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26/06/2015

RENCONTRE AVEC CHRISTOPHE LASNIER, FONDATEUR DE LA TOUR DES MIRACLES, L'AUTRE FESTIVAL

A Vanxains, petite commune à 5 kms de Ribérac, se tiendra du 6 juillet au 23 août "La Tour des Miracles, l'Autre festival".

En matière de festival, la ville de Ribérac est connue pour "Le grand souk", une manifestation de musiques amplifiées qui a lieu cette année les 23-24-25 juillet. C'est le grand évènement de l'été dans ce canton qui d'ailleurs est l'objet d'un compte à rebours grandiloquent sur son site Internet! Il draine un public important de toute l'Aquitaine et de ses environs. Et pourtant, il mobilise 52% du budget annuel de la culture à Ribérac afin d'accueillir des têtes d'affiches pendant seulement 3 jours.
Alors, le musicien Christophe Lasnier, venu s'installer dans le village en août 2010, a décidé de faire une autre proposition culturelle. Il l'a appelé "l'autre festival", espérant que les spectateurs disent "je vais à l'autre", trouvant poétique la formule et son double sens.
Cet "autre", c'est d'abord un festival qui sera ouvert sur divers arts et non cantonné dans un créneau musical limité. On y trouvera de la musique, certes, mais aussi du théâtre, de la danse contemporaine, du conte, du cirque, des expositions et le festival laissera des temps d'échanges lors de débats. Il s'adressera au public local essentiellement. Il sera "autre" car réalisé sans budget alors que son concepteur estime qu'il aurait dû coûter, s'il avait été organisé de manière conventionnelle, autour de 200 000 euros. Conçu en à peine 3 mois, un record pour un festival qui prévoit près de 50 spectacles sur 7 semaines, il ne bénéficie d'aucune subvention. Le seul soutien est l'aide logistique de la mairie de Vanxains qui met à disposition sa cantine et sa cuisine scolaires. Un cuisinier professionnel viendra d'ailleurs apporter sa contribution pour nourrir artistes et spectateurs. Deux logements pour les artistes seront prêtés gratuitement.
Christophe Lasnier devient intermittent du spectacle en 1993 après avoir passé 15 ans comme intervenant musical en milieu scolaire (un des premiers en France à exercer ce métier) au sein du Centre Rural d'Animation Culturelle (CRAC) de Saint Quentin de Baron, en Gironde. Il se consacre alors à la création, notamment depuis 2006, dans le cadre de la compagnie Minuscule fondée avec Ambre Oz. "C'est avant tout un musicien multi-instrumentiste. Il compose et interprète pour le théâtre, le conte et la danse des musiques ou des chansons souvent figuratives". http://www.creaction-spectacle.com/christophe-lasnier/ Grâce au spectacle "Les souffleurs de rêve", repéré au festival off d'Avignon par la directrice des jeunesses musicales de France (JMF), la compagnie obtient 200 dates dans toute la France et se produit dans les plus beaux théâtres. Depuis le début des années 1990, il a toujours pu conserver son statut mais la place de la culture dans notre société change, comme il le constate amèrement. Il devient de plus en plus difficile d'être programmé dans le circuit culturel conventionnel. Les programmateurs, limités dans leurs budgets, font appel à des "valeurs sures" et "ne font plus le travail de terrain" qui existait encore il y a quelques années. "Le système culturel est malade du fait du manque d'argent et de l'intelligentsia culturelle" qui ne se déplace plus pour découvrir de nouveaux artistes ou spectacles. Il y a, pour lui, comme une forme de "trahison" alors que les "institutionnels" devraient être du côté des artistes pour faire des propositions aux élus. Il cite le manque de considération du directeur des affaires culturelles de Ribérac lorsque les intermittents ont voulu informer les spectateurs du Grand Souk en 2014 de la situation vécue par la majorité des artistes, bien différente de celle des têtes d'affiche. Dans ce contexte, nombreux sont ceux qui vivotent ou renoncent.
Faisant le constat que sa compagnie  Minuscule ne pourrait plus à terme produire des spectacles attractifs pour les salles culturelles, Christophe Lasnier n'a pas pour autant baissé les bras. Plutôt que d'être découragé par des institutions frileuses, il a préféré se lancer seul avec l'aide de ses filles artistes, Faustine (chorégraphe, danseuse http://www.lassencompagnie.com/faustine.htm) et Charlotte Lasnier (danseuse http://www.lassencompagnie.com/charlotte.htm). Pour réaliser son projet un peu fou, il a décidé que ce festival serait réalisé uniquement par des artistes, auteurs de spectacles, et des bénévoles (une dizaine actuellement) qui viendraient donner un coup de main. Un système de troc permettra de "remettre la valeur de l'argent à sa place", même s'il reconnaît qu'un peu d'argent lui aurait permis de se ménager davantage. Ainsi, en échange de la construction de toilettes sèches (il est aussi question de réaliser un éco-festival), un ami boulanger se verra proposer des places gratuites de spectacles.
Contre un complément de matériel d'éclairage gratuit, Christophe Lasnier ira en septembre donner un coup de main sur une régie. Et tout est à l'avenant. Toutefois, c'est lui qui finance les repas des artistes, l'impression des plaquettes et autre gobelets recyclables, ce qui n'est pas rien quand même pour un intermittent aux ressources quelque peu différentes d'un Dany Boon, par exemple. Il espère seulement que les 20% de la recette couvriront les frais sans qu'il ait à s'endetter. Donner l'essentiel des recettes aux auteurs, c'est, pour le créateur de l'évènement, une manière de remettre au centre  "le travail de l'artiste ou plutôt des artistes qui devient la valeur marchande à part entière (non pas au sens monétaire)". Des sommes folles ne seront pas dépensées dans la technique qui restera modeste à l'inverse des spectacles habituels où celle-ci prend, de nos jours, de plus en plus d'importance, analyse l'organisateur. 80% des recettes seront reversées directement aux artistes qui s'engagent, sans savoir combien ils gagneront. Les 3 programmateurs sont étonnés du succès recueillis auprès des artistes qui ont répondu nombreux, certains se voyant même refuser des dates tellement la programmation est dense. Christophe Lasnier aurait pu prolonger le festival une semaine de plus mais ne l'a pas fait, faute de locaux disponibles une semaine avant la rentrée. Les artistes ont été séduits par l'originalité du lieu et par l'idée.  Pour certains qui n'ont que 2-3 dates dans l'été, cette manifestation est bienvenue, même si la recette est limitée : il y a toujours le bonheur et le moteur que représente le contact avec le public.
Il faut dire que les projets de spectacles ne manquent pas, ce sont les acheteurs qui le sont moins. Le problème majeur, selon lui, est celui de la diffusion.  Ce festival est finalement "le résultat de la situation dramatique de la culture (...) alors que c'est le dernier lieu où il faut arrêter de mettre de l'argent. (...). Il faut garder un service public de la culture". Il évoque "une panne (..) qui fait craindre le bruit des bottes" si la culture disparaît. "La situation va tellement mal qu'il faut que les artistes eux-mêmes se bougent (...), qu'ils aillent directement vers le public". Car ils ont une mission à accomplir et plus que jamais : "Ils sont un bon médicament. Ils ont le pouvoir d'émouvoir les gens. Quelqu'un qui est touché bascule du côté lumineux de l'être. En leur absence, le bourreau n'a plus qu'à lever la hache. Ces budgets qui diminuent sont un symptôme révélateur : on enferme les populations dans leur côté sombre alors que quelqu'un qui est ému par un spectacle ne peut pas se laisser aller à la lâcheté". Grâce à eux, Christophe Lasnier estime que, certes "le festival est fragile financièrement, mais il est fort artistiquement et humainement". Quand on investit dans la culture, considère-t-il, il y a toujours des retombées. Et de citer l'exemple d'Avignon qui coûte 1 million d'euros à la ville mais en rapporte 25 millions! Au départ, le musicien était contre l'idée d'accorder un pourcentage de la recette aux artistes, estimant que tout travail mérite salaire et suppose un cachet défini à l'avance. Nous n'en sommes plus là aujourd'hui et il est préférable de fonctionner à la recette plutôt que de ne rien faire, dit-il en substance. ll ne s'agit pas pour autant d'un festival d'amateurs : tous les acteurs (artistes, techniciens..) sont des professionnels et les artistes recevront un contrat en bonne et due forme. Les soutiens sont le collectif Créaction, les compagnies Minuscule et LasSen Cie qui ont toutes les licences d'entrepreneurs de spectacles et dont font partie les 3 programmateurs.
Quant au déroulement du festival lui-même, il est prévu jusqu'à 4 spectacles par jour en plein air, 2 avant le repas et 2 après jusqu'à la tombée de la nuit. Afin de respecter les voisins, tous invités permanents, les festivités ne s'étendront pas au delà de minuit. Une guinguette sera ouverte à partir de 17h, un plat unique sera proposé par un cuisinier pendant la pause repas de 1h-1h30 puis l'on fera place aux seuls artistes en mettant la buvette en sommeil pour ne pas détourner l'attention des spectateurs!
Le futur emplacement de la guinguette
Il sera évidemment possible de ne voir qu'un seul spectacle et non l'intégralité du programme journalier même si chacun sera relativement court. 200 à 250 personnes pourront être présentes sur le lieu du festival. Le défi est que le public, surtout familial, soit régulier tout le temps de la programmation. Cela est possible lors d'une période estivale qui peut attirer habitants et vacanciers. Trois scènes seront installées
La première scène en arrivant dans le jardin
 
