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15/10/2017

LES BEAUX JOURS D'ALBERT

Le 23 mai 2016 a ouvert à Bergerac, face au tribunal et au cinéma, un café à l'ancienne, un café sans écran, propice à la rencontre et à la discussion entre habitués et gens de passage, où toutes les générations se mêlent, mais aussi un café qui innove par ses animations souvent à l'initiative de ses clients.
Rencontre avec son inspiratrice, Dominique Korbendau.
"Depuis 30 ans", explique-t-elle, elle va "boire son café en ville". Elle a donc eu l'idée de créer un café qui lui ressemble, tel qu'elle "aurai[t] voulu en trouver un, sans télévision, avec des livres où les gens puissent se parler, créer du lien, rencontrer des auteurs, voir des expositions". Elle se souvient, lors de l'inauguration, avoir déclaré : "je vous propose un lieu, à vous de l'investir". Elle poursuit : "je souhaite que les gens soient acteurs et pas que des consommateurs". Très vite, les clients se sont saisis de cette proposition, grâce à un lieu qu'elle a voulu convivial. Elle tenait, pour cela, à ce qu'il y ait une terrasse et une grande salle à l'arrière du café afin de pouvoir organiser des réunions et autres rencontres.
Ainsi, Chez Albert, on y fait du yoga, de la danse Wutao, du Qi gong, on participe à des apéros-concerts, à des ateliers d'écriture tous les 15 jours, des ateliers de lecture à haute voix, d'analyse des rêves, d'expression créative, des rencontres littéraires. Les Colibris y tiennent leur réunion. On y dépose des livres et on peut même en prendre si l'on veut. 
On y trouve même l'occasion de parler anglais ou espagnol pendant une heure autour d'un verre, toujours à l'initiative des clients. Une jeune femme, Lucie, propose même deux fois par semaine, une initiation à la langue des signes Une fois par mois, des cafés signe permettent des rencontres entre non et mal-entendants mais aussi entendants afin de rompre l'isolement. L'absence de traducteur en langue des signes lors d'un débat autour du film J'avancerai vers toi avec les yeux d'un sourd a engendré cette initiative qui remporte un beau succès. Une vingtaine de personnes de tous âges, de moins de 10 ans à plus de 70 ans se parlent dans un ambiance très joyeuse, témoigne Dominique Korbendau avec un large sourire. Ce sont des rencontres qui ont "un côté informel et sans notion d'argent". 
Les personnes d'un certain âge se s'y trompent pas et aiment ce petit lieu, qui donne l'impression d'être dans un cocon où la patronne semble connaître de nombreux clients tout en accueillant avec chaleur les nouveaux venus. Elle évoque ce vieux monsieur qui vient régulièrement prendre son café pour un temps de repos au retour d'un après-midi ping-pong mais surtout pour quelques échanges qui font se sentir bien. Dominique  Korbendau, enthousiaste, semble exercer ce nouveau métier pour cela : "des petits moments que j'adore". Dans ce café, personne n'est oublié. Il y a cette tirelire pour les cafés suspendus que nous avons déjà évoqués dans un précédent article http://artpericite.blogspot.fr/2017/10/a-la-decouverte-du-premier-repair-cafe.html. Quand elle remarque l'indigence d'un client, souvent peu enclin à réclamer, elle proclame : "vous serez l'inconnu du jour". Il y a ce jeune homme à qui elle offre régulièrement un café : "c'est peut-être la seule fois dans la journée où il peut dire bonjour à quelqu'un!"
L'Atelier Pédagogique Personnalisé mitoyen avec le café qui propose des cours de français aux étrangers amène une clientèle source de mixité sociale et géographique. Dominique Korbendau s'étonne et se réjouit de la diversité de nationalités qui peut exister dans la ville. Elle a même engagé pour la saison d'été un jeune Albanais qui ne parlait pas un mot de français dix mois avant et dont elle a beaucoup apprécié le travail. La proximité qu'elle a avec ses clients lui permet d'observer les progrès qu'ils font dans la langue et leur réelle volonté d'intégration, contrairement aux clichés véhiculés. Elle a aussi embauché à l'année un jeune cuisinier australien, Clayton, mariée à une Française, qui, lui aussi, suscite son enthousiasme et lors de l'interview est passé avec un magnifique plateau de mousses au chocolat agrémentés d'écorces d'orange dont les palais ont dû se délecter.
