Gentiane
Cremer, présidente de l'association Itinérances Films, prépare un
sommet national de la souveraineté alimentaire en allant interroger à
travers la France 35 acteurs "inspirants" qui "montrent le chemin des possibles", de la semence à l'assiette. Art Péri' Cité l'a rencontrée.
L'alimentation
est un sujet qui tient particulièrement à coeur de la jeune femme
trentenaire. Fille de paysan des Cévennes, elle est sensibilisée très
tôt à la fois aux beautés de la nature mais aussi aux difficultés du
monde agricole, même si elle n'a pas pratiqué elle-même, reconnaît-elle.
Quand elle est lycéenne à Sarlat, à 17 ans, elle tombe gravement malade
pendant deux ans et doit interrompre ses études. Les médecins ne posent
pas de diagnostic clair mais souhaitent lui amputer son intestin malade
et faire des séances de chimiothérapie si sa santé ne s'améliore pas.
Encore mineure, elle laisse la décision à sa mère. Elle ne la remerciera
jamais assez d'avoir refusé cette prescription et de s'être tournée vers les médecines
alternatives. A force de multiplier les rendez-vous, elles finissent par
rencontrer une chiropraticienne qui conseille de supprimer les produits
laitiers. En un mois, elle est guérie et ne connaîtra plus de graves
problèmes de santé. D'elle-même, pourtant gourmande, elle renforce le
régime alimentaire en enlevant sucre et céréales. Pour des raisons
vitales, elle se plonge dans la lecture assidue et détaillée des
étiquettes de produits alimentaires. Elle "élève son niveau de conscience" en
la matière et se montre très stricte dans le respect des prescriptions
pendant 10 ans puis plus souple pendant quelques années avant que des
problèmes digestifs ne reprennent. Aujourd'hui, elle aspire à une
alimentation vivante composée essentiellement de fruits, légumes,
graines germées, produits à base de farines légères...Si elle pense avoir trouvé le régime
qui lui convienne, elle ne cherche pas pour autant à l'imposer. Elle
estime que chacun doit trouver l'alimentation qui lui convienne, tout en
plaidant pour des produits sains, respectueux de la planète. Elle invite
à s'écouter soi-même, ressentir ses besoins propres plutôt que d'obéir à
des injonctions sociétales. Pour elle, le sommet national est un moyen
d'aider chacun à trouver son propre chemin, celui de sa souveraineté
alimentaire, loin des normes sociales et développer ainsi son autonomie.
En proposant des approches différentes, Gentiane Cremer souhaite ouvrir
des espaces de réflexion personnelle et de débats et contribuer à plus
de démocratie en ouvrant sur d'autres possibles. L'enjeu est de taille.
Selon elle, "la façon de s'alimenter est un vote au quotidien pour un choix de société".
Au
départ, l'association, créée durant l'été 2015 à Périgueux, ne se
centre pas uniquement sur l'alimentation mais veut promouvoir plus
généralement la transition écologique et responsable en organisant des
évènements locaux. Pour cela, durant la première année d'existence, la présidente, Gentiane Cremer, et la trésorière, Monique Good, multiplient les
conférences, ateliers, stages, souvent en lien avec la maison de
quartier St Martin et l'association Colibris, sur des thèmes aussi
différents que la monnaie locale, le yoga des yeux, la communication
bienveillante, la naturopathie, un atelier constituant, la démocratie
locale...Dressant le bilan au bout d'un an, elles réalisent qu'elles se
sont trop éparpillées et éprouvent une frustration de ne pas avoir assez
approfondi les sujets. Plusieurs thèmes émergent comme l'éducation, les
énergies renouvelables, l'habitat et l'alimentation. Ce dernier, que
maîtrise le mieux Gentiane Cremer, l'emporte. Il faut dire qu'elle y
pense depuis son adolescence, depuis que sa santé a été touchée.
Reste
à imaginer la forme de ce projet. Forte d'une petite notoriété acquise
sur le département grâce au soutien des média et des réseaux tissés
pendant la première année, l'association a l'idée en novembre 2016 de
créer un sommet virtuel, comme cela se fait beaucoup sur Internet.
