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15/06/2015

LIBERTE OU NUCLEAIRE : DEBAT A PERIGUEUX AUTOUR DU FILM LIBRES!

Le lundi 8 juin, dans le cadre de la Semaine Européenne sur le développement durable, l'association Ciné-Cinéma proposait en partenariat avec le Grand Périgueux et le Collectif Alternatives au nucléaire 24, une soirée débat autour du film de Jean-Paul Jaud, Libres!


Jean-Paul Jaud a réalisé divers films documentaires sur les questions environnementales comme Tous cobayes? (2012), Severn, la voix de nos enfants (2010) ou Nos enfants nous accuseront (2008).
Tous Cobayes? Severn, la voix de nos enfantsNos enfants nous accuseront
Dans Tous cobayes?, le réalisateur abordait déjà les méfaits du nucléaire, insistant sur le point commun des OGM et de cette source d'énergie : leur irréversibilité. Dans Severn, la voix de nos enfants et Nos enfants accuseront, il prenait conscience de la force des jeunes générations pour faire changer les comportements. On retrouve ces fils conducteurs dans ce nouveau film. C'est une "nouvelle porte d'entrée", telle que la définissait David Suzuki, environnementaliste canadien, père de la jeune Severn qui avait donné son nom au film de Jean-Paul Jaud. Elle était intervenue à Rio en 1992 pour interpeller les puissants face à leur négligence environnementale et interrogeait son père quelques années plus tard sur le fait que les choses ne changeaient pas. Il avait expliqué : "il nous faudra répéter et répéter encore. Il nous faudra trouver toujours de nouvelles façon de proposer les choses, de nouvelles portes d'entrées. Nous n'avons pas le choix". Par ce film, le réalisateur s'y emploie.
Et contrairement à ce qu'a pu dire, au début du débat, l'une des invités, Myriam Cosset de l'Espace info énergie 24, la présence des enfants évite "ce côté anxiogène très appuyé". Ils créent un espoir formidable quand on les écoute s'interroger en France, au Japon ou au Danemark et se poser les bonnes questions, quand on entend à la fin du film Lynntheia chanter "Plus rien" des Cowboys fringants http://libres-lefilm.tumblr.com/espace-presse ou cette chanson écrite par les enfants réfugiés de la province de Fukushima-Daiichi. Certes, ils n'ont pas la même attitude dans ces trois pays. C'est d'ailleurs en les observant que Jean-Paul Jaud peut mettre en confrontation, par là-même, les lieux où ils vivent et les positions des Etats face au nucléaire.
Jean-Paul Jaud, photo extraite de http://libres-lefilm.tumblr.com/espace-presse
En France, les enfants semblent au départ peu concernés par cette question du nucléaire. Ils sont filmés dans un stage "Musique et nature" dans une ferme bio de La Gravelle à Mortagne-sur-Gironde où ils découvrent la musique ou bien développent la pratique de leur instrument. Ils ne savent pas qu'à une vingtaine de kilomètres à vol d'oiseau se dresse la centrale nucléaire du Blayais et ses 4 réacteurs (sur les 58 que compte la France) qui ont failli être l'objet d'un accident lors de la tempête de 1999. Accompagnés de Jean Ganzhorn, ancien ingénieur en énergie et ancien salarié du Commissariat à l'énergie atomique (CEA), ils prennent conscience progressivement du danger qui les menace tout en conservant l'insouciance propre à leur âge, magnifiquement filmée par le réalisateur. On a le sentiment dans les premières images du film que l'on se retrouve dans une colo des années 70 : une certaine candeur s'en dégage, les enfants sont calmes, courent après les poules, les cajolent, cherchent les oeufs, ne semblent pas connaître le téléphone portable, apprécient la soupe du dîner. Au fur et à mesure du film, tout en continuant de s'amuser comme des fous dans l'eau boueuse des marées, entraînant dans leurs jeux leurs aînés, de jouer de la guitare au fil de l'eau, ils concentrent leur attention sur la question de l'environnement. La centrale commence à occuper l'image toujours en arrière-fond comme une menace peu visible mais perpétuelle. Ils l'observent depuis la terre et depuis un bateau. On les voit participer à des ateliers sur les énergies renouvelables, construire une éolienne. On saisit alors que c'est cette conscientisation que le réalisateur appelle de ses voeux dans le 2è pays le plus nucléarisé du monde accordant une confiance aveugle à l'énergie nucléaire, source de 75%  de l'énergie produite.
 
Le son du piano entendu dans ce stage relie bientôt celui produit par de jeunes japonais, Nagomi et Hiroto. Il s'efface rapidement laissant une caméra silencieuse suivre les couloirs d'une école désertée et atteindre une grande salle où trône un piano solitaire. L'heure de l'horloge s'est arrêtée à 15h40 et il n'y a plus d'enfants pour jouer de cet instrument. La piscine n'est plus utilisée, la magnifique plage à proximité est vide car, comme le dit un intervenant du film, le nucléaire : "Ce n'est ni visible, ni audible, ça n'a pas d'odeur. C'est en ce sens que c'est effrayant". L'insouciance des enfants français progressivement conscientisés fait place à la gravité des enfants japonais qui ont connu la catastrophe et l'exil et qui regardent avec nostalgie les photos de la mer où ils ne pourront plus aller. Des adultes disent leur volonté de résister, en restant sur place comme Naoto Matsumurapour, le dernier habitant de Tomioka, à 12 kms de la centrale, qui s'occupe des animaux abandonnés et se condamne lui-même, en démissionnant, comme Naoto Kan, alors Premier Ministre du Japon interviewé par Hervé Krempf, en menant une guerre contre les mots du nucléaire comme Jotaro Wakamatsu, ancien professeur de japonais et auteur de poèmes.
A nouveau les enfants réapparaissent comme guides du film lorsque la caméra se pose au Danemark dans l'île de Samso, nommée l'île de l'énergie au Danemark en 1997. La liberté dont jouissent les enfants de l'île, c'est celle à laquelle aspire ce film pour l'humanité. Comme l'explique Soren Hermansen de l'académie de l'énergie de cette île, l'énergie doit être considérée comme un "bien commun", source de liberté si chacun peut la produire. ("Si quelqu’un possède l’énergie et que vous devez la lui acheter, vous êtes alors limité. Votre liberté est amoindrie. Le plus d’énergie vous pourrez produire par vous-même, le plus libre vous serez. Vous pourrez décider comment l’administrer. Je pense que l’énergie est très proche de la liberté. Les énergies privées et la liberté sont deux choses contradictoires sous beaucoup d’aspects. Alors, rendez-nous l’énergie et nous serons plus libres!"). Son discours a donné son titre au film. Des enfants suivent les explications d'un électricien, d'un agriculteur et propriétaire d'une éolienne, d'un autre agriculteur et responsable d'une usine de biomasse, éveilleurs de consciences. 
 
Brian, l'électricien et Noa, image extraite de http://libres-lefilm.tumblr.com/espace-presse
Le réalisateur les montrent davantage dans l'écoute et la compréhension que dans l'insouciance. Ils semblent aussi plus libres et plus responsables glissant ainsi, sans recours à un caissier, l'argent correspondant au prix d'une barquette de fraises déposée dans une boîte. L'image de fin accentue ce sentiment de liberté retrouvée. Cette île est 100% suffisante sur le plan énergétique et fait partie d'un pays qui se fixe d'atteindre d'ici 2020 50% de l'énergie produite par l'éolien et d'ici 2050 100% par les énergies renouvelables. 
La liberté, bien que confisquée au Japon mais vers laquelle aspirent tous les enfants, circule tout au long du film grâce à la musique que l'on retrouve aussi au Danemark avec le festival de Samso rassemblant des milliers de spectateurs. Elle permet de donner au film sa tonalité poétique et lui rend sa légèreté quand les images de désolation du Japon pourraient l'appesantir. On peut ainsi saluer la force de ce film à la fois militant et artistique.

En revanche, l'aspect purement cinématographique a été seulement effleuré lors du débat, celui-ci se concentrant sur des questions plus techniques liées au nucléaire.
Parmi les invités, outre Myriam Cosset déjà citée, étaient présents François Laporte du Collectif Alternatives au nucléaire 24, animateur du débat, Christine Cornut, animatrice du Plan Climat Energie Territorial et Rafael Gaillot, ingénieur conseil de la SARL Appros-Energies implantée aux Lèches du côté de Mussidan. Bernadette Paul, maire de Razac sur l'Isle et vice-présidente du Grand Périgueux en charge du développement durable, dans un discours quelque peu électoraliste, a mis en avant des réalisations en cours ou à venir en Dordogne. Il a été question du Plan Climat-Energie-Territorial 2014-2018, de l'agenda 21 du conseil départemental, du défi des Familles à énergie positive.
de gauche à droite : François Laporte, Christine Cornut, Myriam Cosset, Bernadette Paul et Rafael Gaillot
A l'issue de la projection, Myriam Cosset a estimé que le frein au développement des énergies renouvelables ne venait pas nécessairement de la société civile. 
 Myriam Cosset
De son côté, Rafael Gaillot a déclaré que tout était "histoire de prix (...). Tant que l'on fonctionne dans une société mercantile, on ne fera pas comme il faut!". Même en faisant le choix de l'argent, le nucléaire n'est pas économique. A été évoqué un rapport de la Cour des comptes qui évalue comme une folie financière cet investissement dans ce type d'énergie. La facture d'électricité pour les contribuables risque d'augmenter fortement avec la débâcle d'Areva. Quant à l'uranium appauvri, il est aujourd'hui employé dans les munitions pour perforer tanks et blindés. Or, il a une période radioactive de 4,5 milliards d'années. http://www.sortirdunucleaire.org/Il-faut-interdire-les-armes-a C'est pour les Américains une manière de faire du recyclage des déchets, selon Rafael Gaillot. Celui-ci a expliqué, par ailleurs, que le développement du nucléaire en France était dû à l'absence de gaz et de charbon en quantité suffisante sur notre territoire. Alors que des pays ont développé les énergies renouvelables, comme l'Allemagne, la France est à la traîne. En Allemagne, la sortie du nucléaire est prévue pour 2022. En 15 ans, la réduction du nucléaire a été considérable au profit des énergies renouvelables mais aussi fossiles comme le charbon. La question de l'impact du CO2 en Allemagne a été posé. On a aussi, au cours de ce débat, parlé du rapport de l'Ademe (Agence l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie) qui constate que l'électricité française pourrait être 100% renouvelable d'ici 2050 et d'ailleurs pas plus coûteuse qu'avec le nucléaire http://www.reporterre.net/Le-vrai-sens-du-rapport-Ademe-le. En effet, il a été dit que le coût du démantèlement du nucléaire devrait croître. Cependant, pour que les énergies renouvelables se développent, il faut que les citoyens s'approprient la question énergétique. 
François Laporte et Rafael Gaillot

Le scénario Négawatt 2011  http://www.negawatt.org/scenario-negawatt-2011-p46.html repose sur la sobriété (c'est l'énergie que l'on ne va pas produire), l'efficacité et les énergies renouvelables. Des membres du groupe d'Angoulême étaient présents pour en parler. La sobriété a été développée en Dordogne avec le défi des familles à énergie positive http://aquitaine.familles-a-energie-positive.fr/ que François Laporte a souhaité aborder. Les familles, qui se sont engagées à consommer moins d'énergie, ont réduit leur consommation de 15% en moyenne. L'énergie renouvelable ne nécessite pas de gros investissements comme le nucléaire, quand on sait, a-t-on expliqué que l'EPR prévu pour coûter 3 milliards devrait en coûter au moins 3 fois plus. http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/04/21/epr-de-flamanville-de-plus-en-plus-en-retard-de-plus-en-plus-couteux_4618984_3244.html Pour Rafael Gaillot, le coût de l'énergie n'est pas assez cher pour susciter une prise de conscience. Pourtant, a évoqué une spectatrice, le nucléaire a un coût sur la santé que l'on passe souvent sous silence. Dans le public, il a été question des pastilles d'iode dont les pharmacies étaient censées disposer en cas d'accident nucléaire. Le test a été fait à Périgueux : les pharmacies n'en possèdent pas. Une autre spectatrice s'est demandé s'il existait des expérimentations sur un territoire entier. Visiblement, cela se ferait dans le Bergeracois et dans le pays de l'Isle : des "territoires à énergie positive pour la croissance verte" (TEPCV) http://aquitaine-pqa.fr/index.php/actualites/item/2205-2015-02-10-10-40-09 Myriam Cosset a regretté, dans ce cadre, des projets ficelés à la va-vite, sans grande concertation avec tous les acteurs. Malgré tout, ces territoires reçoivent une enveloppe entre 500 000 euros et 2 millions d'euros. Le débat s'est orienté ensuite sur les acteurs de ces actions de développement durable. En Dordogne, trois collectifs citoyens se sont créés. Il a été question aussi d'Enercoop, le seul fournisseur d'électricité à s'approvisionner directement et à 100% auprès de producteurs d'énergie renouvelable. Quand les multinationales s'emparent de ces questions, c'est la démocratie qui est en cause puisque est en jeu la marchandisation de la nature. "Aujourd'hui, on fait du fric avec de l'éolien", a-t-on entendu.  Une spectatrice a abordé l'impact de l'éolien sur le paysage, la question de l'implantation des éoliennes dans le Parc Périgord-Limousin. Des grandes sociétés sont fortement intéressées par des lieux peu densément peuplés pour installer des éoliennes sans véritable concertation avec les acteurs du territoire. Des échanges ont eu lieu ensuite concernant les différentes énergies renouvelables et leur recyclage : hydrolienne, panneaux photovoltaïques, méthanisation.
Enfin, le débat s'est terminé en évoquant le collectif Alternatives au nucléaire créé en mars 2014 mais qui avait commencé à émerger lors de la grande chaîne humaine du 11 mars 2012. Un car était parti de Périgueux pour participer à cet évènement entre Lyon et Avignon. Depuis, le collectif a participé en mars 2015 à des actions en mémoire de l'accident de Fukushima  (manifestation à Périgueux, lectures à la médiathèque Pierre Fanlac et au café de Léguillac de Cercles). Le collectif Vélorution Périgourdine, quant à lui, défend l'utilisation du vélo pour les déplacements urbains quotidiens. Il organise une manifestation festive tous les 2è samedis du mois dans les rues de Périgueux, sauf en juillet et en août. RDV : dès 10h30, rue Taillefer.

La soirée aura été l'occasion d'amener 7 familles à exprimer leur intérêt pour le défi des familles à énergie positive.

Texte et photos : Laura Sansot

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