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15/04/2015

UN FIL A LA PATTE REVISITÉ A LA FABRIQUE

Pour son dernier spectacle de la saison avant le festival de la Vallée en mai-juin, le CRAC proposait en partenariat avec l'Agence culturelle départementale et l'Atelier Rouge Théâtre, le vendredi 10 avril, un "Fil à la Patte", fameuse pièce de théâtre de Georges Feydeau, totalement revisité.
Et si l'on intitulait un précédent article "le CRAC plus vivant que jamais" http://artpericite.blogspot.fr/2015_01_01_archive.html, ce titre ne s'est pas démenti lors de cette soirée : les comédiens ont fait salle comble, comme s'en est félicité Agnès Garcenot, sa directrice.

Il faut dire que Feydeau (1862-1921) était déjà un auteur à succès à la fin du XIXè siècle, surtout à partir de 1892, et il l'est resté, tant ses vaudevilles confèrent à l'universel et ne sont pas seulement une observation lucide de la société de son temps. Ses pièces, qui dénoncent, entre autres, l'hypocrisie et la médiocrité bourgeoises, sont avant tout une description fine de la nature humaine. Si la critique était divisée à son égard, elle a reconnu son talent comique, tout en dévaluant le genre. Malgré tout, il était considéré comme le roi du vaudeville, lui qui avait commencé à écrire quelques textes vers 7 ans et a écrit sa première pièce à 19 ans. Influencé par sa propre histoire et l'échec de son mariage avec Marie-Anne Carolus-Duran, il a composé plus tardivement des farces conjugales en un acte comme On purge bébé! que Renoir adaptera au cinéma.
Evoquer Feydeau, c'est aborder sa grande affaire : le rire. Son grand ami, Sacha Guitry, qui le considérait d'ailleurs comme son maître, a écrit : "Aucune homme, jamais, ne fut plus favorisé que lui par le Destin. Il avait, dans son jeu, tous les atouts : la beauté, la distinction, le charme, le goût, le talent, la fortune et l'esprit. Puis, le Destin voulant parachever son oeuvre, il eut ce pouvoir prodigieux de faire rire...D'autres, me direz-vous, l'avaient eu avant lui et d'autres l'ont encore, ce pouvoir. Eh bien, non! Ce que d'autres ont eu, ce que d'autres ont encore, c'est le don de faire rire, c'en est la possibilité, mais lui, Georges Feydeau, ce qu'il avait en outre, et sans partage, c'était le pouvoir de faire rire infailliblement, mathématiquement, à tel instant choisi par lui et pendant un nombre défini de secondes".
Vouloir rajouter de l'humour au comique de ce véritable horloger ou ingénieur du rire, comme l'ont fait les deux comédiens de la Compagnie du Grenier de Toulouse, pouvait donc paraître une gageure et bien prétentieux. Et pourtant, cela fonctionne à merveille et le public est ravi, se levant même à la fin de la pièce. Il faut dire que le spectacle est bien rodé. Bien que monté très rapidement en 3 semaines puisqu'en parallèle les comédiens participaient à un autre spectacle "Les Trois Mousquetaires", il a été joué au moins 200 fois dans toute la France, dans des lieux très divers même si les protagonistes affectionnent plutôt les théâtres où ils se plaisent à surprendre les spectateurs venus écouter une pièce en bonne et due forme plutôt qu'une pièce de théâtre célèbre revisitée
Pierre Matras est le directeur de la Compagnie du Grenier de Toulouse depuis 2003 (rejoint par Stéphane Battle en 2005) mais aussi metteur en scène de cette pièce. Il s'agit d'un compagnie prestigieuse qui a une longue histoire puisqu'elle fête cette année ses 70 ans et fut créée par Maurice Sarrazin, comédien, metteur en scène, un des pionniers de la décentralisation culturelle. Elle devenait dès 1946 le 3è centre dramatique national. Aujourd'hui, elle est implantée à Tournefeuille en banlieue toulousaine, dans le Théâtre de l'Escale, où une demi douzaine de spectacles sont produits par saison sans compter ceux qui tournent en France, comme ce spectacle.
Pierre Matras a joué seul des pièces et la complicité avec Muriel Darras aidant (ils se connaissent depuis plus de 16 ans), il a souhaité lancer ce projet d'interpréter à deux les multiples personnages de cette fameuse pièce de Feydeau. En effet, comme il l'a expliqué à la fin de la représentation, invité avec son acolyte à s'exprimer sur cette création, la pièce recèle autant de personnages féminins que masculins, bien que dans l'acte III, les hommes soient davantage présents. 
 
Pour maintenir un équilibre, les comédiens ont trouvé une pirouette : Pierre Matras est seul en scène la plupart du temps dans ce dernier acte et Muriel Darras, s'emparant d'un micro, fait les bruitages en coulisses sur ce qui se passe devant le public. L'effet est hilarant.
Ce n'est donc pas la pièce en totalité qui dure habituellement 2h15 qui est représentée mais sa substantifique moelle en 1h15. Au départ, la pièce étaient jouée sans coupe, la noce du IIIè acte était maintenue par exemple, mais les comédiens étaient sur les rotules, confient-ils. Au fur et à mesure des représentations, la pièce a donc évolué, se dotant de quelques sketches mais en épurant les dialogues. Toutefois, les comédiens parviennent à conserver le texte fidèlement y compris avec les apartés, tout en opérant des coupures, sans que le sens n'en soit affecté. L'histoire, écrite en 1894, est résumée par les comédiens : Lucette Gautier, une chanteuse de café-concert, reçoit à déjeuner des invités dont son amant désargenté, Fernand Bois-D'Enghien, qui est venu rompre (mais elle ne le sait pas, elle croit, en revanche à son retour) car il doit épouser une jeune femme ingénue mais héritière d'une belle dot, la fille de la baronne Duverger, Viviane. 
Là où les comédiens innovent, c'est dans la mise en scène : ils ne sont plus que deux à jouer les personnages, se présentant comme les deux ouvreurs se substituant aux comédiens qui ont déserté les lieux. Loin de la représentation classique avec tout le mobilier et les costumes que l'on pouvait trouver dans la pièce donnée par la Comédie Française en 1970, par exemple https://www.youtube.com/watch?v=jQpZ_92ukew, le décor est très sobre : 3 malles et 2 pans de murs suffisent à imaginer la pièce et tout son décorum. Il faut dire que le talent des deux comédiens y est pour beaucoup. Si Pierre Matras a choisi ce minimalisme pour susciter l'imagination des spectateurs, il n'a pas eu tort car excellent sa virtuosité à jouer tous les personnages masculins, notamment le fameux Bouzin, clerc de notaire et "littérateur", et celle aussi de sa partenaire, très drôle dans le personnage de Vivianne affublée d'un fort accent du Midi ou dans celle de la vieille fille qu'est la soeur de Lucette. Malgré l'absence de représentation physique de tous les personnages, Pierre Matras et Muriel Darras parviennent à insuffler la même énergie créée par les enchaînements de quiproquos et de courses-poursuites et par le passage incessant d'un personnage à un autre, tout y ajoutant une pointe de nonchalance avec le personnage de Muriel. L'histoire rocambolesque, le texte fait de bons mots, de déformations linguistiques, de phrases courtes qui lui donnent sa vivacité, liés à la gestuelle et aux gags créés par les comédiens enthousiastes emportent l'adhésion du public. Une véritable performance qui aura sûrement incité des apprentis comédiens à suivre le stage dispensé le lendemain à Neuvic par Muriel Darras sur le thème :  "les bases pour jouer le théâtre de boulevard".

Texte et photos : Laura Sansot

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