 
Ce goût pour l'ailleurs et la rencontre qui anime les promoteurs du café et leurs clients transparaît dans les apéros-voyages. Huit ont déjà eu lieu. "Il ne s'agit pas de proposer une soirée diapo ni un film type connaissances du monde" précise Dominique Korbendau, mais de mettre en avant des personnes ayant eu une approche réellement humaine du pays, loin des clichés. C'est un autre regard sur le pays qui est proposé, invitant chacun lors des ses prochains voyages à se comporter comme des voyageurs ouverts à l'inattendu et à la rencontre et non comme des touristes, des consommateurs. Des pays aussi divers que l'Australie, l'Iran, la Chine ont été le sujet de ces apéros originaux. Le Japon sera le prochain retenu. 
C'est au hasard d'une discussion avec cette dame arrivant chaque samedi de marché avec son caddie que la locataire du lieu a osé l'interroger sur ce qui occupait sa vie. Fabienne K a répondu qu'elle dessinait : "ça a été un coup de coeur !", se souvient son interlocutrice qui lui a permis d'exposer ses créations déjà deux fois. Une troisième exposition est en prévision à la fin du mois d'octobre. C'est aussi lors d'une soirée qu'elle avait organisée qu'elle a rencontré Marie Seillery, une photographe, de retour d'Ecosse https://www.500px.com/marieseillery. Entre deux voyages, la jeune baroudeuse, qui n'avait que des expériences en cuisine à l'étranger, s'est lancée et a accepté de donner un coup de main pour l'arrière saison. Elle l'a pas lâché son appareil pour autant.
Sur le modèle des Humans of New York, l'initiative du photographe Brandon Stanton qui est allé photographier les gens dans la rue et les inciter à évoquer une anecdote, une pensée, une confidence et qui a fait le buzz sur Facebook, elle a souhaité amener l'idée à Bergerac. Elle qui voyage pourtant beaucoup estime qu'il est difficile d'aller interroger les gens dans la rue. En revanche, le café Chez Albert est "un lieu qui se prête à la discussion, qui crée ça, qui est inspirant". Depuis le 11 septembre, comme un pied de nez à des jours sombres (attentats de New York et mort d'Allende) et une ode à la fraternité, en donnant elle-même l'exemple, elle invite les clients à partager une histoire. Cette démarche qui lui trottait dans la tête depuis longtemps semble beaucoup plaire. Elle a déjà réalisé une trentaine de courts portraits de personnes seules ou à 2, 3, 4. Plutôt que se présenter, les clients, dont elle souhaite mixer les âges (de Charlie, 5 ans à Roland, 91 ans!) et les origines, sont invités à raconter une courte histoire les concernant, comme une brève de comptoir, sur le mode spontané. Une manière tant par le texte que par l'image de produire un instantané. Chaque portrait est publié à midi sur facebook. Dominique et Marie imaginent, quand leur nombre sera plus conséquent, en faire une exposition, un livre de café, des sets de table, des nappes ou bien alors un calendrier. La photographe se souvient de ce moment inattendu en fin de service où un monsieur lui avait commandé un moka. Elle lui avait servi, à sa grande surprise, un café avec du chocolat, comme cela se fait au Yémen. Il se souvenait, de son côté, que pendant son enfance, il allait acheter du moka en grains.  De cette anecdote est né un portrait. Parmi ces histoires, il y a celle émouvante de cette petite jeune fille revenant d'une course dont elle avait raté la troisième place. Sa copine, qui l'avait obtenue, lui avait donné la médaille parce que c'était ce jour-là son anniversaire. Ou bien encore cet homme qui déclare  : "moi, je suis un homme de l'ombre, j'aime quand les gens dansent et rient". Marie Seillery estime : "il y a quelque chose de beau qui se passe", "j'ai envie d'attraper ces histoires au vol" et reconnait : "c'est un projet qui me dépasse un peu".
Si cette proposition comme toutes celles du café emportent l'adhésion, c'est sûrement, considère Dominique Korbendau, parce qu'il a une réelle attente de la part des clients en recherche d'occasions de rencontres dans un monde de plus en plus virtuel. Tout ce bouillonnement crée une grande synergie, suscite des "stimulations réciproques" et en fait un véritable "lieu de création".
