Le 8 mars, à l'occasion
de la Journée internationale des femmes avait lieu la première du spectacle
"Silence blessure" sous titré "Mots et maux en
révolte, au féminin", une lecture théâtralisée d'un texte
écrit par Hélène Elouard, comédienne périgourdine, qui s'était
associée à trois comédiens non professionnels.
L'origine de cette journée du 8 mars remonte aux luttes ouvrières et aux nombreuses manifestations de femmes réclamant le droit de vote, de meilleures conditions de travail et l’égalité entre les hommes et les femmes, qui agitèrent l’Europe, au début du XXe siècle. La création d'une journée internationale des femmes est proposée pour la première fois en 1910 par Clara Zetkin, lors d'une conférence internationale des femmes socialistes, dans une perspective révolutionnaire. C'est avec la grève des ouvrières de Saint Pétersbourg en 1917 que la tradition du 8 mars se met en place. La Journée internationale des femmes est reconnue officiellement par les Nations Unies en 1977 puis en France en 1982 qui est une journée de lutte pour les droits des femmes.
Hélène Elouard
Trois personnages
féminins interprétés par Hélène Elouard, Pascale Martin et
Corinne Nantet et un personnage masculin
joué par Alaric, tous vêtus d'un élément violet ou mauve, couleurs du féminisme, étaient mis en scène pour évoquer les violences
faites aux femmes et la domination masculine.
A gauche, Alaric, et à droite, Pascale Martin
Au premier plan, Corinne Nantet et au second, Pascale Martin
Dénoncer la violence
consistait déjà à mettre en évidence la violence des propos
misogynes. Le contraste était mis en lumière entre d'une part le
silence que les femmes s'imposent à elles-mêmes et entre elles
quand elles sont victimes, leur culpabilité et d'autre part la
non-conscience des auteurs de leurs propres actes, notamment lors des
viols y compris en couple. On entendait les efforts déployés par
ces femmes pour ne pas laisser paraître leur souffrance ou passer
pour des victimes, leurs rapports à elles-mêmes après avoir été
violées, les sentiments quand elles réalisaient le crime qu'elles
avaient subi.
A plusieurs reprises tout
au long du texte, comme pour mieux illustrer une pratique banale et
récurrente, des séances douloureuses chez le gynécologue étaient
évoquées. Le plaisir sexuel féminin
était abordé avec les clichés qui lui étaient attachés pour
mieux les remettre en cause en se basant notamment sur des études
scientifiques. On y apprenait notamment que ce plaisir féminin était
recherché essentiellement pour la
satisfaction de l'homme.
Si la première partie du
spectacle se centrait sur les violences sexuelles et le plaçait
d'emblée sous un jour assez pesant, la deuxième, moins émotionnelle
malgré quelques évocations assez dures, n'était pas moins
importante dévoilant une violence plus insidieuse, celle du langage,
de l'orthographe où le maculin régnait en maître rendant invisible
la moitié de l'humanité et sa domination par l'autre moitié. La
monopolisation de la parole en public par les hommes, leur attitude en
réunion à leur égard, l'humour comme "cheval de Troie de
la domination masculine" étaient l'objet de plusieurs
interventions de personnages dont celle du personnage masculin
qu'Hélène Elouard avait judicieusement choisi de mettre en scène
par souci d'ouverture. Elle estimait aussi, comme elle l'expliquait
ensuite durant le débat, qu'une partie du public pouvait s'identifier
plus facilement à un homme comédien et que cela renforçait la
crédibilité du propos, même si une spectatrice considérait que
cela revenait à cautionner le schéma de la domination.
Un autre aspect des
violences et de la domination masculine transparaissait dans la
dictature de la beauté, nouveau diktat imposé aux femmes en échange
des quelques libertés acquises au XXè siècle, le corps devant se
montrer jeune et disponible. Quant à la sexualité, elle devait être
au service de l'homme au lieu d'envisager un partage égalitaire.
Le texte remettait en
question le cliché de la femme lunatique et l'idée que la femme
serait plus bavarde que l'homme, s'appuyant à nouveau sur des propos
scientifiques. L'homme détenait le monopole de la parole
"signifiante, assertive, fonctionnelle" et imposait
le plus souvent les sujets de conversation ou récupérait à son
profit les idées développées par les femmes qui acquéraient par
sa bouche plus de poids. Le personnage masculin rappelait que les
femmes subissaient le patriarcat et que les violences vécues par
certaines d'entre elles leur en donnaient une "intelligence
concrète" et n'en altéraient pas pour autant leur raison.
Ce dont avaient besoin les femmes? La reconnaissance des violences,
des crimes et de leur statut de victime.
La lecture était
parsemée de phrases explicatives sur la manière dont la souffrance
se fabriquait, dont les violences étaient banalisées. Elle invitait
aussi à des changements d'attitude des hommes et des femmes,
elles-mêmes ayant tendance à entretenir la domination masculine par
leurs comportements. On y voyait même
un encouragement à la révolte, notamment en fin de
représentation. S'exprimait dans les dernières minutes sa vision
d'une société plus égalitaire dans les rapports entre les hommes
et les femmes.
Le style était souvent très
haché, composé de phrases courtes, concises, expression d'une
certaine froideur pour mieux dire la souffrance et l'horreur.
L'emploi du présent actualisait le récit, lui donnait un caractère
universel tandis que l'emploi de la 1ère personne du singulier
renforçait le poids du témoignage alors que celui du "tu"
impliquait le spectateur. Le texte ne se voulait pas pour autant
extrémiste s'insurgeant contre des féministes "devenues
plus sexistes que les hommes".
Suite à cette lecture
mise en scène, le public était invité à débattre. