Parce qu’il n’y a pas d’art sans engagement
Parce que les Arts disent que d’autres mondes sont possibles
Parce que des femmes et des hommes tentent de les construire
Parce que les Arts nous affranchissent des frontières et de l’enfermement
Parce que la Dordogne fourmille d’actions et de projets politiques alternatifs
Parce qu’aucun blog ne recense ce foisonnement d’activités militantes, politiques, artistiques et culturelles différentes,
Nous vous proposons Art Péri’Cité :
des agendas et des reportages sur les diverses manifestations ou activités

22/06/2015

CONCERT BUISSONNIER DE MORICE BENIN A PERIGUEUX

Dans un écrin de verdure, un petit coin de paradis dans la ville même de Périgueux, le chanteur Morice Benin donnait le vendredi 19 juin un concert chez un particulier. Un lieu pas comme les autres puisqu'il s'agit d'une ancienne guinguette ouverte en 1936 par des cheminots. S'y sentant plus à l'aise qu'à la guinguette de Barnabé fréquentée par les bourgeois, les ouvriers s'y pressaient aux premiers temps des congés payés. Ce soir-là, les propriétaires renouaient avec l'histoire musicale du lieu.
  Le concert de Morice Bénin, c'est par ici!

Transportés au XXIè siècle, nous sommes aujourd'hui dans un autre contexte. Un artiste comme Morice Benin peut en témoigner. Interrogé après son concert, il constate pour lui-même bien des changements depuis 5 ans : les salles du circuit culturel ordinaire ne recherchent plus ses prestations. Alors, ne renonçant aucunement à chanter, il a décidé de se tourner vers des lieux alternatifs pour des "concerts buissonniers". Certes, la rémunération est moindre mais le rapport au public est autre, de plus grande proximité, plus intime. Il parle de "diversité" de lieux, de rencontres ainsi permise. On l'invite dans des cafés associatifs (il est venu le 17 juin à Léguillac de Cercles), dans des cafés (le 18 juin, il était programmé au café Marjolaine à Plazac) ou chez l'habitant. Pour cette soirée, c'était un lieu hors des sentiers battus qui avait été choisi, explique son propriétaire, fidèle à l'esprit de l'artiste.
 
Sa venue à Périgueux est née d'un pari de Jean-Francis Parisi qui avait promis à son ami Jacquot de faire venir l'artiste dans la ville, suite à un concert auquel il n'avait pas pu assister. Pari gagné : il a trouvé un couple accueillant pour recevoir une bonne cinquantaine de personnes venue entendre le chanteur à l'occasion de cette "tournée triomphale" dans le Sud Ouest, comme Morice Benin aime à le dire avec un peu d'auto-dérision : 5 concerts dans des petits lieux dont 3 en Dordogne!  
 L'hôte présentant la soirée et le lieu
Jean-Francis Parisi . Crédits 3 photos : JP

Dans un décor simple comme l'artiste, la scène nous transporte dans le pays dont est originaire Morice Benin : le Maroc. 
Il y est né en 1947 à Casablanca. Là, un jour, son père est revenu à la maison : il avait obtenu de changer de nom. De Moïse Ben-Haïm, il devient Maurice Benin, "benin" en insistant sur le "e", a-t-il dit avec humour, pour présenter la chanson que lui a inspirée cette histoire : Fils de la vie (chanson extraite de l'album Etre de 2005), la traduction de son nom. Après s'être fait appelé Môrice Benin, il est depuis 1980 l'artiste connu sous le nom de Morice Benin.

Pour débuter le concert, le public s'est vu offrir une chanson qu'il avait écrite le jour même : "40 ans sont passés", à l'image de cet homme très productif : il écrit des chansons depuis l'âge de 14 ans! Il est l'auteur de près de 40 albums ou compilations. http://morice.com.free.fr/?page_id=53 Peut-être une manière de vouloir se faire entendre auprès du monde officiel de la chanson qui le reconnaît si peu, même si, comme il le chante, grâce au texte de Michèle Bernard, (Je vous appelle), "ce boulot-là, faut être culotté D' rêver si fort qu'on vous écoute!". Il faut dire aussi qu'il a claqué la porte au show-biz il y a bien longtemps. Comme beaucoup, il tente sa chance à Paris à l'âge de 18 ans. Il fréquente les cabarets de la rive gauche, rencontre Jacques Demarny qui lui permet d'enregistrer chez Barclay son premier 45 tours, à l'âge de 20 ans. Il tourne rapidement le dos à ce monde avec lequel il n'est pas en accord. En revanche, son heure de gloire, il l'obtient en 1973 lors du rassemblement pacifiste sur le Lazarc réunissant des milliers de personnes. Il participe à un disque collectif Larzac 74 sorti pour soutenir 103 agriculteurs en lutte contre l'extension du camp militaire, qui contribue probablement au succès de son disque Je vis (1975). Dans ce concert, on en a retrouvé la trace à travers Les comptes sont bons ou Plus tu es heureux, chanté en bis à la demande du public. Dans les années 70, il arrive à se produire lors de 150 concerts par an dans une époque bien différente d'aujourd'hui où LE politique n'était pas un gros mot. Les lieux pour accueillir les artistes contestataires comme lui sont légion. Dans les années 80, après avoir vécu en Ariège, il s'installe à Grenoble et rencontre à l'orée des années 90 celui qui va devenir son compagnon de route professionnel et ami, Dominique Dumont avec lequel il se produit depuis 25 ans.
Il était présent vendredi 19 juin et sa collaboration artistique a été particulièrement appréciée. Ses doigts effleurent les cordes de la guitare avec une grande douceur, comme s'il les caressait et transformait l'instrument en luth.
 
