INAUGURATION DU VILLAGE CIRQUE A LAMOURA : PAROLES PUBLIQUES ET OEUVRES D'ARTISTES

Le temps d'un week-end ensoleillé, les 6 et 7 octobre, avait lieu l'inauguration du village cirque à la plaine de Lamoura, à Boulazac, occasion de spectacles, ciné-concerts, performances, concerts mais aussi de prises de paroles par des responsables de l'Agora ainsi que des femmes et hommes politiques.

L'inauguration par les élus a eu lieu le samedi en fin d'après-midi. Elle avait été annoncée la veille par Frédéric Durnerin, troisième directeur du centre culturel depuis sa création, évoquant l'importance de ce moment de paroles publiques et politiques. "Ce sont des rites de la République qui viennent acter un projet". Celui-ci "s'inscrit dans les politiques publiques de la culture (...). La parole politique, quand elle est légitime, doit être dite".
C'est Jacques Auzou qui a pris la parole en premier pour "faire un peu de vintage", comme il l'a indiqué. Ainsi, il a fait un petit historique du centre culturel d'une ville dont il n'était encore que l'adjoint au maire quand l'Agora a été créé en 1987. Il a évoqué les personnalités politiques présentes sur la scène de l'Agora ce soir-là, soulignant le soutien indéfectible de l'Etat, du département et de la Région, lors de cette ouverture et par la suite. Il a rappelé le rôle de Guy Schneider dans la finalisation de ce projet impulsé par le maire Lucien Dutard et un adjoint très marqué par le théâtre populaire qu'il avait connu en banlieue parisienne.

Jacques Auzou micro en main

Depuis le premier chapiteau cirque installé en 1998 à l'emplacement actuel du Palio, les arts du cirque ont fait leur place progressivement à Boulazac, grâce à l'engagement de Frédéric Durnerin, particulièrement intéressé par les nouvelles formes du cirque contemporain, qui, selon le maire, a amorcé "un virage, une inflexion naturelle" vers cet art. Germinal Peiro, président du Conseil Départemental, a aussi salué le rôle majeur de "ce maire bâtisseur". C'est "une aventure" qui "s'est inscrite au fil du temps", a indiqué Jacques Auzou. Depuis 20 ans que des compagnies viennent planter leur chapiteau dans la plaine de Lamoura, "ce projet d'équipement culturel" arrive "naturellement" et "est légitime", selon Frédéric Durnerin. Pascal Deguilhem, député et conseiller régional, a souligné le rôle des élus et des équipes dans la diffusion de la culture en milieu rural qui passait pas un nécessaire investissement dans la création artistique dont ce lieu était emblématique.

de gauche à droite : Pascal Deguilhem, Frédéric Durnerin, Bernard Cazeau

de gauche à droite : Jacqueline Dubois, Anne-Gaëlle Baudouin-Clerc, Jacques Auzou, Germinal Peiro, Pascal Deguilhem

Cet engagement des différents acteurs, "cette volonté de porter haut" "une culture exigeante" et en particulier le cirque, "un art de la modestie (...), un art mobile, sur les routes", "a rencontré l'histoire avec verve, avec passion, avec des coups de griffe, avec sensibilité, avec émotion", comme l'a déclaré la préfète Anne-Gaëlle Baudouin-Clerc, venue inaugurer le lieu. Celle-ci a souligné combien cette histoire devait aux élus et notamment au maire animé par "cette volonté, cette ambition, cette direction fixée avec constance" alliée à "cette volonté d'aboutir".

Cette implication sans faille au long cours a permis une première reconnaissance en 2001 : l'Agora devient salle conventionnée pour les arts de la piste. Dès cette date, le centre culturel investit la plaine de Lamoura avec un engagement financier lancé l'année suivante. Derrière, émerge la volonté d'"être présent sur le territoire en sortant des murs du théâtre, en faisant le pari des formes artistiques itinérantes circassiennes mais également foraines". En 2010 le label Pôle National des arts du cirque, apanage de seulement 12 villes en France aujourd'hui, est acquis. Le maire a évoqué l'importance d'une création des Arts Sauts (Ola Kala), en 2003, co-produite par l'Agora et qui a fait le tour du monde. Pascal Deguilhem a d'ailleurs rappelé que le président de la région, Alain Rousset, avait fait affréter un train depuis Bordeaux pour que 540 Bordelais puissent voir le spectacle..., un mois avant les élections régionales, comme l'a précisé un esprit malin. Le maire a évoqué ensuite le rôle de découvreur de talents de l'Agora citant des artistes invités comme Dee Dee Bridgewater quand elle n'était pas encore une artiste internationale ou d'autres comme Muriel Robin, Pierre Palmade, Francis Lalannne, références qui ont fait sourire le public qui s'est davantage reconnu dans la programmation de spectacles avec Jean-Louis Trintignant ou Stéphane Grappelli. L'édile a rendu un sincère hommage aux trois directeurs successifs de l'Agora, aux élus locaux dont l'ancien président du conseil Départemental, Bernard Cazeau, qui s'est toujours montré généreux face à ses demandes de subventions. Il a salué aussi Jack Lang qui, selon lui, "a sauvé le cirque en France" à une époque où les jeunes compagnies étaient en train de mourir. Grâce à lui, il existe maintenant un délégué au ministère dédié aux arts du cirque. C'est lui qui a encouragé la création en 1985 du Centre national des arts du cirque (CNAC) de Châlons-en-Champagne. Enthousiasmé par ce projet du Cube, Jacques Auzou estime que l'on en parlera autant que du Palio. Le maire a précisé que les travaux avaient coûté 2,8 millions d'euros subventionnés par les partenaires du Pôle Cirque : l'Europe, l'Etat (510 000 euros), la Région (200 000 euros) et le département (200 000 euros). Les habitants de Boulazac ont contribué à hauteur de 35%.
C'est le cabinet ADH architectes, implantée à Bordeaux http://www.doazan-hirschberger.com/fr qui a été le maître d'oeuvre de ce chantier débuté le 18 juillet 2016 et livré le 21 juillet 2017. La fondatrice de cette agence (associée à son compagnon Stéphane Hirshberger), Benoîte Doazan, a présenté le projet et fait la visite des lieux le 6 octobre. 

Benoîte Doazan, Frédéric Durnerin, Stéphane Hirshberger

 Benoîte Doazan, Frédéric Durnerin, l'architecte qui a surveillé l'évolution du chantier

Il s'est agi de créer un lieu de travail pour les compagnies mais aussi des logements et un espace de convivialité pour le public sur un site naturel en zone inondable où un chapiteau était souvent dressé. La présence de lignes à haute tension a compliqué la tâche et le fait d'"envisager du bâti" dans un espace où il y en avait peu a paru "intimidant", a reconnu l'architecte. Même si le monde du cirque ne lui était pas étranger, son agence ayant réalisé le CIRC (Centre d'Innovation et de Recherche Circassien) à Auch dans le site désaffecté de la caserne d'Espagne, l'environnement géographique était cette fois totalement différent. Il fallait compter sur un site déjà occupé par les pêcheurs, les promeneurs, les cyclistes et une nature omniprésente avec eau en abondance et animaux. Le village cirque a été construit en conservant et en intégrant ces éléments, "en participant du parc". La disposition a été choisie en équerre faisant succéder un atelier de sculpture, celui d'André Merle,

cinq logements privés d'environ 70m² dotés de terrasses, sans clôture, mais tournés vers le cours d'eau pour favoriser l'intimité et donner le sentiment d'un village,

le Cube, lieu de travail, de répétition, à l'angle

faisant face enfin à la buvette, sorte de pavillon de jardin.

Ainsi, était conçu un espace très ouvert sur l'extérieur, "sans frontière, sans mur", comme l'a indiqué la préfète. Il permettait que "la plaine de Lamoura" fût "enfin habitée", comme l'a constaté le président de l'association Mediagora, Patrick Bonhoure.

