Le
15 mai s'ouvrait le festival du printemps au Proche-Orient. Le premier
invité était le photographe parisien Bruno Fert, né en 1971, qui présentait son exposition Les absents dans les locaux de la Visitation à Périgueux.
L'animateur
du festival lui-même photographe, Nicolas Lux, a pris la parole pour introduire la manifestation rappelant
son caractère atypique et ses rendez-vous protéiformes, évoquant la
diversité des auteurs mis en valeur. Une vingtaine d'évènements sont au
programme jusqu'au 3 juin, soit une augmentation de 20% du nombre de
propositions par rapport à l'année derrière : des films, expositions, conférences, concerts et même des
rencontres et ateliers autour de la gastronomie à la médiathèque de
Trélissac. Une trentaine de partenaires sont mobilisés, des habitués
comme l'Agora de Boulazac, l'Odyssée de Périgueux et des nouveaux comme
le Studio 53. Le festival réalise aussi un travail auprès des
scolaires.
Bruno Fert a alors été invité à s'exprimer.
Formé à l'Ecole Nationale des Arts décoratifs à Paris puis à New York, il oriente son travail vers l'Afrique et le Moyen-Orient. Après avoir réalisé "Avoir 20 ans en Palestine" primé en 2002 par la Bourse du talent et après avoir couvert la deuxième Intifada (2000-2005) et donc photographié une actualité brûlante, il a souhaité s'intéresser aux réfugiés palestiniens. Depuis longtemps, il réfléchissait à ce projet mais il était difficile de les photographier. Le déclic s'est produit quand il a découvert une association, Zochrot http://zochrot.org/, qui recensait les sites des anciens villages arabes de la Palestine. En effet, après une guerre civile entre novembre 1947 et mai 1948, la création de l'Etat d'Israël a engendré une guerre israélo-arabe. 700 000 Palestiniens ont dû s'exiler, soit 90% de la population, vers les pays voisins. D'ailleurs, la date du vernissage n'était pas fixée par hasard puisque le 15 mai est le jour anniversaire de la création d'Israël mais aussi pour les Palestiniens celui de la nakba (catastrophe ou désastre en arabe) et le début de l'exode.
Le photographe est donc revenu aux sources de la question des réfugiés. Il s'est plongé dans ces cartes d'avant 1948 et a fait plusieurs allers et retours entre la France et Israël. Simplement muni d'un GPS et de ces cartes, il a loué une voiture et s'est lancé à l'aventure sans savoir ce qu'il trouverait. Il a découvert quelques-uns des 500 villages dépeuplés, parfois détruits, ces localités "tombées des cartes" qu'évoque Elias Sanbar. La plupart du temps, aucune signalétique n'est présente ou quand elle l'est, elle est rapidement arrachée après avoir été posée, ou bien encore aucune route n'y mème. Les anciens villages sont repérables uniquement avec des coordonnées géographiques. C'est pourquoi Bruno Fert a choisi de légender de cette manière ses photos en y ajoutant le nom de la localité. Aujourd'hui, l'histoire de ces lieux, absents de nouvelles cartes, est ignorée des habitants. Ils sont Le bien des absents, titre du livre d'Elias Sanbar, publié en 2001.
D'ailleurs, Bruno Fert a donné l'exemple de cette photo prise dans le parc naturel de Sataf, à l'Ouest de Jérusalem, où les familles israéliennes se promènent et se baignent dans les bassins sans percevoir la mémoire de ces ruines, pensant qu'elles sont plus anciennes. C'est d'ailleurs pour cette raison que le photographe a pu facilement réaliser son projet, sans être inquiété par les autorités israéliennes. Contrairement aux travaux artistiques mettant en scène des Palestiniens, qui ont suscité systématiquement fouilles et longs interrogatoires à l'aéroport Ben Gourion à chacun de ses passages, a-t-il raconté, le travail sur Les absents n'a entraîné aucune méfiance. Au contraire, Bruno Fert se souvient des encouragements d'un policier lui souhaitant un bon séjour! Israël est un pays très touristique où les mouvements de population depuis des siècles ont laissé des traces variées. La nakba a permis aux autorités israéliennes d'enfouir les empreintes des Palestiniens dans des vestiges plus anciens, attitude qu'a intégré le peuple israélien plus ou moins consciemment.
