly reconnaissait ne pas être pressé de trépasser, Quand le temps sera venu plongeait dans ce temps après la vie d'où l'on sort "comme on sort d'un banquet" et "ivre de ces liqueurs que tes lèvres distillent" pour vivre des ébats amoureux tout à fait crus que quelques spectatrices féministes avaient récemment pris au premier degré, visiblement peu sensibles à la poésie du texte et à la mélodie.
Le commentaire préventif précisant que "les personnages féminins mis en scène étaient des êtres libérés de tout pouvoir phallocratique" était censé écarter la vindicte qui visiblement ce jour du 31 janvier avait laissé place aux sourires amusés. Quittant le "monde de Satan" et revenus sur Terre, les deux compères poursuivaient avec humour leur découverte des mystères féminins évoquant celle qui "était fort déshabillée sous les étoiles de sa chambre" dans la chanson Idylle accompagnée d'interjections lascives qui venaient tempérer le sérieux du moment évoqué. L'amour est souvent éphémère. Alors quand le musicien s'adresse à  l'être aimé, il reconnait que cet amour, s'il n'"est pas du tout cuit" que ce soit pour la vie, "il fera bien ce qu'il voudra" (Jolie caille). Et de ce fait, pourquoi ne pas se laisser aller à une aventure "quand un petit démon de midi s'agite fort à ma pendule" dans la magnifique chanson Mademoiselle? "Donnez-moi un baiser, un baiser farouche afin que je mouche mon coeur dans vos yeux". Dans un registre plus comique, Philippe Le Velly se mettait, avec un réel talent de comédien, dans la peau de La môme aux gros tétons, avec la gestuelle afférente, pour nous mimer la jeune Margot qui nous disait faire "péter tous les boutons, de son corsage, de son corsage quand qu'je passe devant les garçons". 





 

Comme un accompagnement à l'amour, une autre ivresse, celle de l'alcool décrite magnifiquement par le très regretté Allain Leprest dans Le temps de finir la bouteille, ponctuait le spectacle d'une pause rafraîchissante pour les artistes. De l'amour des femmes ou de la bouteille à la politique, il n'y avait qu'un pas, comme l'illustrait la chanson, sur des paroles de Gaston Couté, "Le déraillement" où après un accident de train, il était bien difficile de distinguer le bourgeois du "peineux". Il était d'ailleurs question aussi d'autres passagers d'un train au destin tragique ou non, selon l'interprétation que l'on en faisait, de cette autre chanson d'Allain Leprest, Le mime. Quelques phrases lancées à la volée et émaillant le concert rappelaient aux spectateurs que la guerre des classes n'était pas achevée convoquant Pierre Desproges pour introduire l'exercice ("Il faut mettre un terme aux maîtres") mais aussi Alphonse Allais ("Il faut prendre l'argent là où il se trouve : chez les pauvres. Ils n'ont pas beaucoup d'argent, mais il y a beaucoup de pauvres!") ou Bertold Brecht ("Quel est le plus criminel, celui qui vole une banque ou celui qui en fonde une?"), André Gide ("Le monde sera sauvé, s'il peut l'être, que par des insoumis") et d'autres encore. Dans cette veine politique, la chanson On va danser  dénonçait "un monde qui s'veut chrétien où les riches donnent à leur chien ce qu'ils ne donneraient pas à un chômeur, y'a vraiment d'quoi trembler d'horreur, qu'est-ce qu'il attend, dit le bon Dieu, pour foutre la zone chez les affreux, les possédants du capital?"
 

De la politique, on retourne toujours à l'amour des femmes, celui de celles qui consolent comme cette Marlène "dans les veines" de laquelle "coule l'amour des soldats", "quand ils meurent ou s'endorment, c'est la chaleur de ta voix qui les apaise et les traîne jusqu'en dehors des combats". Parfois, les rôles s'inversaient :  c'est La tombeuse qui cherchait à être consolée mais ce chagrin se révélait intéressé pour celle qui "faisait les cimetières comme on fait le trottoir (...) hurlant son désespoir pour attirer le mâle qui ne tardait jamais à pointer son menton vers cette tendre veuve au chagrin si profond", sauf qu'elle n'était pas à l'abri d'un fatal "accident de travail"...
Parmi les dernières chansons du concert, les spectateurs découvraient le triste sort de l'Epouvantail qui avait moins de chance que le vent, quand il voyait passer la Mireille, "d'enfler quand il s'engouffre dans ses dessous" et de "pose[r] sur ses lèvres un baiser". Cette prison dont l'épouvantail ne voulait pas, les bourgeois eux se l'imposaient volontairement dans Les oiseaux de passage, une chanson de Brassens composée à partir d'un poème de Jean Richepin : "vivre la même vie toujours pour ces gens-là cela n'est point hideux" mais "rien de vous ne pourra monter aussi haut qu'eux" évoquant "les sauvages" qui vont où leur désir le veut par dessus monts et bois et mers et vents et loin des esclavages".
Un spectacle qui était une ode à la liberté et à l'amour, comme pour mieux repousser la mort que l'on affronte pas seulement à la fin de l'existence mais aussi durant la vie elle-même lorsque les riches la piétinent en dominant le peuple. Des mots crus et poétiques mêlés, la douceur mélodique de l'accordéon, la guitare qui prend par instant les sonorités de la harpe pour opposer la délicatesse à une société injuste, la voix de Philippe Le Velly qui évoque parfois celle de Stephan Eicher. Les artistes, revêtant les habits de comédiens facétieux, l'un jouant le simplet ou le fanfaron, débarquant en début de spectacle grelots aux pieds, sur un petit air de flûte, l'autre interprétant plutôt le joli coeur, ont régalé leur public d'une belle complicité musicale et théâtrale et d'une maîtrise de leur art dont on ne se lassait pas.
 
Prochaine représentation de "Eros et Thanatos" à la Galerie Verbale le 19 février 2016 à 20h30.
http://pierrot-noir.skynetblogs.be/archive/2014/11/11/audio-et-caetera-8323776.html

Texte et photos : Laura Sansot

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