Le 22 septembre était inaugurée une grainothèque dans le hall de la médiathèque Pierre Fanlac de Périgueux.
L'idée
de grainothèque est née aux Etats-Unis. En France, c'est l'association
Graines de Troc et son fondateur, Sébastien Wittevert, un informaticien
en reconversion vers le maraîchage, qui ont initié le mouvement en
Charente-Maritime en mai 2012 et incité des bibliothèques à installer
des grainothèques dans leurs murs. Une des premières a été celle de
Lagord (17) qu'a visité Chantal Roubenne, une des bibliothécaires de la
médiathèque Pierre Fanlac. Conquise par cette initiative, celle-ci a
proposé le projet que sa collègue, Isabelle Bazerque, a alors monté.
Le maire, présent lors de l'inauguration, a d'ailleurs précisé que cette action s'inscrivait "dans le droit fil de ce que nous faisions avec Péri Meuh" (qui se tenait durant ce week-end-là), avec "la mise en valeur de la ruralité" par "ceux qui s'attachent à la conservation" et "s'engagent pour la diversité".
Toutefois, au regard des partenaires de cette opération (FDSEA, Crédit
agricole...) qui défendent une agriculture productiviste, on aurait pu
modérer cette affirmation mais on se réjouira que M. Audi soutienne
cette initiative.
Antoine Audy
Créer
une grainothèque, en effet, est une forme de résistance à petite
échelle mais qui fait son chemin : il en existe désormais 400 sur le
territoire français dont une partie dans les bibliothèques. A Périgueux,
Isabelle Bazerque explique que cette proposition peut inciter "les gens" à "se rend[re] compte des problèmes posés par la brevetabilité du vivant" à une époque où ils sont poussés à "ne passer que par les semenciers".
Et l'urgence est là puisqu'en un siècle, selon les chiffres de la FAO,
75% de la biodiversité a disparu. Selon elle, la bibliothèque est "un
lieu que l'on essaie d'ouvrir au maximum pour réfléchir à différentes
questions sociétales. Il justifie donc ce type d'initiative". Quant au directeur, il a indiqué, lors de la présentation du projet, qu'il aspirait à un double mouvement : "on fait sortir les livres et on fait rentrer les graines".
Isabelle Bazerque poursuit : "la bibliothèque, ce ne sont pas que des livres. Ce qui compte, c'est le contenu des livres plus que le livre en tant qu'objet. Toutes les questions doivent être abordées en bibliothèque".
Isabelle Bazerque poursuit : "la bibliothèque, ce ne sont pas que des livres. Ce qui compte, c'est le contenu des livres plus que le livre en tant qu'objet. Toutes les questions doivent être abordées en bibliothèque".
Antoine Audy et Jean-Marie Barbiche, directeur de la médiahèque
C'est justement la raison pour laquelle était projeté, suite à l'inauguration, le film La guerre des graines de Stenka Quillet et Clément Montfort. Celui-ci aborde les enjeux majeurs qui entourent les graines : alors que "depuis 12 000 ans, les paysans sèment, sélectionnent et échangent librement leurs graines" (...), "cette pratique ancestrale est en péril" : "cinq
multinationales (Limagrain, Monsanto, Syngenta, DuPont, Pioneer,
Bayer), des géants de la chimie, devenus producteurs de semences,
contrôlent la moitié du marché et elles ont un projet : devenir
propriétaire des graines". Or, "les graines sont-elles un bien commun à l'humanité ou une marchandise comme les autres?".Le film présente le combat d'hommes et de femmes pour protéger cette diversité, à l'image de Vandana Shiva, docteur en physique quantique devenue militante écologique qui prône la désobéissance et lutte contre l'esclavage des graines. Elle a créé il y a 25 ans une ferme pour développer la souveraineté alimentaire de paysans indiens ainsi qu'une banque de graines (dont 630 variétés de riz). Dans ce pays, 200 000 paysans ruinés se sont suicidés en 10 ans. Il y a aussi cet ancien ingénieur agronome, Jean-Pierre Berlan, qui a pris ses distances avec les laboratoires et "dénonce ce mariage contre nature de la chimie et des graines", cette agricultrice, Marie Durand, qui a trouvé le moyen d'alimenter ses bêtes à partir de ses propres cultures, ce boulanger, Christian Dalmasso, qui fabrique son pain avec le blé qu'il a lui-même produit avec ses graines, Guy Kastler qui a fondé le Réseau Semences Paysannes, ce maire de Grigny sur Rhône (au sud de Lyon), René Balme, qui achète à Kokopelli toutes les graines qui sont semées sur les espaces verts de la commune.