Depuis les années 90, Morice Benin anime des ateliers d'écriture et de mise en chanson appelés Chants sourciers en Ardèche ou dans la Drôme où il vit.
Pour ce concert, il a chanté plusieurs chansons de son dernier album paru en 2014, Infiniment. On y retrouve des thèmes qui lui sont chers comme ceux de la famille et de l'enfance Il évoque ainsi son petit dernier qui a 5 ans au visage malicieux et au regard profond, Souann, dans une chanson éponyme. Morice Benin semble trouver une source de vie puissante, "l'opiniâtre bonheur d'être" dans l'innocence, les sentiments désintéressés et la détermination de ce petit homme qui ne transige pas. Même dans son travail, il associe quelques-uns de ses enfants (il en a 7 de 5 à 45 ans!) : Hugo, Maïlis, Jérémis, Lucas Benin ont participé à l'élaboration du dernier disque. Dès 1987, il crée des spectacles pour enfants. Dans les années 1990 notamment, il travaille avec eux lors d'ateliers d'écriture pour donner lieu à des spectacles réalisés en commun. L'enfance semble être une raison d'espérer pour cet artiste pourtant pleinement conscient des réalités et des vanités du monde et qui "doute de l'avenir de l'homme", chante-t-il dans Severn, fillette de l'humanité. Cette chanson, qui était à son répertoire ce soir-là, évoque la jeune adolescente qui, au sommet de la Terre avait alerté les puissants sur "l'état déplorable de la planète" et qui avait inspiré à JP Jaud un film, fort apprécié par Morice Benin, et dont nous avions déjà parlé dans un article précédent. http://artpericite.blogspot.fr/search/label/Cin%C3%A9ma Alors, l'artiste s'associe à la fillette, aujourd'hui maman, en terminant sa chanson ainsi : "épargner à nos enfants leur requiem mortifère in vitro". Cette chanson fait écho à une autre, N'oubliez pas, où il implore de ne pas oublier les enfants, renvoyant à une phrase de Saint Exupéry : "Nous n'héritons pas d'la terre de nos ancêtres, nous l'empruntons à nos enfants".
 
 Morice Benin à la guitare
Pour combattre les lâchetés, les égoïsmes, l'apathie générale, il faut Des forces, texte de son fidèle complice Bruno Ruiz, afin de "réapprendre à se lever". La force, il la puise aussi dans l'amour : c'est un véritable hymne à sa bien-aimée que l'on entend dans Pollen. La mer, qu'il côtoie sur l'île de Houat, semble réveiller son énergie dans la chanson Ici : "notre faiblesse devient féconde".
Toutefois, lutter, c'est d'abord lutter contre soi-même et savoir réciter un Pater Noster revisité : Notre peur qui êtes odieuse. C'est aussi se voir inspiré par les suggestions d'un petit texte lu Dans la salle d'attente d'une thérapeute qui donne le goût du risque pour savoir profiter des belles choses de la vie, c'est aussi "marche[r] au devant de soi-même" (Souffle d'homme), penser à soi non par égoïsme mais pour irradier autour de soi ce bonheur qui fait que Plus, tu es heureux, "mieux t'accepte les autres". C'est reconnaître ses faiblesses et ses blessures qui font la beauté de l'homme (Nous sommes beaux), ses incertitudes et ses interrogations (Les gens qui doutent, un texte d'Anne Sylvestre). C'est toujours "rêver un impossible rêve (...) tenter, sans force et sans armure, d'atteindre l'inaccessible étoile" (La quête sur des paroles de J. Brel, celui qu'il a découvert au théâtre de Casablanca en 1962 et qui aura contribué fortement à sa vocation d'artiste). Au bout de ce chemin, malgré son "professeur de non-vieillissement", Souann, il y a la mort. C'est La mort sûre, comme Morice Benin le chante mais "ce qu'elle ne pourra pas tuer, c'est l'empreinte que tu auras laissée" et à la fin de la chanson : "car tout ce qu'elle va te révéler, c'est l'amour que t'auras semé", évoquant sa soeur décédée mais aussi peut-être la fragilité de sa propre vie.   
Après un album placé sous le signe Des astres annoncés (2012), il s'agit d'être Infiniment soi-même, comme si le vieillissement le conduisait vers l'essentiel. Certes, Morice Benin n'a pas perdu sa fougue et continue de s'indigner mais les chansons de révolte semblent moins présentes dans le dernier opus. Il y a comme un apaisement que l'intimité des concerts buissonniers invitent à partager. L'évolution du monde de la culture vers des considérations de plus en plus financières lui donnerait-elle paradoxalement, en le poussant loin de la lumière médiatique, les moyens de communier davantage avec son public et de lui transmettre cette sérénité?
Si son rapport au monde se fait plus intérieur, il y a toujours cette authenticité étonnante, cette passion jamais éteinte, cette capacité d'émerveillement, ce besoin irrépressible de trouver sans cesse des mots nouveaux pour dire à la fois son rejet d'un monde égoïste, matérialiste et destructeur et célébrer la beauté de la vie, sa poésie et sa richesse.

Pour prolonger ce moment d'émotion et de communion, les spectateurs étaient invités à goûter les plats amenés par chacun dans la pièce même où avait eu lieu le concert. Quant à l'artiste un peu en retrait, il prenait le temps de savourer ce temps passé avec le public et semblait l'observer, lui inspirant peut-être une nouvelle chanson...

Tous ses dates de concert sont à retrouver sur son site : http://morice.com.free.fr/

Texte et photos : Laura Sansot

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire