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02/01/2016

RENCONTRE AVEC JULIAN BLIGHT, METTEUR EN SCENE DE RELAPS

Le 11 décembre, au Café Lib' de Bourrou, avait lieu une présentation du travail en cours de la compagnie La Nébuleuse en résidence au Lieu, à St Paul de Serre, du 30 novembre au 23 décembre 2015.

La compagnie a été créée en décembre 2012 par Julian Blight, un jeune homme qui n'a même pas 30 ans, ayant reçu une formation théâtrale au lycée, à l'université mais aussi dans des conservatoires d'arrondissement (10è puis 16è) à Paris. Souhaitant se démarquer d'une formation plutôt classique mais avide de rencontres,  il a créé un collectif transdisciplinaire "En but d'aller vers" qui l'a conduit à élaborer 4 spectacles, à partir de 2008, à produire des performances, des improvisations, grâce à un cycle de recherches avec des artistes de divers horizons. Il a été aussi assistant à la mise en scène pour le spectacle Dark Spring de Bruno Geslin qui lui-même l'a formé à la vidéo comme support de film et d'un travail sur la matière. Il a travaillé avec Arnaud Saury sur Mémoires du Grand Nord mais aussi avec le chorégraphe Alain Buffard (aujourd'hui décédé). S'il a été acteur-interprète au théâtre (encore aujourd'hui dans La Cosa de Claudio Stellato) ou au cinéma, il ne persévère plus dans cette voie, d'autant qu'il a quitté Paris, où la plupart des contrats s'obtiennent, pour retrouver sa ville d'origine, Périgueux. Il se considère désormais comme metteur en scène. Après un exil de 3 mois au Maroc pour envisager un nouveau départ suite à son travail très intense avec Bruno Geslin, il  a décidé de réaliser un rêve ancien : revenir chez lui pour créer sa propre compagnie.
 Julian Blight au Lieu à St Paul de Serre
Un an d'élaboration aura été nécessaire pour définir la structure et les projets artistiques futurs. En effet, Julian Blight accorde beaucoup d'importance au temps de la réflexion, à la maturation des idées avant de se lancer dans la création proprement dite. C'est ainsi que lui est venu le titre de la compagnie, La Nébuleuse, comme étant un "amas de points lumineux indéfinis qui marchent ensemble". D'ailleurs, il insiste sur la définition du terme : il s'agit davantage d'une association que d'une compagnie ou d'un collectif. En effet, l'expérience lui a montré qu'il préférait travailler en collaboration à part égale avec chacun des membres plutôt qu'avec une minorité agissante. La notion de collaborateur est fondamentale pour lui. Certes, il est le metteur en scène, garant du projet, mais le travail qu'il propose aux comédiens, techniciens n'est pas un simple emploi, il est une collaboration pour l'élaboration d'une création. La Nébuleuse est un outil conçu dans ce sens. L'éclairagiste, par exemple, Diane Guérin, participe à la création du spectacle, grâce à son regard particulier sur l'espace. Quant aux comédiens, Jules Sagot et Céline Martin-Sisteron, ils les considèrent comme des interprètes-créateurs. Aidé de l'assistante à la mise en scène, Joséphine Supe, le metteur en scène souhaite donc de cette manière assurer une cohésion du groupe et responsabiliser chacun des collaborateurs dans l'oeuvre réalisée et avoir obtenu l'accord de tous lors de la première du spectacle. L'écriture est, de ce fait, une écriture de plateau soutenue par un scénariste de cinéma, Rémi Brachet, et non un auteur de théâtre pour une plus grande souplesse vis-à-vis du texte. Les metteurs en scène avec lesquels il a travaillé ont probablement contribué à cette manière d'envisager la construction d'un spectacle, un travail commun à tâtons. En effet, s'il a fait une première résidence de recherche seul, la deuxième a été faite avec la comédienne, la 3è à la Manufacture Atlantique, à la bordure de Bègles et Bordeaux, un lieu qui se définit comme "une fabrique d'art et de culture pour les jeunes artistes". La résidence à St Paul de Serre http://www.chantier-theatre.com/LeLieu.html est la première résidence de création où étaient présents, outre Julian Blight, les comédiens, l'assistante, l'éclairagiste. Le travail obtenu était filmé et transmis au scénariste, alors sur un projet de film à Noirmoutier.
  Le Lieu, à St Paul de Serre
La prochaine résidence aura lieu au Palace à Périgueux du 4 au 14 janvier 2016, du 10 au 20 février puis du 7 au 17 mars aux Lilas à "Lilas en scène", dans les murs de l'association Mains d'oeuvre à St Ouen http://www.mainsdoeuvres.org/ fin février début mars pour une première représentation à la Manufacture Atlantique du 30 mars au 1er avril et à Périgueux le 3 mai au Palace. Ainsi, 8 semaines de résidence de création auront précédées la présentation au public et 2 ans se seront écoulés depuis l'émergence du projet, une durée plus importante que la moyenne dans le monde de la création artistique. Julian Blight reconnaît aussi le temps consacré au casting, temps qu'il revendique pour remettre en question les idées, les mûrir et les tester. Il se méfie des idées qui germeraient ex-nihilo d'un génie-créateur. La notion d'empirisme est importante pour lui. Il évoque un "chemin autodidactique". C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'il a proposé son travail au Café Lib' de Bourrou en lien avec l'Agence culturelle départementale de la Dordogne.

