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30/09/2015

LE REVENU DE BASE EN DEBAT AU CAFE DE LEGUILLAC DE CERCLES

Le vendredi 18 septembre, le café associatif de Léguillac de Cercles proposait une soirée-débat autour du film " Un revenu pour la vie" de Michael Le Sauce. Ce film était présenté par Catherine Lafont, auteur d'un court-métrage de 7 minutes que le café a projeté en première partie.

Ces deux réalisateurs ont produit leur film dans le cadre d'une association "Les zooms verts" basée à Toulouse, un collectif de réalisateurs-trices, techniciens-ciennes du cinéma. Le nom de cette association n'est pas sans évoquer les petits hommes verts, ces "extra-terrestres humains", tels qu'ils se considèrent, qui "regard[ent] notre planète avec un regard sensible et plein d'amour". Il y a 3-4 ans, explique Catherine, l'association a décidé de se recentrer sur des films documentaires en lien avec l'écologie et l'économie sociale et solidaire. En effet, "c'était important, dans un discours écologique de bien recentrer les enjeux autour de la vie humaine" mais aussi c'était "l'idée que le combat écologique et le combat pour la justice sociale [étaient] étroitement liés et ne [pouvaient] être traités séparément sous peine de voir se créer un nouveau climat sécuritaire sous couvert de protection de l'environnement".
Photo :  Lucie Alquier-Campagnet & Myrtille Visscher
extraite de :  http://www.leszoomsverts.fr/index.php/les-zooms
Pour contrebalancer "le peu de place fait à une information qui serait alternative à l'idéologie de l'argent-roi, de la croissance du plein emploi, de la compétitivité", le collectif propose des films qui rendent compte d'"expérimentations citoyennes", le but étant de "travailler à en dégager la cohésion d’ensemble et dévoiler qu’en filigrane de cette société productiviste, une nouvelle culture du vivre ensemble est bel et bien en train de se construire".
http://www.leszoomsverts.fr/
C'est donc dans ce cadre que les deux films de la soirée ont été conçus.
Le film d'animation "Monsieur Raymond  et les philosophes" de Catherine Lafont introduisait la réflexion sur le revenu de base. 
à droite : Catherine Lafont

Il mettait en scène un homme au chômage que des figures comme Albert Camus, André Gortz, Karl Marx, Hannah Arendt, représentés sous forme de photos découpées et animées dans un décor dessiné, venaient interroger sur son rapport au travail et sur le sens de la production. Considérant que la production du nécessaire ou du superflu exigeait de moins en moins de travail et distribuait de moins en moins de salaires, c'était donc la redistribution des richesses qu'il fallait envisager. Il fallait, pour cela, distribuer un revenu fixe à chacun, sans condition, uniquement parce que l'on existait : un revenu d'existence auquel avait déjà pensé Thomas Paine, durant la Révolution Française. C'est ainsi que l'on pouvait être libéré du statut d'Animal laborans au profit de celui d'Homo Faber : plutôt qu'être un travailleur enchaîné à la machine, sans but, "esclave de la consommation dans une quête d'abondance toujours renouvelée, toujours inassouvie", l'individu pouvait devenir un être créateur, défendait Hannah Arendt. Face aux scepticisme de Monsieur Raymond, les personnages  s'évertuaient à le convaincre évoquant les combats passés apparemment utopiques et pourtant victorieux.