 Le souvenir d'un sapin de Noël participatif
Pour se lancer, elle s'est associée à Yannick Scott, venu de Montpellier, qui recherchait comme elle du travail.
Plutôt que d'ouvrir un café associatif comme il en existe plusieurs en Dordogne et dont elle craignait l'essoufflement et la recherche d'un travail en parallèle, tous les deux ont souhaité un projet qui relève d'une "vraie réalité économique", qui leur permette de créer des emplois. "Un vrai pari" mais au bout de 3 mois, ils embauchaient une troisième personne! Un succès rapide qui les a eux-mêmes surpris, après avoir longtemps cherché une banque qui les soutienne, et qui a suscité, comme il se doit quelques convoitises...Il reste que professionnellement, l'établissement est irréprochable, le niveau d'hygiène étant reconnu officiellement comme très satisfaisant. Yannick Scott lui laisse carte blanche pour les animations. Au début, ils se partageaient la cuisine, à elle, le sucré et, à lui, le salé. Avec une large amplitude horaire (8h-20h du lundi au samedi), pour un travail de 80h par semaine chacun, l'arrivée d'un cuisinier les a soulagés car ils font tout eux-mêmes et proposent une cuisine au maximum biologique, locale et pas chère. D'ailleurs, les bières de Dordogne achetées chez sept producteurs différents sont les plus plébiscitées.
Pour relever cette gageure, la formule bistrot du midi à 10 euros comprend un croc revisité avec de la viande ou végétarien, une salade, un dessert et un café. La carte change tous les deux jours et les consommateurs sont servis rapidement, ce qui satisfait la clientèle des alentours, souvent composée d'habitués, de bureaux, de commerces, d'agences, du tribunal qui a peu de temps pour déjeuner.
Les producteurs semblent avoir le même esprit d'entraide puisque, par exemple, deux brasseurs assurent leur livraison à tour de rôle, l'un apportant la commande de l'autre et vice-et-versa quand l'autre n'est pas disponible. Des paniers délivrés par l'entreprise enfinbio.fr sont placés en dépôt Chez Albert à la demande de clients qui commandent sur Internet et sans engagement, contrairement à une Amap, et qui ont le choix entre une vingtaine de lieux à Bergerac.
Les clients mangent dans un café décoré avec goût et plein de couleurs, meublé à partir d'objets de récupération ou laissés en dépôt par un brocanteur, et qui fourmille de petites références dont celle du fameux Albert.
A l'entrée du café, trône, en effet, ce qui est devenu presque une mascotte vivante, un orignal que le propriétaire de l'ancien restaurant Moutarde (en face du bar le Plus-Que-Parfait à Bergerac), lui avait demandé de réaliser, il ya 5 ans, en souvenir de son séjour au Canada. C'est elle qui lui a trouvé ce nom et quand il s'est agi d'ouvrir le café, c'est naturellement à lui qu'elle a pensé. Aujourd'hui, il est photographié, touché toute la journée, nécessitant des coups de peinture réguliers, comme elle s'y est employée l'après-midi de notre rencontre! On le salue en arrivant et en partant et les clients en ont fait un logo reproduit à l'envie.
A l'avenir, Dominique Korbendau et son associé souhaitent développer des partenariats avec des associations, même si des liens sont déjà créés et ont suscité plusieurs initiatives. Blues Pourpre va ainsi organiser le 21 octobre un concert au café, ouvert exceptionnellement le soir pour assurer la vente de boissons. Une entorse aux habitudes car l'établissement ne souhaite pas faire concurrence aux autres cafés qui proposent des concerts en soirée. En revanche, il est tout disposé à faire de la publicité aux manifestations du Bergeracois et les toilettes se transforment à cet égard en "cabinet des curiosités" avec toutes les affiches qui les annoncent. 
Puisque le café semble être apprécié et l'occasion de créer des réseaux d'amitiés, des partenariats, les concepteurs du lieu envisagent de "continuer dans le même esprit, faire vivre le lieu, ne pas perdre notre âme, créer du lien" considérant que "c'est le plus important", déclare Dominique Korbendau qui a gagné son pari, surtout quand elle voit certains clients débarrasser leur table et se justifier en disant qu'ils "se sent[ent] comme à la maison". "Le plus beau compliment", reconnaît-elle.
Texte et photos : Laura Sansot

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