La scène du piano bar
La plus grande scène du festival en cours de montage
 et une autre assez originale se déroulera dans le tilleul.
 La scène végétale en cours d'installation pour le spectacle de Jérôme Galan donné les 11,12,16,18 juillet
D'ailleurs, l'autre festival aurait pu s'appeler ainsi "La tour du tilleul" car la maison du XVè siècle est flanquée d'une tour au nom originel de Tour de la Madonne. Cependant, l'ancienne propriétaire, peu encline à conserver un nom aussi pompeux, l'avait rebaptisé Tour du Tilleul. Cette tour deviendra le temps du festival la Tour des Miracles désigné ainsi par un ami cuisinier de Christophe Lasnier suite à l'enthousiaste qu'a suscité ce projet de festival auprès des artistes. Le musicien souhaite qu'effectivement, le festival soit un petit miracle au sens magique du terme, en ces temps d'austérité de la pensée et de mise au pas de la culture.

Parmi les 7 semaines de rendez-vous artistiques, 3 semaines seront davantage thématiques. Ainsi, du 27 juillet au 1er août, "une semaine nomade avec des spectacles et des concerts qui feront voyager de la Tsiganie au pourtour de la Méditerranée". Ainsi, "le 1er août, Manou du groupe Ni Kantas racontera son séjour chez les habitants du village où Tony Gatlif a tourné son film Liberté. Christophe Lasnier racontera les moments passés auprès des musiciens tsiganes de Roumanie et du Kocani Orchestra en Macédoine". Du 4 au  8 août, sera programmée une semaine de musique et danse contemporaine avec notamment des matchs d'improvisations de danse. En France, cela se fait beaucoup dans le domaine du théâtre mais Faustine Lasnier, formée à l'université Concordia de Monréal, a rapporté de ce pays la version danse. 12 danseurs seront sur scène. La dernière semaine sera plus militante autour de la commémoration des 70 ans de la libération. Une expo soutenue par Femmes Solidaires Dordogne, des débats notamment autour de Patrice Rolli, auteur d'un ouvrage sur l'occupation allemande en Périgord, autour de René Pazat, passeur à Vanxains de la ligne de démarcation de 1940 à 1944. Maria Republika, un spectacle écrit sur la base des témoignages des derniers survivants du camp de réfugiés espagnols de La Grange aux Loups près d'Angoulême. Simone Rist proposera un spectacle intitulé "Il était une fois, haine et résistance, souvenirs d'hier et d'aujourd'hui". On y découvrira les réflexions d'une vieille dame racontant l'histoire d'Agathe dont le père a été tué par les Allemands et qui elle-même a épousé un Allemand. Bref, un thème comme celui-ci pour achever le festival et signifier ainsi que "l'on est debout et l'on oublie pas ce qu'ils ont fait avant", explique Christophe Lasnier.
Ce qui peut faire la différence entre une programmation réalisée par des professionnels de l'activité et des artistes, c'est évidemment la possibilité pour les professionnels de voir tous les spectacles. La gageure est qu'ils ont presque été tous vus par  au moins un des 3 programmateurs! A noter aussi, sans lien particulier avec le thème de la semaine, un spectacle très original, SchizZo, autour d'une danseuse et d'un personnage dessiné et animé grâce à une tablette tactile qui se répondront.
Pour retrouver le programme détaillé, voici le lien : http://www.calameo.com/read/0043882975af4ef6fd320
Afin de faire connaître le festival, Christophe Lasnier compte sur la diffusion par Internet, les 5000 programmes qu'il a tirés à ses frais, les relais radio et presse (Sud Ouest s'est déjà engagé) et bien sûr le bouche à oreille.

Pour l'avenir, Christophe Lasnier a des projets plein la tête et espère que le festival attirera suffisamment de spectateurs pour faire valoir ce succès auprès des mécènes culturels. Si c'est le cas, il obtiendra une somme d'argent pour faire transformer la grange en salle de théâtre d'environ 80 places. Pourront s'y adjoindre un restaurant associatif pour que les gens se rencontrent et une parcelle agricole qui sera convertie en parking.

L'idée sera d'offrir une programmation culturelle en particulier au jeune public qui manque cruellement dans le Ribéracois même si le CRAC de Saint Astier propose quelques spectacles. L'artiste souligne à nouveau l'importance que revêt la culture notamment chez les plus jeunes si l'on veut éviter d'en faire des consommateurs, lutter, dès le plus jeune âge, contre le racisme, la violence, la discrimination des handicapés, par exemple. Son travail mené auprès des enfants lorsqu'il enseignait la musique donnant le jour à pas moins de 15 comédies musicales lui a permis de le mesurer.

N'attendant plus rien des institutions culturelles, cet artiste et tous ceux qui l'entourent font donc le pari de reconquérir leur outil de travail et de le mettre en valeur sans intermédiaire. Une révolution prolétarienne culturelle en somme! On espère de tout coeur que cette alternative fonctionnera auprès d'un public qui saura trouver son bonheur dans le large panel des propositions. Comme le suggère Christophe Lasnier dans son texte de présentation du festival, inversez les habitudes : substituer au temps habituellement passé devant les écrans de télévision qui "atrophient le cerveau" celui passé devant les spectacles. "Vous verrez rapidement les effets lumineux du procédé". Alors, vous venez?
Le festival commencera le 6 juillet avec le spectacle Blind Test et un pot sera offert par la mairie de Vanxains.

Texte et photos : Laura Sansot

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