Pour entrer dans le vif du débat, le film "Un revenu pour la vie" permettait de mettre en dialogue différents spécialistes et militants de ce projet avec des philosophes, scientifiques pour une approche plus globale de l'existence. 
Michael le Sauce
photo extraite de : http://www.leszoomsverts.fr/index.php/les-zooms
Albert Jacquard soutenait ainsi qu'au contraire d'une non activité subie que représentait le chômage, il était envisageable de confier une activité à tout le monde, respectueuse de ses choix. Cette activité, Patrick Viveret lui donnait le nom de métier au sens du XIIè siècle (ministère au sens de service et mystère de la relation à la nature dans les métiers manuels et à autrui dans les métiers relationnels) dont chaque homme est porteur et qui renvoie au projet de vie. Quant à André Gortz, il distinguait travail contraint et travail choisi.
Frédéric Bosquet (défini comme entrepreneur humaniste et auteur des Monnaies citoyennes et d'un tour de France pour mettre en avant les initiatives citoyennes) a défini les 5 critères de ce revenu de base défendu par le Mouvement Français pour le Revenu de Base (MFRB) : inconditionnel, individuel, de la naissance à la mort, cumulable, inaliénable. Ce revenu a été largement défendu par Yoland Bresson pendant 30 ans et l'a conduit à fonder l'association pour l'instauration d 'un revenu de base.
Aujourd'hui, on se sert de la menace du RSA pour faire accepter des conditions de travail dégradantes, selon Alexis Lecointe, ex-ingénieur, conférencier gesticulant : ceux qui ne participent pas au renouvellement du bien commun peuvent bénéficier de revenus tandis que ceux qui y participent peuvent ne pas en avoir, comme lui. Il est dans un travail non marchandisé mais libre. Parce que beaucoup d'individus de moins de 40 ans ne veulent plus s'identifier à leur travail, il y a actuellement une offensive patronale voire syndicale pour la renforcer, souligne Patrick Viveret qui définit un travail acceptable comme intéressant, permettant une implication, socialement utile et ayant un sens. Quant au conférencier gesticulé, il se le représente comme une activité qui met l'intelligence, la sensibilité et la disponibilité au service de quelque chose qu'il croit partager avec les autres. Bernard Stiegler estime que l'on travaille mieux lorsque l'on n'est pas employé et rejoint Marx sur la nécessité d'en finir avec le salariat et créer un autre modèle.
Le film mettait ensuite en évidence les raisons pour lesquelles le revenu de base était défendu : par souci de défendre une liberté solidaire envers les plus pauvres et qui prend en compte les besoins collectifs (Carole Fabre), pour échapper à la nécessité (Alain Caillé, fondateur du Mauss) et vivre dans la liberté, pour sortir de la précarité et changer le rapport de force, pour remettre en cause le lien de subordination induit dans le contrat de travail (Corinne Morel-Darleux du Parti de Gauche), pour réduire les inégalités en imposant un revenu maximum acceptable et en réfléchissant sur le fonctionnement du système financier (Vincent Liegey, auteur d'un Manifeste pour une dotation inconditionnelle d'autonomie).
Se posait ensuite la question du montant que pourrait recouvrir ce revenu de base. La fourchette semblait varier entre 400 et 1000 euros pour les adultes, 250 euros pour les enfants selon les personnes interrogées, avec, pour certains, l'idée de définir un revenu décent pour vivre et la nécessité d'avoir des services publics de qualité accessibles. L'important était d'éliminer toutes les aides sociales (152 recensées) stigmatisantes et complexes ainsi que les contrôles afférents à ces aides relativement coûteux, comme le sont les conséquences engendrées par la violence que ce système produit (prisons et hôpitaux). 
Une réflexion sur le financement succédait au débat sur le montant : création monétaire, redistribution, taxation. Patrick Beauvillard, co-président du Parti Nouvelle Donne, défendait l'idée, tout comme Frédéric Bosqué, de distribuer le revenu de base dans une monnaie complémentaire pour servir l'économie locale. Jean Zinn, militant écologique, en venait donc à dire qu'il ne fallait pas raisonner en termes de revenus mais de système de production, le revenu de base permettant de développer des échanges locaux, de coopérer voire d'insuffler davantage de démocratie à un échelon local. 
Différents intervenants du film montraient comment le revenu de base pouvait être aussi un moyen de développer l'entreprenariat, de susciter les projets et comment il pouvait inverser le rapport de force et permettre d'améliorer les conditions de travail des salariés.
Pour conclure, Albert Jacquard était de nouveau convoqué pour remettre la société de marché à sa juste place :  "j'accuse les humains de vouloir mettre un chiffre et un nombre sur toute chose, pour transformer toute chose en marchandise, j'accuse cette erreur cognitive". André Gortz rappelait la nécessité pour le mouvement politique et syndical d'entendre le besoin d'autonomie des individus et leur recherche de sens mais aussi donner une dimension sociale, collective à leurs exigences personnelles. Guy Standing, co-président de Basic Income Earth Network, montrait que le revenu de base distribué dans une région de l'Inde avait eu une valeur émancipatrice plus importante que sa valeur monétaire.
La dédicace du film "aux êtres humains en souffrance de passer leur temps à survivre ou de passer à côté de leur vie" pouvait ouvrir le débat dans la salle du café associatif qui avait déjà accueilli il y a 2 ans, rappelaient les responsables, une autre soirée sur le même thème. Un membre du public évoquait aussi les assises du MFRB tenues à Coulounieix-Chamiers en août 2014.
Le débat s'est engagé sur une question soulevée par le film, celles des monnaies complémentaires, jugées indispensables par le public pour lutter contre la spéculation et éviter que le revenu de base ne revienne aux multinationales. Catherine Lafont a ainsi évoqué le Sol Violette, la monnaie complémentaire de Toulouse avec laquelle des entreprises se font payer à condition de respecter une charte d'éligibilité. D'autres participants ont évoqué des expériences intéressantes en monnaie locale en Angleterre et à Rio de Janeiro.  Un membre du public a rappelé que les monnaies locales avaient une reconnaissance officielle depuis 2014. En effet, la loi Economie Sociale et Solidaire (ESS) du 31 juillet 2014 les reconnaît comme moyen de paiement, une première dans la loi d'un pays. La personne a déclaré qu'il y aurait une soixantaine de ces monnaies en France. En fait, d'après le site dédié http://monnaie-locale-complementaire.net/france/, ce serait plutôt une trentaine existantes et 25 environ en cours de création. 

Après avoir évoqué l'existence de groupes issus du MFRB à Périgueux et Angoulême, il a été question d'expériences de revenu de base en Alaska où l'on distribue ce revenu aux habitants pour éviter l'émigration, en Inde, en Namibie dont les effets sont très positifs (augmentation des projets de micro-entreprises, de l'alphabétisation, baisse de l'alcoolisme, de la mortalité infantile...). Courrier international relaie souvent des informations sur le revenu de base, a constaté une participante. Le chèque du temps choisi expérimenté en Rhône-Alpes a été évoqué. Plus généralement, une personne s'est interrogée sur la difficulté à partager le travail. D'autres ont considéré que le revenu de base était un moyen de lutter contre l'argent sale. Quant à son financement, il a été suggéré que l'on taxe ce qui était prélevé du sous-sol. Un membre du public a estimé que tout cela risquait d'être utopique car il y avait toujours eu des dominants et des dominés, même à des micro-échelles, même si quelqu'un a évoqué la conscience humaine et une personne le souci non d'une égalité parfaite mais d'un peu plus de partage. Une autre personne a déclaré que, même sans revenu de base, il fallait envisager une réduction des écarts de salaire. Des échanges ont eu lieu ensuite sur la caractère utopique du revenu de base et sur la place du travail dans la vie de chacun. On a abordé le temps libéré, la peur de manquer, la remise en cause d'une société basée sur l'efficacité. Enfin, l'attention a été portée sur le fait que des libéraux défendaient le revenu de base dans un optique bien différente que celle des promoteurs du film. Une personne du public a conclu que, malgré tout, il fallait essayer de mettre en place ce projet.

Le lendemain, le groupe de Périgueux du MFRB organisait un après-midi et une soirée à Boulazac autour de ce film et d'un autre disponible sur Internet :  "Le revenu de base, une impulsion culturelle" d'E. Schmidt et D. Häni.
https://www.youtube.com/watch?v=03gfl-tgrG8
En effet, ces deux manifestations avaient lieu dans le cadre de la 8è semaine internationale pour le revenu de base du 14 au 21 septembre.
affiche extraite de : http://revenudebase.info/2015/09/14/pays-celebrent-semaine-revenu-base/
Texte et photos  : Laura Sansot

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