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06/12/2016

BORD DE SCENE DU GROUPE ACROBATIQUE DE TANGER A L'AGORA

Les 1er et 2 décembre, l'Agora de Boulazac accueillait pour la seconde fois le groupe acrobatique de Tanger (GAT), après leur venue en 2014 pour le spectacle Azimut, comme l'a rappelé Sanae El Kamouni, directrice de la compagnie fondée en 2003.
Sanae El Kamouni
Titulaire d'un DESS en action artistique, politique culturelle et muséologie obtenu à Dijon au début des années 2000, elle retourne dans son pays où elle travaille à l'Institut Français de Tanger. Elle souhaite rapidement collaborer avec des acrobates qu'elle veut mettre en valeur. Pensant que leur berceau est le sud du pays puisqu'il s'agit d'une tradition berbère, elle emmène Aurélien Bory, rencontré en 2000, le fondateur de la compagnie 111 de Toulouse, artiste et metteur en scène, dans des villes comme Agadir et Marrakech. Là-bas, ils découvrent que les acrobates concentrent leurs activités sur la plage de la digue à Tanger. C'est la ville la plus proche de l'Europe. Elle est pour eux une ouverture vers un ailleurs à l'inverse de leur région natale où ils suscitent plutôt l'indifférence. C'est un lieu où, depuis la seconde guerre mondiale et surtout depuis les années 1970, ils se font repérer par les agents des cirques traditionnels européens. Faute d'espace dédié à leur art, ils travaillent en plein air à l'abri de cette digue qui les protègent du vent toute l'année. On y rencontre des professionnels ou des pré-professionnels avec des maîtres toujours bienveillants. Le souci de la transmission y est fondamental. Au départ, la jeune femme ne souhaitait pas créer une compagnie. Il s'agissait simplement d'une belle rencontre avec la famille Hammich et à sa tête Mohammed Hammich, un maître de l'acrobatie marocaine qui a joué dans les plus grands cirques du monde, issu d'une famille d'acrobates depuis 7 générations. Il a transmis son savoir-faire à ses enfants. Amal, Mohammed et Ouahib sont devenus membres du GAT car Sanae El Kamouni a souhaité valoriser ces artistes et les accompagner vers des projets plus ambitieux. Marginalisés dans leur pays, cantonnés dans des numéros qu'ils répètent inlassablement, ils ont été incités par la directrice et le metteur en scène à faire évoluer leur art traditionnel. Un premier spectacle est créé en 2004, Taoub, qui connaît un succès mondial pendant 4 ans, avec plus de 300 représentations. C'est à la suite de cette première création que le GAT est fondé. En 2009, la directrice fait appel à deux metteurs en scène Martin Zimmerman et Dimitri de Perrot pour un nouveau spectacle : Chouf Ouchouf. La troupe renoue ses liens avec Aurélien Bory pour le troisième spectacle, Azimut.
Avec Halka, les artistes du GAT ont innové en décidant d'écrire eux-mêmes leur spectacle pour raconter leur propre histoire. De nombreux acrobates de la troupe sont issus de l'Halka, la forme de théâtre traditionnel la plus ancienne qui était jouée sur toutes les places publiques des villes et villages du Maroc. En rassemblant les artistes les plus divers, sans aucun artifice, sans aucun décor, elle était propice à une grande liberté d'expression. Le spectacle festif y était circulaire. Ils se sont inspirés de l'énergie de ce cercle pour cette première création collective. Il s'est agi aussi de faire revivre un art qui est actuellement en voie de disparition. Tout en écrivant, en partageant leurs idées autour d'une table, ils se sont fait aider pour la collaboration artistique de Boutanina el Fekkak, une dramaturge, et de Abdeliazide Senhadji et Airelle Caen de la compagnie XY, ces derniers assurant aussi le coaching technique avec la complicité du grand Mohammed Hammich. Ils ont ensuite travaillé quatre mois sur le plateau. Le spectacle a été créé dans le cadre de la biennale de la danse de Lyon, en septembre 2016.
Le résultat est un mélange étonnant de tradition et de modernité. La musique contemporaine parfois très inquiétante alterne avec des musiques traditionnelles souvent plus festives. On y entend des chants berbères, accompagnés de banjo, de ribab, de tambours ou de flûte. On pense à l'hommage à Sidi Ahmed ou Moussa, le saint patron des acrobates marocains, un sage soufi du XVIè siècle, comme l'a expliqué, après la représentation, le musicien berbère qui a traduit le chant, à la demande d'un spectateur.
