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19/04/2017

LA CHANTEUSE SUEDOISE ESKELINA FAIT HONNEUR AUX NOUVEAUX PROPRIETAIRES DE LA RHUE

Le 1er avril avait lieu dans le café-restaurant du lieu-dit La Rhue à Jumilhac-le-Grand un concert de la chanteuse Eskelina, celle que l'on surnomme "la petite suédoise de la chanson française". Il s'agissait d'un double évènement car elle était programmée avec ses musiciens à l'occasion de la reprise du lieu par de nouveaux propriétaires originaires du Sud de la Hollande, Tessa et Bass Kock.

Un peu perdue dans les bois du Périgord vert, la Rhue est un espace bien paisible, en pleine campagne. Un vrai dépaysement quand on vient de la ville. Ce n'est pas tant le camping, la piscine et les gîtes qui ont attiré les nouveaux hôtes mais bien la possibilité d'organiser des concerts chaque samedi soir du printemps à l'automne.

Bass rêvait d'Amérique du Sud ou d'Afrique, Tess souhaitait ne pas trop s'éloigner de son pays natal qu'elle pouvait rejoindre en une journée de route. C'est elle qui a eu gain de cause! Après avoir passé quelques jours de vacances d'été dans le département, fait des recherches sur Internet et forts de leur français appris sur les bancs de l'école, ils ont investi les lieux à la mi-mars.
Ils souhaitent travailler dans le même esprit que leurs prédécesseurs, Danielle et Kees Van Der Weijden. Ces derniers ont choisi, après 12 ans passés dans cette ferme qu'ils ont entièrement restaurée et animée grâce à de nombreux concerts dont le hall d'entrée conserve le souvenir, de faire le chemin inverse du jeune couple : retourner aux Pays-Bas. 
Profitant de la notoriété du lieu construite au fil des années, ils vont organiser des concerts dans cette grange transformée en café-concert depuis 2008. Bass connaît bien la musique pour avoir fait partie d'un groupe de speed metal tandis que sa compagne est une auditrice fervente. Ils imaginent programmer de la chanson française, comme ce soir-là, du blues, du rock, du folk...et la liste des futurs invités affichée sur leur site Internet laisse supposer qu'ils vont tenir leurs promesses. http://concertlarhue.fr/fr/ Si la clientèle est moitié étrangère (anglaise, hollandaise), moitié française donnant au lieu une ambiance de pub avec son plafond bas et ses lumières tamisées, elle pourrait être rajeunie, selon les souhaits des nouveaux propriétaires, qui ont accueilli ce soir-là leurs nouveaux clients le sourire aux lèvres et offert un verre de bienvenue. 
En tout cas, c'était bien des jeunes qui étaient sur scène le 1er avril avec Eskelina en vedette. Très honorée d'avoir été choisie pour cette inauguration, avec une pointe d'auto-dérision, elle a déclaré assurer elle-même sa propre première partie en solo avant d'être rejointe par les membres de son groupe. Guitare en bandoulière, elle a plongé le public dans des chansons en anglais et surtout en suédois, celles qu'elle chantait lorsqu'elle n'avait pas encore quitté son pays natal. Sa voix douce et claire frappait d'emblée par sa capacité à adoucir cette langue scandinave pourtant un peu rugueuse.
Après un lycée de musique, du côté du Blekinge (sud du pays) où elle a grandi, la jeune fille d'alors a beaucoup chanté dans les bars. Elle reconnaît s'y être un peu épuisée face à des publics pas toujours très réceptifs et parce qu'être artiste dans ce pays qui ne dispose pas du régime de l'intermittence suppose de se produire énormément pour gagner un tant soit peu sa vie. Elle n'en vivait pas encore et devait travailler à côté. Un an avant son départ pour la France, elle a donc fait le choix d'arrêter cette vie de saltimbanque. Finalement libérée du travail, elle avait du temps devant elle, même si ce temps suspendu a pu générer un peu de mélancolie. Elle chante d'ailleurs ce mal de vivre dans un nouveau titre : L'hirondelle. Elle avait envie d'apprendre le français, rêvait des paysages de ce pays, pas trop lointain pour elle et qu'elle avait entrevu lors d'un voyage familial avec son beau-père notamment, Charlie, à qui elle a dédié une chanson de son deuxième album. Elle raconte ce départ dans une autre chanson, cette fois, à l'intention de sa mère : Maman, un texte touchant sur son désir de découvrir le monde. Dans son baluchon, il y a sa "bonne étoile" et le "sens de l'équilibre" que la mère a donné à sa fille elle-même "sur un fil".
Grâce à un réseau d'amis, elle s'est retrouvée en 2006 à Sarlat où elle est restée un an à vivre de façon un peu bohème dans une ambiance communautaire et dans un lieu où il n'y avait ni eau, ni électricité, ayant pour seul mode de locomotion un vélo. Sans grand besoin d'argent, elle se souvient y avoir expérimenté une grande liberté et peut-être acquis un esprit libertaire. La chanson inaugurale du concert a d'ailleurs d'emblée donné le ton. Dans Désordre, elle revendique le droit à combattre toutes les autorités : le sabre et le goupillon, comme chantait Ferrat, mais aussi le pouvoir économique et l'ordre policier. Parce qu'en quittant la Suède, elle a "fait un doigt d'honneur au système (...) décroché de la télévision/De la société de consommation/ De la propagande", son "âme n'est plus à vendre", chante-t-elle, sur des airs folk, dans La valise rose. Elle répète à l'envi : "J'ai l'âme si légère/Je suis libre comme l'air". Dans ce nouvel environnement, la musique quelque peu délaissée a pris un autre sens. Elle s'est mêlée aux artistes de rue. La chanson L'ambassadeur (qu'elle n'a pas chanté ce soir-là néanmoins) conserve le souvenir de ses moments passés dans les rues de Sarlat. Dès sa création, elle s'est mise à fréquenter La Rhue où elle était régulièrement invitée. Elle a d'ailleurs débuté le concert en déclarant se sentir chez elle dans ce lieu. Il faut dire qu'ils sont peu nombreux les espaces ou les gens qui l'ont accompagnée depuis ses débuts et pour une exilée comme elle, cet attachement revêt une importance particulière.
Elle se souvient d'un concert de Debout sur le zinc en Dordogne à une époque, là aussi entre deux eaux, où elle se questionnait beaucoup. Probablement conquise par les artistes, elle a fait ce qu'elle ne s'autorisait pas jusqu'alors : laisser une "démo" de ses chansons. Quatre plus tard, Christophe Bastien, le guitariste pendant 20 ans de ce groupe, l'a contactée. Il cherchait une voix féminine pour les chansons qu'il avait écrites. Entre temps, Eskelina a fait son petit bonhomme de chemin : elle a accédé en 2010 au statut d'intermittente. Forte de cette légitimité, elle a commencé un compagnonnage avec ce musicien tout en obtenant d'avoir son mot à dire sur les textes et les musiques, précise-t-elle. C'est un ami d'enfance de Christophe Bastien, Florent Vintrigner, membre de La Rue Kétanou qui a été sollicité pour écrire les textes. Cette collaboration a abouti en janvier 2015 à la sortie de son premier album, Le matin du pélican.
Le concert à la Rhue mêlait chansons du premier et du deuxième album qui sortira le 19 mai et sera l'occasion d'une grande tournée en 2017 et 2018.
Elle était accompagnée de la contrebassiste Nolwenn Leizour, rencontrée dans la rue en 2010 et avec laquelle elle a construit une profonde amitié et une collaboration musicale fidèle.
 