Ces absents renvoient aussi aux "présents absents", une catégorie juridique en Israël qui désigne les déplacés de l'intérieur, environ 40 000 personnes. Il faut noter que cette absence s'illustre dans la géographie mais aussi dans la documentation très restreinte sur le sujet, comme a pu le constater le photographe.
Pour composer son exposition, Bruno Fert a choisi de montrer une diversité de lieux, près d'une trentaine : des bords de route, des lieux de culte, des cimetières, des paysages urbains, ruraux, qu'il a cartographiés.
Cette variété est profondément touchante car elle dit toute l'ampleur de l'héritage perdu.
Nicolas Lux
Il
a été rappelé par Christian Lecomte, maire de Champcevinel et
vice-président du Grand Périgueux, le rôle déterminant du public dans la
pérennité de cette manifestation qui nécessite une importante
mobilisation des élus. Ceux-ci doivent batailler pour faire valoir
l'intérêt de la culture, d'une part, et d'une culture exigeante, d'autre
part. Le représentant du Conseil départemental, Philippe Labrousse, a
souligné le soutien renforcé de l'institution et des partenaires, garant
de sa pérennité. Ce festival était d'autant plus important qu'il
engageait à l'ouverture et à la tolérance, dans des temps troublés. L'adjointe à la culture de
Périgueux, Elisabeth Dartencet, a évoqué ses sentiments partagés entre
tristesse, quand elle pensait au sort des chrétiens d'Orient, de tous
les déracinés et à la situation de la Syrie, et joie de voir le talent
du photographe invité qui accomplissait un véritable travail de mémoire.
de gauche à droite : Bruno Fert, Nicolas Lux, Christian Lecomte, Philippe Labrousse, Elisabeth Dartencet
Formé à l'Ecole Nationale des Arts décoratifs à Paris puis à New York, il oriente son travail vers l'Afrique et le Moyen-Orient. Après avoir réalisé "Avoir 20 ans en Palestine" primé en 2002 par la Bourse du talent et après avoir couvert la deuxième Intifada (2000-2005) et donc photographié une actualité brûlante, il a souhaité s'intéresser aux réfugiés palestiniens. Depuis longtemps, il réfléchissait à ce projet mais il était difficile de les photographier. Le déclic s'est produit quand il a découvert une association, Zochrot http://zochrot.org/, qui recensait les sites des anciens villages arabes de la Palestine. En effet, après une guerre civile entre novembre 1947 et mai 1948, la création de l'Etat d'Israël a engendré une guerre israélo-arabe. 700 000 Palestiniens ont dû s'exiler, soit 90% de la population, vers les pays voisins. D'ailleurs, la date du vernissage n'était pas fixée par hasard puisque le 15 mai est le jour anniversaire de la création d'Israël mais aussi pour les Palestiniens celui de la nakba (catastrophe ou désastre en arabe) et le début de l'exode.
Le photographe est donc revenu aux sources de la question des réfugiés. Il s'est plongé dans ces cartes d'avant 1948 et a fait plusieurs allers et retours entre la France et Israël. Simplement muni d'un GPS et de ces cartes, il a loué une voiture et s'est lancé à l'aventure sans savoir ce qu'il trouverait. Il a découvert quelques-uns des 500 villages dépeuplés, parfois détruits, ces localités "tombées des cartes" qu'évoque Elias Sanbar. La plupart du temps, aucune signalétique n'est présente ou quand elle l'est, elle est rapidement arrachée après avoir été posée, ou bien encore aucune route n'y mème. Les anciens villages sont repérables uniquement avec des coordonnées géographiques. C'est pourquoi Bruno Fert a choisi de légender de cette manière ses photos en y ajoutant le nom de la localité. Aujourd'hui, l'histoire de ces lieux, absents de nouvelles cartes, est ignorée des habitants. Ils sont Le bien des absents, titre du livre d'Elias Sanbar, publié en 2001.
D'ailleurs, Bruno Fert a donné l'exemple de cette photo prise dans le parc naturel de Sataf, à l'Ouest de Jérusalem, où les familles israéliennes se promènent et se baignent dans les bassins sans percevoir la mémoire de ces ruines, pensant qu'elles sont plus anciennes. C'est d'ailleurs pour cette raison que le photographe a pu facilement réaliser son projet, sans être inquiété par les autorités israéliennes. Contrairement aux travaux artistiques mettant en scène des Palestiniens, qui ont suscité systématiquement fouilles et longs interrogatoires à l'aéroport Ben Gourion à chacun de ses passages, a-t-il raconté, le travail sur Les absents n'a entraîné aucune méfiance. Au contraire, Bruno Fert se souvient des encouragements d'un policier lui souhaitant un bon séjour! Israël est un pays très touristique où les mouvements de population depuis des siècles ont laissé des traces variées. La nakba a permis aux autorités israéliennes d'enfouir les empreintes des Palestiniens dans des vestiges plus anciens, attitude qu'a intégré le peuple israélien plus ou moins consciemment.