Outre la voix pour évoquer leur histoire, les acrobates évoluent, lors d'un tableau, sur du sable venu spécialement de Tanger. C'est une manière d'attirer l'attention sur leur lieu de travail en péril. Dans le cadre du développement de la ville de Tanger censée devenir Tanger Métropole, un port de plaisance doit être construit. Il a entraîné la destruction de la digue, a expliqué la directrice du GAT.
Aux mouvements en cercle que réalisent les quatorze artistes âgés de 19 à 43 ans, s'ajoutent des acrobaties en tout genre comme des saltos exécutés avec une rapidité stupéfiante, des portés où un seul homme en porte cinq autres mais aussi de spectaculaires pyramides humaines. Il s'agissait au départ d'un art guerrier : les combattants s'en servaient pour espionner l'ennemi et voir ce qui se passait de l'autre côté des murs. Peu à peu, cette tradition a évolué vers quelque chose d'artistique. Elle évoque sûrement une volonté de dépasser les frontières, le thème de l'immigration étant majeur pour ces artistes qui peuvent rarement montrer leur art sans passer par une structure, les visas étant d'accès difficile. Cela explique l'importance de cette compagnie et du travail réalisé par Sanae El Kamouni qui a créé aussi  l'association Scènes du Maroc. L'exemple du GAT a aussi suscité la création d'autres compagnies. Le cirque est reconnu par le ministère depuis 2013. Le cercle est une métaphore de la liberté à laquelle aspirent les artistes. Vers la fin du spectacle, on les voit sur un coin de la scène se regrouper en cercle, comme pour être plus fort, "contre le fait qu'on les empêche de voir ailleurs ce qui se passe".
https://www.francebleu.fr/emissions/une-2e-idee-de-sortie/107-1/sanae-el-kamouni-directrice-du-groupe-acrobatique-de-tanger-la-villette
La femme semble s'émanciper tout au long du spectacle : manipulée au départ, mise en échec au bras de fer, elle repousse l'homme grâce à des mouvements de taekwondo interprétés par Najwa Aarass recrutée pour ses compétences en la matière. Elle devient une chef d'orchestre directive dans ce surprenant tableau où ce ne sont plus les femmes qui dansent sur les bassines, comme dans la tradition, mais les hommes. Les hommes et les femmes finissent par se mêler dans les acrobaties.
 à gauche, Najwa Aarass et à droite Amal Hammich, née en 1985 qui a commencé son apprentissage de l'acrobatie sous l'autorité de son prestigieux maître (et père), Mohammed Hammich, à 3 ans.
Le spectacle est magnifique par tous les arts qu'il parvient à conjuguer, sans décor particulier, dans une certaine épure. Les quelques éléments qui s'introduisent dans les tableaux créent un effet d'autant plus fort comme ce sable de Tanger qui s'écoule sans discontinuer sur la scène. La musique contemporaine transporte d'emblée dans un autre univers tandis que la musique traditionnelle plonge aux sources de l'acrobatie. Des moments plus calmes et plus profonds rappellent la dimension spirituelle de cet art. Ils ne durent pas. Des tableaux joyeux voire endiablés leur succèdent où danse, voire transe, acrobatie, chant s'associent dans un mélange de couleurs dont sont revêtus les artistes. On y joue le plaisir d'être ensemble, on retrouve l'esprit des places publiques, on s'imagine dans des fêtes où l'on entend les youyous. Le spectacle s'achève par un moment plus solennel et émouvant avec un poème chanté a cappella interprété par tous les membres de la troupe qui s'avancent lentement vers les spectateurs. Cette création d'une durée relativement courte (1h) mais particulièrement rythmée et intense a été saluée par une salle pleine, dont de nombreux scolaires en ce soir de semaine, qui n'a pas hésité à rester pour une bonne partie afin de poser des questions à la troupe ravie d'être revenue jouer à Boulazac.

Le spectacle peut être visionné sur ce lien jusqu'en mars 2017 :
http://concert.arte.tv/fr/halka-par-le-groupe-acrobatique-de-tanger-la-biennale-de-la-danse-de-lyon 

Texte et photos : Laura Sansot
Les photos étaient interdites pendant le spectacle.

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