Le film s'achève à Svalbard, à 1000 kms du cercle polaire où est implanté le congélateur mondial qui recenserait toutes les copies des plantes nourricières de la planète (800 000 échantillons différents) conservées à -18°C. Une banque de graines au profit des industriels. En effet, parmi les donateurs, on recense des multinationales qui dominent le marché des graines ou la fondation Rockefeller qui a promu la révolution verte en Afrique et détruit la biodiversité sur ce continent, tout comme la fondation Bill et Melinda Gates, rappelle Vandana Shiva. Ces graines ne sont pas censées sortir de ce bunker et doivent pouvoir y rester 400 à 500 ans. Or, "si l'on ne resème pas régulièrement les graines pour qu'elles gardent leur capacité de germer, on aura que des graines mortes", remarque Guy Kastler. En fait, le but est qu'en cas de catastrophe écologique, les multinationales soient les seules à pouvoir récupérer les gènes des semences.
Le film peut être visionné sur ce lien : https://www.youtube.com/watch?v=cb1YjUTvHmc&feature=youtu.be
Le débat qui a suivi la projection était animé par Simon Estival d'AgroBio Périgord http://www.agrobioperigord.fr/, association partenaire de l'opération, et Laurent Briquet, chef du service des espaces verts de Périgueux.
Le premier était venu avec des épis de maïs hybride et de maïs population pour illustrer la séquence du film où Marie Durand montre des champs où les uns et les autres sont cultivés. Le maïs hybride ou "hybride F1" produit des pieds très productifs mais identiques, qui détruisent toute biodiversité et qui ne se resèment pas d'une année sur l'autre ou produisent de très médiocres rendements. En revanche, le maïs population permet une reproduction de ses graines (toutes différentes) l'année suivante. Doté d'un riche patrimoine génétique, il est "plus riche du point de vue nutritif et plus intéressant du point de gustatif", a souligné Simon Estival. "C'est une semence libre de droit, elle n'est pas inscrite au catalogue français des espèces et des variétés" dont "95% des semences sont hybrides, donc stériles", explique le film. Pourtant, en France, la loi n'autorise que la vente ou l'échange des plantes inscrites au catalogue. Ces semences hybrides rapportent 769 millions d'euros à l'industrie.
Simon Estival
L'association
périgourdine fondée en 1989 est sollicitée par les agriculteurs quand
les OGM se développent au tournant des années 2000. Ceux-ci recherchent
alors des variétés anciennes. L'association va alors créer un stock de
graines à travers la Maison de la semence paysanne. Parmi ses actions,
elle cherche à valoriser le maïs population et l'alimentation humaine.
Cette plante a été découverte au Mexique lorsque Christophe Colomb a
débarqué en Amérique puis importée en France pour faire face à
l'accroissement de la population au XVIIè siècle. Elle est entrée dans
la composition de nombreux plats traditionnels du Sud Ouest, comme la
polenta. Aujourd'hui, son utilisation en cuisine a quasiment disparu
avec l'arrivée du maïs hybride mais en Dordogne, deux agriculteurs
cultivent du maïs population pour faire de la polenta : Armand Duteil à
Bourdeilles et Bertrand Lassaigne au Change. Parce que le maïs hybride
pour l'ensilage est très cher, le maïs population pour cet usage se
développe. Cet intérêt pour le maïs a d'ailleurs permis d'éditer un
livre de recettes à l'initiative d'AgroBio Périgord : Du maïs paysans dans mon assiette.Un membre du public a interrogé le jeune intervenant sur l'affaire Carrefour qui venait de s'engager quelques jours auparavant à vendre des légumes issus de semences paysannes et non du catalogue. Simon Estival a estimé qu'il était nécessaire de prendre le temps d'observer la manière dont l'entreprise de grande distribution allait mener l'opération qui n'était en rien subversive puisque légalement, rien ne s'y opposait : seule la vente de semences paysannes était interdite et non les produits qui en étaient issus.
Laurent Briquet a, quant à lui, montré combien la question des graines était au coeur de son travail. Outre la fin du recours aux produits phytosanitaires depuis plusieurs années, avant même la loi qui l'a instituée au 1er janvier 2017, le responsable a à coeur de préserver la biodiversité sur le territoire, ce qui n'est pas sans risque, comme il en a témoigné. Les graines qu'il achète sont issues d'un catalogue de 260 variétés mais certaines plantations sont le fruit de boutures à partir de plants tombés dans le domaine public ou propriétés depuis longtemps de la Ville. Ils sont cultivés dans les 2000 m² de serres municipales. Périgueux est d'ailleurs une des rares communes à avoir conservé un centre de production horticole, ce qui a un coût mais qui favorise la diversité et évite la propagation des maladies. Or, il a reçu un jour l'appel d'un semencier dont un représentant s'était inquiété de la provenance de quelques plants, craignant que la ville n'ait acheté chez un concurrent. Il a été menacé du tribunal administratif. Avec ce travail hors norme mais assez marginal en France, Laurent Briquet se considère lui et ses agents comme "des employés peu préoccupants", à l'instar de Jean-François Lyphout, présent dans la salle et grand défenseur du purin d'ortie, considéré comme une des préparations naturelles peu préoccupantes (PNPP).