A quelques kilomètres de St Paul de Serre, ce lieu atypique ouvert sur les arts et les rencontres multiples était un lieu idéal, après un an d'existence couronnée de succès, pour accueillir le projet d'envergure de la Nébuleuse.
En effet, les installations réalisées sont, comme le définit Julian Blight, des "extensions  de la recherche scénographique" qui "permettent plus de compréhension de la version finale". Ce sont des étapes. Ces "projets satellites" sont des expérimentations, occasion de mêler différents arts car il ne souhaite pas créer de barrières entre eux. Ainsi, il a convoqué une équipe pour réaliser les deux installations à partir de livres : celle sous la halle du village,
 
celle dans le café avec un mur de livres et une colonne de livres dorsadée.
Il s'agissait de tester, auprès des artistes eux-mêmes et auprès du public, une certaine démesure et envisager différents niveaux de lecture des oeuvres plastiques réalisées pouvant être observées de loin jusqu'au plus près, en un clin d'oeil ou durant un temps long.

Pour le metteur en scène, cette notion d'artisanat et de temps passé (plusieurs jours pour le mur de livres) dans la création l'intéresse, d'autant qu'elle est éphémère (une soirée), sauf le mur de livres qui va rester et donner véritablement son identité au café lib', comme s'en réjouit Nathalie Schreiber, l'une des bénévoles très active du lieu. C'est un décor unique que l'on ne trouve pas dans les autres cafés associatifs du département. Cela a pu être réalisé grâce à la collaboration efficace et intense des habitants de Bourrou, expérience inédite aussi qui a fait entrer une dimension à laquelle Julian Blight tient beaucoup : la rencontre de l'oeuvre et de ses créateurs avec le monde. L'art ne doit pas être coupé de la vie, les artistes ne doivent pas s'enfermer dans une bulle, comme il a pu lui-même le vivre dans sa jeune carrière. Ce rapport fort avec la réalité, c'est l'une des valeurs qu'il entend défendre à travers ce projet de La Nébuleuse. Or, il reconnaît que les moments passés avec les habitants ont été très riches et Nathalie Schreiber estime que le projet, en associant la population, va redonner un second souffle au Café. Elle s'est beaucoup mobilisée pour aider à la construction du mur de livres récupérés à titre gratuit à Emmaüs et La Seconde Vie, une recyclerie de Mussidan. En outre, Rémi Brachet et Céline Martin-Sisteron sont allés à la rencontre des habitants pour réaliser un sondage et leurs poser des questions sur leur rapport au voyage, à la vie, à la liberté, sur leur vie actuelle et leur vie rêvée. Cette entrée dans une certaine intimité a été restituée en partie lors de la soirée du 11 décembre avec la projection d'un film de 30 minutes devant un public très nombreux.
 
Si le produit n'est pas une oeuvre de cinéma, il a touché par l'authenticité et la sincérité des témoignages parfois drôles, parfois très émouvants dont le public a entendu d'autres échos dans la conclusion de la performance théâtrale qui a suivi : les habitants faisaient part de leurs rêves d'un société plus juste, plus solidaire. Quant aux résultats du sondage, ils ont été commentés avec humour par Céline Martin-Sisteron mettant en exergue que l'on peut faire dire aux personnes interrogées ce que l'on veut, elles-mêmes répondant parfois de façon contradictoire mais tout en dégageant, grâce à des questions en entonnoir des plus banales sur les animations de la commune aux plus profondes sur la place des habitants dans la société, une certaine identité des habitants.
 
Si le metteur en scène a salué le travail réalisé en un temps très contraint, il n'envisage pas de le réutiliser dans sa forme théâtrale pour le spectacle futur. Il imagine davantage une forme plus cinématographique.
 
 Julian Blight débordé par les remerciements!
La soirée s'est terminée par un concert d'un jeune groupe de 3 musiciens de Bordeaux, dont deux d'entre eux se sont rencontrés au conservatoire, constitué seulement un mois avant leur première prestation publique lors de cette soirée : The Dusty Bus.
 
L'équipe de la Nébuleuse s'est joint à eux.

Une autre installation, en lien avec la performance théâtrale, était constituée d'un film projeté sur une télévision où des individus répondaient au sondage de Céline Martin-Sisteron sur leur rapport au bonheur, en référence à Chroniques d'un été de Jean Rouch et Edgard Morin, sorti en 1961, où il s'agissait pour les auteurs de poser des questions de type existentiel auprès de parisiens et d'interroger le rapport à la caméra. 55 ans après, il était intéressant de confronter les réponses et de constater que, dans un contexte de crise générale, les individus se considéraient heureux à 80%. Ces questions guideront la création de Julian Blight et de ses collaborateurs. En effet, cette immersion dans le réel leur permet de la confronter au discours dominant des médias extrêmement négatif sur l'avenir du monde et sur l'état d'esprit de ses habitants.
Enfin, des cartes postales de Bourrou étaient à disposition du public invité à les remplir pour qu'elles soient envoyées à l'adresse indiquée depuis un pays lointain dans quelques temps.
 
Le thème (et le titre aussi) du futur spectacle est celui de la relaps. S'il désigne un individu qui est retombé dans une hérésie après l'avoir abjurée, il est utilisé par le metteur en scène dans un sens tout à fait laïc, à moins que l'adhésion au système de production capitaliste soit une nouvelle religion... La création sera l'occasion de mettre en scène un jeune couple, un homme et une femme, peut-être des journalistes, de la génération que le marketing appelle rapidement "la génération Y", celle née entre le début des années 80 et le milieu des années 90, très marquée, en autres, par les nouvelles technologies, insatisfaits de leur vie qui tentent d'en sortir en vain. Le décor, proche d'un espace quotidien propice aux hors champs, tapissé de livres (sous forme de modules réalisés par deux habitants de Bourrou, autre belle proposition issue du travail avec les habitants de ce village) et  peut-être d'un écran d'ordinateur en fond de scène avec accès à Internet et à la télévision, viendra confronter cette ouverture perpétuelle sur la connaissance, qui donnerait toutes les raisons de partir, à une difficulté de sortir d'une vie finalement très confortable matériellement. Dans leur appartement au milieu duquel trônera un clic-clac, confectionné par Stéphane Zang qui a longtemps travaillé pour la compagnie Chantier Théâtre, le couple s'interrogera, le temps d'une nuit, sur ses raisons de rester ou de partir, sur ses valeurs transmises par la culture et l'éducation, sur sa place dans la société, passant par des moments de colère, de tendresse ou de violence, trompant son ennui par des jeux d'enfants, pour finalement au petit matin voir la jeune femme partir (à son travail ou vers un ailleurs rêvé, on ne le saura pas) et lui rester.
Dans ce travail, Julian Blight assume les références qui le guident pour construire son spectacle : des livres comme Une saison en enfer d'Arthur Rimbaud, Les Choses de Perec, des films comme ceux de Mike Leigh (Naked), de Jean-Luc Goddard (Une femme est une femme, Pierrot le Fou) ou de Quentin Tarantino (Pulp Fiction) et même les vidéos d'un certain Inspector Norse contraint de rester dans sa campagne du Nord de l'Europe, pour soigner son père malade mais qui trouve les moyens d'échapper à sa condition par Internet. La question du couple, le désir de fuir, de tout remettre en cause, la procrastination, l'ennui, la violence sont quelques-uns des thèmes qui traversent les oeuvres de leurs prestigieux aînés et que le metteur en scène et ses collaborateurs explorent actuellement. On attend avec impatience le spectacle qui en sera issu dans quelques mois sur le portrait d'une génération à laquelle ils appartiennent et dont le regard qu'ils porteront sera donc d'autant plus pertinent qu'ils auront digérés les oeuvres du passé pour mieux les confronter à cette époque inédite.

Texte et photos : Laura Sansot (sauf mention contraire)

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