Elle n'a pas hésité à l'associer à ses projets professionnels dès qu'elle a commencé à travailler avec Christophe Bastien. Celui-ci était d'ailleurs à la guitare tandis qu'Alexis Campet, auteur des arrangements du dernier album dans lesquels elle a aussi mis sa patte, officiait à la batterie et au piano.
Elle a "fait du chemin" depuis qu'elle a quitté son pays natal et la chanson Je reviens illustre ce choc lors d'un retour éphémère en Suède. Maintenant, elle est la Femme Fleury, celle qui "ne lâche rien", "s'acharne", "se bat", celle qui "a fleuri sa destinée". Cependant, cela ne s'est pas fait sans mal : "elle y a laissé des plumes mais elle a gagné des ailes". Il y a quelque chose d'émouvant dans cette manière pleine de poésie de se dévoiler, de décrire son parcours et de s'affirmer. Mais c'est aussi une jeune femme comme les autres qui peut être l'Emmerdeuse. Elle parle d'amour avec humour et toujours avec une petite touche politique comme dans  la chanson swing et très gaie, Les hommes à poil, où l'uniforme du soldat lui "fait un peu peur/Sans vouloir faire de polémiques", où elle "reproche à la tenue de certains rappeurs/de faire homme-sandwich pour l'Amérique". Dans L'Amoureuse, elle prend des airs orientaux pour déclarer sa flamme et sa sensualité. Le cèdre du nouvel album évoque les méandres de la vie amoureuse puisqu'il est question d'infidélité, de "promesses non tenues" tandis qu'Emilie est celle avec laquelle on peut passer une nuit : "Elle m'a souri Emilie/Elle dormait toute nue/j'étais la bienvenue/chez mon amie Emilie". On a entendu pendant le concert la magnifique chanson Cuba qui parle des choses qu'on a oubliées, comme Eskelina l'a introduite. Dans le futur album, elle est accompagnée pour ce titre du groupe Batlik, un nouveau venu parmi ses compagnons de route.
Son premier opus lui a déjà donné la reconnaissance de ses pairs et des spectateurs puisqu'elle obtenu en 2016 le prix du jury et du public Georges Moustaki. On peut penser que le deuxième album va confirmer les talents de cette chanteuse prometteuse qui a su s'entourer des bonnes personnes. Elle reconnaît que dans son deuxième album, elle s'est quelque peu décentrée d'elle-même. On pense au Couteau, aux Trois garçons, à Maya, cette toute jeune adolescente qui vit la séparation de ses parents ou encore aux animaux dont elle adopte le point de vue dans La verticale.
Eskelina, c'est d'abord une voix douce et vibrante, avec ce très léger accent suédois qui fait son charme. Et puis il y a les mélodies, tantôt mélancoliques, tantôt entraînantes et rieuses, toujours qui accrochent. Enfin, les textes qui parlent d'elle, de sa façon de voir le monde, comme le témoignage d'une vie bien ancrée dans son époque mais loin des conventions. On la sent tellement vraie dans ce qu'elle chante, très naturelle dans sa façon d'exprimer. Alors, on ne peut que vous recommander d'aller la voir en concert car il y avait ce soir-là une si belle énergie entre les membres du groupe, une émotion sincère, un accompagnement musical qui valorisait tellement sa voix que le temps a paru trop court, malgré la générosité des artistes à offrir près d'une vingtaine de chansons. Si vous êtes à Paris le 25 avril, ne la ratez surtout pas.

Retrouvez toute l'actualité d'Eskelina sur son site : http://www.eskelina.com/
Le programme des concerts de la Rhue est sur ce lien : http://concertlarhue.fr/fr/

Texte et photos : Laura Sansot

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