Patrick Bonhoure et Frédéric Durnerin 

Ainsi que l'a précisé Benoîte Doazan, le bois est apparu comme le matériau de construction le plus "évident" dans un contexte naturel, "quelque chose de solide et doux, pas trop sophistiqué". Forte de son expérience dans le Gers, elle a eu l'idée, avec ses collaborateurs, des échafaudages en métal galvanisé associé au Cube : ils évoquaient l'imagination débordante des circassiens, l'idée de construction perpétuelle et étaient "destinés à évoluer : [ils] sont utilisés dans ce but, pour être complétés, appropriés, habillés, habités". De même, en utilisant le bois qui se pâtine, les concepteurs ont souhaité marquer l'action du temps et donner à voir un lieu en mouvement, un "lieu qui n'est pas figé, qui va vivre". L'espace de convivialité a été élaboré avec un système de volets anti-infraction, anti-soleil coulissants permettant d'ouvrir selon les besoins la buvette ou la billetterie ou les deux ensemble.

Le Cube lui-même est un vaste espace de 18 mètres sur 18.

Juste en dessous du plafond, un filet sur lequel on peut marcher facilite la mise en place d'agrès, de même que les systèmes d'accroches sur le sol et les murs. De grandes ouvertures permettent le passage de petits camions et de la lumière naturelle et assurent ainsi le lien entre le dedans et le dehors. Les conditions ont été réunies pour favoriser le travail de répétition, de création mais aussi l'accueil des spectateurs. Le lieu est conçu pour accueillir des spectacles de cirque contemporain, plutôt frontal que circulaire. Aucun fauteuil n'est installé pour encourager la multiplicité des usages.

Afin de faire revivre les étapes et la vie du chantier où se sont côtoyés artistes et artisans, ouvriers et oeuvriers mais aussi concepteurs et spectateurs, l'Agora proposait une exposition de photographies de Patrick Fabre

et aussi la diffusion de ses photos, belles images de vie, de solidarité, de création, lors d'une projection sur grand écran durant un petit quart d'heure à l'extérieur le vendredi,

à l'intérieur du Cube le samedi,

avant un apéro-cirque offert à tous avec animation musicale.

Comme l'a indiqué Frédéric Durnerin, ce nouveau lieu de vie, issue d'une "volonté publique" et "collective" de culture" dont il se "réjoui[t]" va recevoir une partie de la programmation qu'il a présentée mais aussi une deuxième saison, celle des résidences, marquant "une ambition forte autour des artistes" qui, "par leur présence au long court", "feront médiation". A cela s'ajoute le fait que le collectif AOC et la compagnie L'Oubliée de Raphaëlle Boitel sont désormais associés au Pôle National Cirque. Une dizaine de compagnies vont venir passer trois semaines à deux mois, instaurant "une relation au territoire complétement différente", participant par là-même à la vie de la cité. Dès la fin de l'année 2018, le lien avec la ville-centre sera d'ailleurs renforcé par la réalisation d'un nouveau tronçon de la voie verte. La troisième saison, celles des ateliers amateurs animés par une quinzaine d'enseignants, va se fondre dans ce territoire investi à l'année par les artistes, mêlant sur un même lieu pratiques des amateurs et des professionnels. Une école cirque a  d'ailleurs ouvert ses portes sur la plaine de Lamoura le 20 septembre 2017. Dirigée par Kader Belbachir, elle propose cours, ateliers et stages. Un chapiteau de l'association Cirquième sens accueille des élèves tout comme l'autre école de cirque de l'agglomération de Périgueux, Ini'Cirque.
Si un pôle cirque doté d'un village s'implante durablement sur cette plaine de Lamoura, vaste de 18 hectares, il ne fonctionnera pas en autarcie. Au contraire, une volonté forte anime les animateurs du centre culturel et les élus de développer un axe (un fil d'équilibriste!) Boulazac-Nexon (aussi pôle national des arts du cirque avec le Sirque) qui prenne une certaine autonomie face à la façade atlantique. En outre, la programmation de l'Agora, même dans le domaine du cirque, va, en partie, se décentrer. Dès les 13 et 14 octobre,  un spectacle, Abaque, a eu lieu au pied du château d'Excideuil dans le cadre d'un projet culturel santé. Un autre spectacle de cirque, Humanoptère aura lieu à l'Odyssée fin février.
Dès cette inauguration, le cirque était mis à l'honneur à travers un spectacle de la compagnie AOC, compagnon de route depuis plusieurs années de l'Agora : Piano sur le fil. Sept acrobates conduits par Gaëtan Lévêque ont évolué sur la musique et la voix envoutantes, hypnotiques du franco-libanais Bachar Mar Khalifé, mélange de musique orientale et occidentale, classique voire électro.

