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28/09/2015

CONFERENCE SUR L'ECOLE DE LA MARELLE A ALTERNATIBA BERGERAC



Lors de la journée du 27 septembre, Alternatiba Bergerac proposait plusieurs conférences et tables rondes autour des alternatives. Ainsi, le thème de la transition éducative était développé sous forme d’une conférence donnée par Géraldine Seignarbieux, directrice de l’école La Marelle, située à Saint Pantaly d’Ans.
 logo extrait du site de la La Marelle : http://www.marelleetcompagnie.com/articles/l-ecole-la-marelle

Cette école est une école expérimentale de maternelle et élémentaire. Sa directrice la considère comme une contribution au changement d’orientation de la société : « nous faisons notre part comme petits colibris ». Or, explique-t-elle, « sans changer l’éducation, le changement de société est difficile  (...). La transition dans l’éducation est un premier pas vers une transition plus globale ». Toutefois, la transition, par définition, n’est pas nécessairement visible mais des indicateurs montrent qu’elle est en marche.
Une transition en marche
Au sein de l’Education Nationale, existent beaucoup d’initiatives : des postes de CARDIE (Conseiller recherche-développement, innovation et expérimentation), FESPI (Fédération des Etablissements Publics Innovants) qui regroupe 12 établissements et 5 en cours de création dont les demandes d’inscription augmentent fortement (Notre-Dame à Bordeaux, lycée auto-géré de St Nazaire...), le Collectif des Associations Partenaires de l’Ecole Publique (CAPE), les micro-lycées dans les ZEP, des outils innovants sur des sites Internet comme le Web pédagogique ou des blogs. Ils en existent aussi hors de l’institution et « il faut les deux pour que les choses bougent », considère l’intervenante. L’instruction dans la famille concernerait 40 000 enfants entre 3 et 16 ans et s’organiserait en fédérations : LED’A et LAIA. Quant aux écoles indépendantes, elles étaient 717 en 2014 en France, soit 60 000 enfants de 3 à 16 ans. 37 écoles se sont ouvertes en 2013, 51 en 2014. Ce nombre progresse chaque année. Il y a 1 à 2 ouvertures par an en Dordogne. Dans l’Education Nationale, une professeure des écoles de Gennevilliers, Céline Alvarez a introduit dans son enseignement des éléments de la méthode Montessori qui a obtenu de bons résultats mais l'institution ne lui a pas permis de poursuivre. Elle a donc décidé de démissionner mais de transmettre aux enseignants de l'école conventionnelle ces pratiques. Cet été, un atelier sur ce sujet qu’elle pensait proposer à une trentaine de personnes a été plébiscité par 200 personnes. « C’est donc un mouvement de fond qui se passe », affirme-t-elle, « mais qui ne peut pas se produire du jour au lendemain ». Les média commencent à s’intéresser au sujet. Des films sortent comme Etre et devenir, Quels enfants laisserons-nous à la planète ?, Alphabet, L’arbre de l’enfance (en cours de réalisation).
Si la transition est en route d’après les indicateurs énumérés, celle-ci a besoin d’être définie. Tous les projets se rejoignent autour de 3 idées communes. Les enfants sont les adultes de demain qui ont le potentiel de créativité pour le changement de demain et notre travail est de le préserver. Que transmettre pour transformer le monde ? Comment permettre à un enfant de devenir ce qu’il est ? Il s’agit davantage d’accompagner chacun dans l’expression de son plein potentiel plutôt que d’orienter, ce qui suppose de repenser la place de l’adulte. Il faut donc personnaliser les cursus, offrir un espace de développement personnel, apprendre le travail en équipe, l’empathie, l’autonomie, la connaissance de soi, la créativité, valoriser toutes les formes d’intelligence, les compétences extra-scolaires. Géraldine Seignarbieux se réfère aussi aux travaux d’André Stern qu’elle définit comme un "éducateur écologique" qui affirme la nécessité de respecter les dispositions naturelles de l’enfant.

La Marelle
La directrice de l’école indépendante a souhaité « partager une expérience qui nous enthousiasme (...) sans la poser en exemple » car sa « conviction est dans la diversité : il y a plusieurs manières de faire la transition ».
Le projet pédagogique se résume ainsi. Il s’agit d’abord de cultiver le plaisir d’apprendre. Même si apprendre suppose de la persévérance, même si cela est difficile, cela ne signifie pas que ce soit pénible ou cause de la souffrance. Cela donne une chance de toujours évoluer, de s’adapter, d’inventer, de développer une posture active. « Etre acteur de sa vie, c’est l'un des ingrédients nécessaire au bonheur », souligne-t-elle. Les recherches des neuro-sciences confirment le lien entre apprentissage et bonheur. A la naissance, le potentiel d’apprentissage n’est pas déterminé. On nait avec d’innombrables connexions neuronales mais seules celles que l’on utilise vont se développer, si bien que l’adulte n’en utilise qu’un tiers. Toutefois, cela ne suffit pas pour apprendre. L’enthousiasme est nécessaire. Le cerveau se développe là où on l’encourage avec plaisir. La sécrétion de neuro-transmetteurs fonctionne comme des fertilisants mais cela n’a pas lieu quand on reçoit des insultes, quand on apprend par cœur. L’enfant se développe à travers le jeu et vient au monde avec le plus efficace des supports d’apprentissage : le jeu et la curiosité. Sans l’intervention de l’adulte, il s’émerveille 50 à 100 fois par jour jusqu’à l’âge de 3-4 ans. Quand on fait ces mesures chez l’adulte, on obtient un chiffre de 3 fois par an pour des pics d’enthousiasme de la même intensité. Deux raisons expliquent cette perte d'enthousiasme. D’un côté, on repère les expériences négatives de l’apprentissage : ce sont les apprentissages subis qui ne répondent à aucune motivation, qui ont lieu dans des situations de stress, qui éloignent des autres, sont accompagnés de souffrance. De l’autre côté, l’influence de l’entourage peut jouer en sa défaveur : quand l’enfant réalise que ce qu’il est ne plaît pas à son entourage ou quand il est face à un adulte sur-protecteur, il abandonne son enthousiasme par fidélité à l’adulte référent. En conclusion de cela, Géraldine Seignarbieux évoque une phrase de Philippe Meirieu : « rien ne s'enseigne que l'élève ne désire apprendre ».
Pour préserver cet enthousiasme, à La Marelle, travaillent une enseignante à plein temps, une assistante d’éducation à mi-temps, une directrice qui intervient auprès des enfants comme intervenante extérieure tout comme d’autres personnes, des services civiques, des bénévoles. L’école est prévue pour accueillir 18 enfants (il reste 4 places vacantes pour cette année scolaire) de 3 à 11 ans dans le cadre d’une classe unique. Les cours ont lieu 4 jours par semaine, les apprentissages fondamentaux étant dispensés le matin et les ateliers, projets collectifs, l’après-midi. L’école n’est affiliée à aucun mouvement pédagogique. La directrice l’a définie comme une « école plurielle » qui se laisse la possibilité d’emprunter des éléments dans toutes les méthodes.