Pourquoi ne pas solliciter des experts de Dordogne ou d'ailleurs qui
parleront de leur action dans ce domaine? Chaque interview filmée
donnera lieu à deux formats : l'un court pour présenter les intervenants
et expliquer pourquoi ils soutiennent financièrement ce sommet, l'autre
plus long d'1h15-1h20 pour détailler leur contribution à la
souveraineté alimentaire. La mise en place du projet débute en février
2017 et les interviews à partir de mai et devrait s'achever début
octobre, soit plus de 8000 kms parcourus à travers le
Nord-Pas-de-Calais, la région parisienne, le Midi de la France,
l'Aquitaine, la région lyonnaise jusqu'à la frontière suisse. Ce n'est
pas pour rien que l'association s'appelle Itinérances Films! Avant de
revenir en Dordogne en 2009 où elle était arrivée à l'âge de 11 ans,
Gentiane Cremer a elle-même pas mal bourlingué à travers le monde en
travaillant dans l'hôtellerie et la restauration. Au préalable, elle a
suivi une formation de vidéaste renouant avec ses études secondaires en
audiovisuelles qu'elle avait dû abandonner au lycée Pré de Cordy. Une
rencontre avec le club vidéo Clip Clap de Trélissac en 2012-2013 est un
vrai déclic http://clipclapyoupiprod.fr/.
Elle revient à ses premières amours. C'est donc tout naturellement
qu'elle choisit ce média pour évoquer ce thème de la souveraineté
alimentaire.
Quant aux acteurs de ces vidéos, elle les a choisis au gré de ses lectures, de son réseau en ciblant ceux dont le message la "faisait vibrer".
Toutefois, elle précise ne pas adhérer à tout ce qui est dit
puisqu'elle souhaite offrir un espace de débat rassemblant des points de
vue divers. Elle a voulu aller à la rencontre d'hommes et de femmes "inspirants"
qui mènent une réflexion sur l'impact de l'alimentation sur la société,
les paysages, l'environnement, la spiritualité, la philosophie... et
qui ont pleinement conscience des enjeux, de l'impact de nos choix
alimentaires, de la gravité de la situation dans ce domaine (destruction
de la forêt amazonienne, réduction des normes dans l'agriculture
biologique...). Parce que son projet rejoignait celui de ces activistes,
parce qu'elle reconnaît avoir tout simplement osé, un acte que l'on
s'autorise peu, chacun préférant mettre de côté ses besoins et ses
rêves, regrette-t-elle, elle n'a pas eu de peine à obtenir une
interview, suite parfois à un mail. De cette manière, elle a pu
rencontrer, par exemple, Matthieu Ricard.
S'il lui reste une
dizaine d'acteurs à interviewer, elle peut témoigner du retentissement
que ces mois à sillonner les routes ont eu sur sa propre vie. Pour elle, "il y aura un avant et après sommet".
Même si elle avait déjà entendu la plupart des intervenants, le fait
d'être physiquement en leur présence l'a profondément émue et
transformée et elle "mesure le privilège" d'avoir vécu ces
moments. Elle se souvient notamment de sa rencontre avec Pierre Rabhi
qui l'a touchée par son humanisme, par la profondeur de son regard. Il
semblerait qu'elle ait été particulièrement ébranlée par les
personnalités les plus engagées politiquement comme Ananda Guillet,
directeur de Kokopelli, pour qui "les semences" constituent "un enjeu majeur que seul l'engagement militant peut relever".
Il a su dire non au système, a risqué la prison, explique-t-elle avec
admiration. Elle évoque aussi Valérie Cabanes, porte-parole de "End
Ecocide on Earth" (arrêtons l'écocide planétaire) qui veut criminaliser
la destruction des écosystèmes et l'auteur d'Un nouveau droit pour la terre, pour en finir avec l'écocide. Selon cette juriste en droit international, seul le courage des juges sera déterminant.
Quant
acteurs périgourdins, une dizaine sur les 35 sollicités, ils donnent
une bonne image du dynamisme de ce département, du moins du côté de la
société civile, remarque la vidéaste. En effet, une seule élue compte
parmi ces acteurs : la députée périgourdine Brigitte Allain qui s'est
battue pour que la restauration collective introduise 40% de produits
alimentaires durables dont 20% de produits biologiques à partir de 2020. Elle a été peu soutenue par ses homologues. D'un côté, la
société civile paraît consciente et veut consommer plus de produits bio
dans un pays où l'offre pourtant n'est pas à la hauteur de la demande, où
chaque nouvelle entreprise valorisant une autre alimentation est sure de
son succès. De l'autre côté, les politiques délaissent ces questions
majeures de société pour se focaliser sur des enjeux qui ne concernent
pas les citoyens ou finissent par soutenir des actions une fois seulement qu'elles ont été
suffisamment médiatisées, constate, désolée, Gentiane Cremer. C'est
sûrement la raison pour laquelle elle n'a reçu aucun soutien (financier
ou en termes de communication) de la part des institutions politiques
qu'elle a sollicitées. Son projet est probablement trop engagé pour
celles-ci. Il est "une vraie accusation". La jeune femme,
militante depuis toujours dans des associations défendant l'écologie et
l'humanitaire, a donc hâte de recueillir le témoignage de Brigitte
Allain sur les difficultés de son combat et sur la manière dont on peut
soutenir les femmes et les hommes politiques courageux comme elle. Car,
rappelle-t-elle "nos conditions de vie sont liées à des décisions politiques".
