Le 11 décembre, au Café Lib' de Bourrou,
avait lieu une présentation du travail en cours de la compagnie La
Nébuleuse en résidence au Lieu, à St Paul de Serre, du 30 novembre au 23
décembre 2015.
La compagnie a été créée en décembre 2012 par Julian Blight, un jeune homme qui n'a même pas 30 ans, ayant reçu une formation théâtrale au lycée, à l'université mais aussi dans des conservatoires d'arrondissement (10è puis 16è) à Paris. Souhaitant se démarquer d'une formation plutôt classique mais avide de rencontres, il a créé un collectif transdisciplinaire "En but d'aller vers" qui l'a conduit à élaborer 4 spectacles, à partir de 2008, à produire des performances, des improvisations, grâce à un cycle de recherches avec des artistes de divers horizons. Il a été aussi assistant à la mise en scène pour le spectacle Dark Spring de Bruno Geslin qui lui-même l'a formé à la vidéo comme support de film et d'un travail sur la matière. Il a travaillé avec Arnaud Saury sur Mémoires du Grand Nord mais aussi avec le chorégraphe Alain Buffard (aujourd'hui décédé). S'il a été acteur-interprète au théâtre (encore aujourd'hui dans La Cosa de Claudio Stellato) ou au cinéma, il ne persévère plus dans cette voie, d'autant qu'il a quitté Paris, où la plupart des contrats s'obtiennent, pour retrouver sa ville d'origine, Périgueux. Il se considère désormais comme metteur en scène. Après un exil de 3 mois au Maroc pour envisager un nouveau départ suite à son travail très intense avec Bruno Geslin, il a décidé de réaliser un rêve ancien : revenir chez lui pour créer sa propre compagnie.
Julian Blight au Lieu à St Paul de Serre
Un an d'élaboration aura été nécessaire pour définir
la structure et les projets artistiques futurs. En effet, Julian Blight
accorde beaucoup d'importance au temps de la réflexion, à la maturation
des idées avant de se lancer dans la création proprement dite. C'est
ainsi que lui est venu le titre de la compagnie, La Nébuleuse, comme
étant un "amas de points lumineux indéfinis qui marchent ensemble".
D'ailleurs, il insiste sur la définition du terme : il s'agit davantage
d'une association que d'une compagnie ou d'un collectif. En effet,
l'expérience lui a montré qu'il préférait travailler en collaboration
à part égale avec chacun des membres plutôt qu'avec une minorité
agissante. La notion de collaborateur est fondamentale pour lui. Certes,
il est le metteur en scène, garant du projet, mais le travail qu'il
propose aux comédiens, techniciens n'est pas un simple emploi, il est
une collaboration pour l'élaboration d'une création. La Nébuleuse est un
outil conçu dans ce sens. L'éclairagiste, par exemple, Diane Guérin, participe à la
création du spectacle, grâce à son regard particulier sur l'espace.
Quant aux comédiens, Jules Sagot et Céline Martin-Sisteron, ils les
considèrent comme des interprètes-créateurs. Aidé de l'assistante à la
mise en scène, Joséphine Supe, le metteur en scène souhaite donc de
cette manière assurer une cohésion du groupe et responsabiliser chacun
des collaborateurs dans l'oeuvre réalisée et avoir obtenu l'accord de
tous lors de la première du spectacle. L'écriture est, de ce fait, une
écriture de plateau soutenue par un scénariste de cinéma, Rémi Brachet,
et non un auteur de théâtre pour une plus grande souplesse vis-à-vis du
texte. Les metteurs en scène avec lesquels il a travaillé ont
probablement contribué à cette manière d'envisager la construction d'un
spectacle, un travail commun à tâtons. En effet, s'il a fait une
première résidence de recherche seul, la deuxième a été faite avec la comédienne, la 3è à la Manufacture Atlantique, à
la bordure de Bègles et Bordeaux, un lieu qui se définit comme "une fabrique d'art et de culture pour les jeunes artistes". La résidence à St Paul de Serre http://www.chantier-theatre.com/LeLieu.html
est la première résidence de création où étaient présents, outre Julian
Blight, les comédiens, l'assistante, l'éclairagiste. Le travail obtenu
était filmé et transmis au scénariste, alors sur un projet de film à
Noirmoutier.