Afin d’expliciter son propos, elle présente un plat rempli de terre. Pour cultiver et récolter, il faut semer et planter. Un bon terreau est constitué de différentes composantes. Tout ce qui est fait en classe ne diffère pas nécessairement de ce qui est fait en classe conventionnelle mais l’intention de respecter les dispositions naturelles de l’enfant est primordiale. Le positionnement de l’adulte est aussi différent : il l’observe puis le guide plus qu'il lui enseigne ou l’évalue. Cela est possible s’il y a une confiance dans la capacité d’apprentissage de chaque enfant, dans les choix pédagogiques. On part de ce que l’enfant sait pour apporter un niveau de connaissance supérieure plutôt que de partir de ses lacunes. Quant au cadre, il est très clair : « les enfants veulent ce qu’ils font mais ne font pas tout ce qu’ils veulent ». Des limites permettent à l’enfant d’évoluer dans un cadre rassurant. 
C’est après ce que l’on peut commencer les semis. Il existe plusieurs sortes de graines liées à l’ambiance de travail. Des graines permettent de développer l’autonomie. La matériel Montessori y contribue mais aussi les plans de travail, les pauses auto-gérées, l’organisation de la vaisselle.  D’autres graines développent l’apprentissage du choix et de la responsabilité, d’autres encore le droit à l’erreur sans risquer d’être humilié ou moqué. Rien ne démobilise plus que l’échec. Le matériel de l’enfant est auto-correctif et suppose une intervention à minima de l’adulte qui préserve l’envie d’apprendre et la confiance. D’autres graines favorisent le temps accordé à l’enfant pour faire son travail que l’on interrompt jamais brutalement. Dans une moindre mesure, on le prévient 10 minutes avant avec un sablier. Il s’agit aussi de valoriser toutes les compétences. Un cahier de réussite met en valeur les réussites de la journée. La vie pratique est aussi très présente. Le groupe classe est présenté comme une famille, l’objectif étant de réduire l’écart entre l’école et la vie en dehors et éviter les cloisonnements. L’espace de l’école lui-même est envisagé comme une maison. Le lien à la nature est aussi très important : les enfants sortent tous les jours, même quand il pleut et il n’y a pas de préau. Le but est de sensibiliser l’enfant à l’observation de l’environnement, lui permettre de rester en lien avec le rythme biologique. Cela donne un sens du sacré et permet de se respecter soi-même et les autres. 
Le concret est toujours placé avant l’abstraction. C’est ce que l’on retrouve dans la méthode Montessori. On part des expériences sensorielles avant d’introduire le concept intellectuel. Les outils d’apprentissage coopératif sont valorisés : tutorat, échange de stratégies mentales quand un enfant explique aux autres comment il a fait pour parvenir au résultat. Le conseil d’enfants joue un rôle central. Les adultes ont une voix comme chaque enfant. Les décisions sont prises collectivement. Le règlement intérieur est élaboré à partir du conseil d'enfants. Toutes les règles sont édictées en commun, sauf 3 règles posées par l’adulte (ne pas taper, ne pas se moquer, ne pas détruire). Ainsi, les enfants savent pourquoi on a posé la règle. Les ateliers philosophiques permettent de développer l’esprit critique, les capacités d’écoute, d’argumentation, de prise de parole en groupe. Ils répondent à une quête de sens. Dans les ateliers de connaissance de soi, de pleine conscience, on apprend aux enfants à comprendre leurs émotions, à avoir conscience de leurs richesses et de leurs limites. Les enfants sont formés à la médiation qui est encouragée entre pairs. L’école hors les murs est favorisée : les enfants sortent autant que possible pour comprendre le monde qui les entoure. Les célébrations sont nombreuses. Le cahier de réussite y participe. Pour les anniversaires, le petit rituel à la manière Montessori est utilisé. Des chefs d’œuvre sont réalisés pour ceux qui partent au collège. Chaque année effectuée est l’objet d’un rite de passage pour signifier à l’enfant son évolution.
Une fois ces graines semées, on récolte de l’enthousiasme, de la joie. Les enfants arrivent avec le sourire à l’école. Ils sont en confiance avec eux-mêmes et l'adulte, fondements de la réussite. Chacun révèle sa personnalité sans souci du conformisme. Chacun cherche à s'améliorer par rapport à lui-même, non par rapport aux autres, ce qui change l'ambiance de classe. Les acquis sont stables, on revient peu sur les apprentissages. Les niveaux de compétences sont en accord avec les référentiels officiels. Les adultes sont heureux de voir leurs utopies mises à l'épreuve de la réalité et l'expérience débutante, même si elle suppose des améliorations, les conforte dans leurs choix. Changer l'école ne semble pas si difficile que cela sur le plan technique, méthodologique voire financier mais requiert quelque chose difficile à mettre en oeuvre pour les adultes : lâcher ses repères, ses certitudes, ce qui est insécurisant. La prochaine étape est de "se rassembler autour d'un message clair de cohérence et d'incarnation de nos valeurs, donner une chance pour que ce mouvement de fond soit visible et ait un impact".
Un débat avec le public a suivi cette présentation. Il a été question de nombreux pédagogues qui ont contribué aux pédagogies alternatives, de la disposition naturelle des enfants contestée dans le fait que les individus sont déjà  marqués par leur environnement dans le foetus. Héritiers, pour certains, de l'histoire difficile de leurs parents, parfois véritables "champs de guerre", ils sont en souffrance et n'ont pas envie d'apprendre. Géraldine Seignarbieux a rappelé que le potentiel neurologique était le même à la naissance mais que des éléments interféraient comme l'entourage, les enfants étant plongés dès la première année dans un bain culturel qui a déjà produit ses effets quand l'enfant entre en classe. Toutefois, l'observation permet de développer son potentiel, tout en reconnaissant qu'il s'agit d'un partage d'expérience et que la directrice de l'école ne se pose pas en expert. Le souhait d'inclure le collège dans l'école est réel, matérialisé par la rédaction d'un projet pédagogique mais l'intervenante considère que l'équipe est encore trop dans la phase de démarrage de l'école pour le mettre en place. Interrogée sur les suites de cet apprentissage, elle a pu difficilement en parler puisque seuls deux enfants sont partis au collège dont un n'a pas donné de nouvelles. Statistiquement, l'adaptation au collège conventionnel est identique mais les enfants auront peut-être une meilleure conscience d'eux-mêmes, une plus grande autonomie, seront plus à l'aise, auront une capacité de recul lors de leur immersion dans un milieu différent et donc auront des capacités d'adaptation. Cependant, tout dépendra de l'enseignant qui sera moteur ou sera déstabilisé et le fera sentir face à un enfant au comportement différent. La directrice qui a souligné la spécificité de l'accompagnement des enfants dans leurs apprentissages a reconnu que le terme d'enseignant convenait peu aux membres de l'équipe et le public a suggéré des termes comme "accompagnateur à la liberté", "éclaireur de confiance". Elle a modestement expliqué que les enfants les appelaient par leurs prénoms. Elle a conclu en incitant les uns et les autres à venir visiter l'école.

Texte et photos : Laura Sansot

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