Laurent Briquet
Pourtant,
en achetant la plupart de ses graines afin de respecter la loi en tant
qu'agent public, le responsable des espaces verts regrette de ne pas
être libre de ses choix. Il estime manquer de cohérence alors qu'il veut
défendre, à travers ses parterres où il multiplie avec ses équipes les
plantations de petits arbres fruitiers et de légumes, "la vie et la santé".
Il voudrait que son travail soit basé davantage sur l'expérience, la
transmission de savoirs anciens. Malgré le risque que les laboratoires
viennent surveiller la provenance de ses plants, il faut, selon lui, "former
un groupe de résistants, travailler ensemble et petit à petit se
permettre de retrouver des plantes que l'on peut travailler soi-même". Un projet de convention avec AgroBio Périgord est donc en cours afin de "s'engager à partager la vie",
a-t-il déclaré. Il a aussi l'espoir que la prise de conscience se fasse
au sujet des graines, comme elle s'est faite au niveau des produits
phytosanitaires.Parce que la grainothèque souhaite favoriser l'échange de graines paysannes, les espaces verts ne pourront pas fournir de semences mais ils participeront à leur manière lors des ateliers à destination des parents et des enfants sur les semis ou la récolte de graines dont les prochains auront lieu le 4 octobre. Ils ont déjà apporté leur contribution lors de la semaine du développement durable.
Parmi les fournisseurs de la grainothèque, il y a les partenaires officiels AgroBio Périgord et l'AFAC24 (Association Formation Avenir Conseil), une association qui vise à l'insertion socio-professionnelle et promeut des ateliers autour de jardins en particulier à Coulounieix-Chamiers où le graines sont conservées pour être resemées. Ils se sont d'ailleurs montrés généreux lors de cette journée d'inauguration. Des lecteurs aussi sont venus apporter leurs graines, si bien que dès le premier jour, la grainothèque, visitée par une soixantaine de personnes, possédait déjà une bonne centaine de sachets de graines de fleurs, de légumes et de fruits libres de droit, issues de cultures locales, rustiques sans engrais chimiques ni pesticide, hors de tout circuit commercial, ce qui a agréablement surprise l'initiatrice du projet. C'est d'ailleurs pour cela que les participants doivent indiquer, entre autres, sur le sachet la provenance des graines.
En aucun cas, il s'agit de faire concurrence aux semenciers traditionnels ni aux pépiniéristes locaux. Chacun peut donc venir récupérer gratuitement des sachets et est invité à en déposer lui-même en remplissant le cahier de suivi et en indiquant à terme les effets des plantations issues des semences récupérées à la grainothèque.
Ainsi, ce projet vise à développer du lien social, comme le souhaite Isabelle Bazerque, et à partager des savoirs anciens. Le meuble lui-même est issu du recyclage puisqu'il s'agit d'un ancien meuble à fichier, du temps où la bibliothèque n'était pas encore informatisée, que l'on a égayé par de multiples couleurs.
Tout l'enjeu désormais est de faire vivre cette grainothèque. La bibliothécaire, mobilisée dans la salle de prêt adulte, ne pourra pas être présente en continu dans le hall. Elle compte donc développer des animations autour de ce projet pour le faire vivre, comme des ateliers à reconduire régulièrement ou de nouveaux à inventer, des projections-débats en présence de militants à même de faire partager leurs connaissances dans le domaine de la biodiversité. Le projet "ne fait que commencer", a donc indiqué le directeur lors de l'inauguration. Si le public s'en saisit, il va permettre "une prise de conscience" de l'enjeu que représente la défense des semences paysannes. Il va favoriser "la mise en pratique par un geste citoyen simple", accessible au plus grand nombre, précise Isabelle Bazerque. En effet, l'objectif n'est pas de limiter le projet à quelques militants mais de faire intervenir un maximum de lecteurs, poursuit-elle en substance : "pour que les choses changent, cela passera par le plus grand nombre" et les semenciers "ne pourront pas faire grand chose contre des initiatives" modestes mais "qui se multiplieront". Alors, à vos plantations car il faudra beaucoup de grainothèques pour contrebalancer le congélateur mondial!
Toutes les informations sont à retrouver sur le site de la médiathèque : http://www.perigueux-mediatheque.fr/2017/05/03/une-grainotheque-a-la-mediatheque/
Texte et photos : Laura Sansot
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