Le Lieu, à St Paul de Serre
La
prochaine résidence aura lieu au Palace à Périgueux du 4
au 14 janvier 2016, du 10 au 20 février puis du 7 au 17 mars aux Lilas à
"Lilas en scène", dans les murs de l'association Mains d'oeuvre à St
Ouen http://www.mainsdoeuvres.org/
fin février début mars pour une première
représentation à la Manufacture Atlantique du 30 mars au 1er avril et à
Périgueux le 3 mai au Palace. Ainsi, 8 semaines de résidence de création
auront précédées la présentation au public et 2 ans se seront écoulés
depuis l'émergence du projet, une durée plus importante que la moyenne
dans le monde de la création artistique. Julian Blight reconnaît aussi
le temps consacré au casting, temps qu'il revendique pour remettre en
question les idées, les mûrir et les tester. Il se méfie des idées qui
germeraient ex-nihilo d'un génie-créateur. La notion d'empirisme est
importante pour lui. Il évoque un "chemin autodidactique". C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'il a proposé
son travail au Café Lib' de Bourrou en lien avec l'Agence culturelle
départementale de la Dordogne.A quelques kilomètres de St Paul de Serre, ce lieu atypique ouvert sur les arts et les rencontres multiples était un lieu idéal, après un an d'existence couronnée de succès, pour accueillir le projet d'envergure de la Nébuleuse.
En effet, les installations réalisées sont, comme le définit Julian Blight, des "extensions de la recherche scénographique" qui "permettent plus de compréhension de la version finale". Ce sont des étapes. Ces "projets satellites" sont des expérimentations, occasion de mêler différents arts car il ne souhaite pas créer de barrières entre eux. Ainsi, il a convoqué une équipe pour réaliser les deux installations à partir de livres : celle sous la halle du village,
Pour le metteur en scène, cette notion d'artisanat et de temps passé (plusieurs jours pour le mur de livres) dans la création l'intéresse, d'autant qu'elle est éphémère (une soirée), sauf le mur de livres qui va rester et donner véritablement son identité au café lib', comme s'en réjouit Nathalie Schreiber, l'une des bénévoles très active du lieu. C'est un décor unique que l'on ne trouve pas dans les autres cafés associatifs du département. Cela a pu être réalisé grâce à la collaboration efficace et intense des habitants de Bourrou, expérience inédite aussi qui a fait entrer une dimension à laquelle Julian Blight tient beaucoup : la rencontre de l'oeuvre et de ses créateurs avec le monde. L'art ne doit pas être coupé de la vie, les artistes ne doivent pas s'enfermer dans une bulle, comme il a pu lui-même le vivre dans sa jeune carrière. Ce rapport fort avec la réalité, c'est l'une des valeurs qu'il entend défendre à travers ce projet de La Nébuleuse. Or, il reconnaît que les moments passés avec les habitants ont été très riches et Nathalie Schreiber estime que le projet, en associant la population, va redonner un second souffle au Café. Elle s'est beaucoup mobilisée pour aider à la construction du mur de livres récupérés à titre gratuit à Emmaüs et La Seconde Vie, une recyclerie de Mussidan. En outre, Rémi Brachet et Céline Martin-Sisteron sont allés à la rencontre des habitants pour réaliser un sondage et leurs poser des questions sur leur rapport au voyage, à la vie, à la liberté, sur leur vie actuelle et leur vie rêvée. Cette entrée dans une certaine intimité a été restituée en partie lors de la soirée du 11 décembre avec la projection d'un film de 30 minutes devant un public très nombreux.
Si le produit n'est pas une oeuvre de cinéma, il a touché par l'authenticité et la sincérité des témoignages parfois drôles, parfois très émouvants dont le public a entendu d'autres échos dans la conclusion de la performance théâtrale qui a suivi : les habitants faisaient part de leurs rêves d'un société plus juste, plus solidaire. Quant aux résultats du sondage, ils ont été commentés avec humour par Céline Martin-Sisteron mettant en exergue que l'on peut faire dire aux personnes interrogées ce que l'on veut, elles-mêmes répondant parfois de façon contradictoire mais tout en dégageant, grâce à des questions en entonnoir des plus banales sur les animations de la commune aux plus profondes sur la place des habitants dans la société, une certaine identité des habitants.
Julian Blight débordé par les remerciements!
La
soirée s'est terminée par un concert d'un jeune groupe de 3 musiciens
de Bordeaux, dont deux d'entre eux se sont rencontrés au conservatoire,
constitué seulement un mois avant leur première prestation publique lors
de cette soirée : The Dusty Bus.Une autre installation, en lien avec la performance théâtrale, était constituée d'un film projeté sur une télévision où des individus répondaient au sondage de Céline Martin-Sisteron sur leur rapport au bonheur, en référence à Chroniques d'un été de Jean Rouch et Edgard Morin, sorti en 1961, où il s'agissait pour les auteurs de poser des questions de type existentiel auprès de parisiens et d'interroger le rapport à la caméra. 55 ans après, il était intéressant de confronter les réponses et de constater que, dans un contexte de crise générale, les individus se considéraient heureux à 80%. Ces questions guideront la création de Julian Blight et de ses collaborateurs. En effet, cette immersion dans le réel leur permet de la confronter au discours dominant des médias extrêmement négatif sur l'avenir du monde et sur l'état d'esprit de ses habitants.
Texte et photos : Laura Sansot (sauf mention contraire)
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