Sataf
Plutôt que photographier les Palestiniens dans les camps, Bruno Fert a pris le parti de ne mettre en scène aucun réfugié mais leur absence en Israël est devenu le sujet de cette exposition qui a aussi donné lieu à un livre paru en 2017 aux éditions du Bec en l'Air : Les absents. Elias Sanbar a rédigé le texte. http://www.becair.com/auteur/bruno-fert/ Ces absents renvoient aussi aux "présents absents", une catégorie juridique en Israël qui désigne les déplacés de l'intérieur, environ 40 000 personnes. Il faut noter que cette absence s'illustre dans la géographie mais aussi dans la documentation très restreinte sur le sujet, comme a pu le constater le photographe.
Cette variété est profondément touchante car elle dit toute l'ampleur de l'héritage perdu.
Le village de Liftar et le quartier de Ramot, à la périphérie de Jérusalem, où les habitants ont été évacués en 1948.
Elle dit la destruction, comme celle vécue par le village de Kafr'Inan, conquis en octobre 1948, dont il ne reste que des pierres et vers lequel les habitants essayèrent vainement de revenir.
Kafr'Inan
Elle dit la beauté confisquée. Un chemin de randonnée traverse désormais l'ancien village de Suba dont il ne reste que des ruines et dont les 720 habitants durent fuir les combats en juillet 1948. Un kibboutz s'est installé à proximité. Elias Sanbar, dans l'ouvrage, en fait la photo originelle pour dire toute la force de ce projet. Il parle d'un "pari aspirant non à "faire du beau" mais à répertorier quelques signes de la beauté de ce qui fut et dont ne subsistent que ces traces têtues dans le vide des lieux abandonnés". Il ajoute définissant le "parti pris" du photographe : "se contenter de voir pour que d'autres voient". La suite de ses commentaires est une évocation très subtile et sensible des sentiments suscités par ce travail auprès d'un homme qui est lui-même un exilé, né à Haïfa en février 1947 et réfugié au Liban avec sa famille à 15 mois.
Suba
Cette série de photographies est dans le prolongement d'un thème qui traverse l'oeuvre de Bruno Fert depuis ses débuts où il photographiait la vie des sans-abris sous le pont de Brooklyn : le lien entre identité et espace géographique.
Comment mieux signifier la brutalité de l'entreprise israélienne de se débarrasser de tout un peuple en montrant par exemple un lieu envahi par de hautes herbes et des arbres bien verts dont la légende annonce "gare de Dayr al-Shaykh" ou bien un paysage vallonné quasi-désertique qui semble traversé de quelques chemins présenté comme le village de Sirîn?
Dans ce travail, c'est l'absence qui définit l'identité, même si la volonté de placer des ruines au premier plan, comme ces maisons abandonnées d'Haïfa devant des immeubles modernes, peut être un moyen de les faire revivre, d'affirmer une résistance au nom des Palestiniens.
Haïfa
Plus encore, on peut imaginer derrière ces photographies une "double absence", terme qu'utilisait Abdelmalek Sayad pour désigner les souffrances des immigrés chez eux ni sur leur terre d'adoption ni sur leur terre d'origine : les Palestiniens ne sont-ils pas absents aussi là où ils se sont exilés?
Par sa profondeur, par les résonances qu'il produit, on comprend pourquoi ce travail a été salué par plusieurs prix, le Scam-Roger Pic 2013 et le Neuflize 2016.
Après la présentation du travail de Bruno Fert, les spectateurs étaient invités à prendre un verre dans la cour de la Visitation.
L'exposition est visible jusqu'au 3 juin (de 14h à 19h) et le livre disponible sur Internet ou à la librairie Des livres et nous pour les Périgourdins.
L'exposition est visible jusqu'au 3 juin (de 14h à 19h) et le livre disponible sur Internet ou à la librairie Des livres et nous pour les Périgourdins.
Retrouvez toute l'actualité du festival sur ce lien : http://www.printemps-proche-orient.fr/
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