Les performances  mêlaient funambulisme, portées, travail au mât chinois, trampoline, danse acrobatique. Rapidement, les contorsions, l'enchevêtrement des corps se faisaient sensuels entre les êtres, avec les agrès ou même le piano que le musicien venait à explorer de l'intérieur. Ce dialogue entre mouvements des acrobates, musique et chant décuplait les émotions suscitées par chacun et créait un spectacle original et magnifique.
Deux autres propositions mettaient en avant le plus ancien collaborateur artistique de l'Agora : Johann Le Guillerm avec sa compagnie Cirque Ici. Il proposait des sculptures autoportées :
l'indrique

 

et le Serpentant

mais aussi la transumante, une sculpture performance où 150 carrelets de bois de 3m de longueur étaient transportés par 10 manipulateurs pour connaître une nouvelle mutation à chaque reconstruction.

Le samedi soir, l'artiste était seul en scène pour une "tentative pataphysique ludique" : Le pas grand chose. Grand inventeur de constructions, de machines originales qu'il imagine et fait fabriquer, cet artiste né dans une famille de plasticiens, évoluait autour de l'une d'entre elles, bien que moins spectaculaire, et pour cause, pour faire "le point sur le point".

Il convoquait, pour cela, une "science de l'idiot", caméra à l'appui pour témoigner en direct auprès des spectateurs de ses expériences. Parmi elles, l'inénarrable histoire de la banane plus intelligente que les autres. Une autre manière d'explorer les frontières du cirque, projet qui anime depuis plusieurs années celui qui se définit comme un alchimiste et qui, cette fois n'est pas coutume, se lançait dans une conférence théâtrale où les méandres de la pensée, comme une alternative à la pensée unique, remplaçaient l'aspect parfois énigmatique et labyrinthique de ses constructions.

Un ciné-concert autour du film documentaire de Robert Flaherty, L'Homme d'Aran, sorti en 1934 qui racontait la vie rude d'une famille de pêcheurs dans une île au large de l'Irlande était proposé deux fois au cours du week-end, avec David Chiesa http://david.chiesa.free.fr/index.html à la contrebasse, aux percussions, à la guitare électrique et au son Loïc Lachaize. Une musique contemporaine qui donnait au film un caractère encore plus fort, plus inquiétant que la musique officielle de l'oeuvre, notamment lors des scènes de tempête et de chasse au requin où on ressentait tout le mystère et la puissance de la mer mais aussi la rage des hommes à vaincre les éléments naturels.

Le week-end se terminait à la plaine de Lamoura dont l'éclairage donnait un côté magique au lieu, comme l'a souligné la préfète. Y était donné en co-réalisation avec MNOP un concert du Trio Jason Marsalis dont le batteur associé à l'orchestre symphonique de Bordeaux et Marcus Robert avaient marqué les esprits lors d'un spectacle au Palio il y a 2 ans. 

Toute l'actualité de l'Agora est à retrouver sur ce lien : http://www.agora-boulazac.fr/

Texte et photos : Laura Sansot