Action politique et combat juridique sont les deux axes majeurs pour
faire bouger les choses, selon la présidente d'Itinérance Films.
Cependant,
la prise de conscience et l'action de chacun au niveau individuel est
incontournable. La première étape est que chacun prenne conscience des
enjeux. Ainsi, il est "scandaleux", selon Gentiane Cremer, qu'un
producteur soit moins considéré qu'un médecin alors qu'il nourrit
l'humanité, et qu'il vive dans la misère. Elle s'indigne que l'on continue de
s'empoisonner alors que l'on sait comment bien se nourrir. En même
temps, les producteurs sont responsables du choix d'agriculture qu'ils
adoptent et de leurs liens avec la grande distribution, estime-t-elle.
Comment se fait-il que la Dordogne ne soit pas encore autonome à 80%
avec le terroir que ce département possède, se demande-t-elle?
Chacun des
intervenants est là pour éveiller les consciences, pour apporter une
part de la solution mais c'est la mise en commun des actions qui les
rendent "efficaces et puissantes". Il faut apprendre à mutualiser
les moyens comme utiliser les cantines scolaires durant les vacances, à
coopérer, une démarche que l'on emploie peu. Il faut encourager les
régies municipales, ne pas hésiter à se regrouper dans un village, dans
un quartier pour faire des achats auprès des producteurs locaux,
à l'image de Denise et Daniel Vuillon, fondateurs de la première AMAP.
Pour faire basculer la société, il faut certes être nombreux mais aussi
partir des besoins de chacun. S'il prend du temps, c'est l'unique moyen
de créer une dynamique collective : la démarche des membres de
SaluTerre, une SCOP implantée à Vélines qui travaille sur les jardins
partagés et au-delà sur les paysages participatifs http://www.saluterre.com/.
C'est en agissant ainsi que les consommateurs les plus éloignés d'une
prise de conscience, attirés par les bonnes affaires de la grande
distribution, pourront aller vers d'autres modes de pensée. Plutôt que
combattre le système, Gentiane Cremer, reprenant les propos de John
Lennon, estime que la multiplication des initiatives à petite échelle
peut finir par le rendre obsolète. Quand on évoque cette minorité
agissante qui peut bousculer le système mais sans le remettre en cause,
la vidéaste affirme que "si tous les gens convaincus respectaient le
fait de ne pas aller dans les grandes surfaces, l'air de rien, cela
ferait baisser de façon significative l'activité des GMS et
permettraient à plus d'offres d'exister".
Pour se convaincre
davantage et découvrir des exemples d'actions locales ou plus éloignées
en France, chacun est donc invité à s'inscrire sur le nouveau site
d'Itinérances Films conçu bénévolement par Céline Garel, webmaster de
l'association. https://www.itinerance-films.fr
Il accèdera alors pendant un mois à partir de mi-octobre (voire plus
tôt pour les donateurs) aux entretiens en format long. Les interviews
seront ensuite l'objet d'une édition en coffret DVD ou en formant
numérique sur Internet. 300 personnes se sont déjà inscrites et la
co-présidente espère atteindre les 2000 personnes. Le coût du projet
est estimé à 25 000 euros (dépenses incompressibles) mais si tout devait
être chiffré, il serait de l'ordre de 68 000 euros. Le financement
participatif est donc bienvenu car il est actuellement très loin d'avoir
atteint la somme voulue (environ 2000 euros). Le projet a pourtant été
lancé au forum ouvert le 8 avril dernier pour construire une
souveraineté alimentaire locale et soutenu par un pique-nique convivial
le 16 juin. Là encore, les média l'ont plébiscité mais la mairie s'est faite
discrète.
Malgré
tout, enthousiaste et passionnée, ne ménageant pas son temps, Gentiane
Cremer pense déjà à l'après. Succédant à une première édition du sommet
sur Internet, elle envisage en novembre 2018 une deuxième édition à
Paris où acteurs et public se rencontrent et débattent. Elle a aussi le
projet d'aller à la rencontre de citoyens ordinaires qui témoignent de
leur expérience et de leurs propres actions en faveur de la souveraineté
alimentaire. Une manière de continuer l'aventure et de poursuivre
l'espoir que des changements sont possibles.
Toutes les informations sont à retrouver sur le site d'Itinérances Films : https://www.itinerance-films.fr
Texte et photos : Laura Sansot
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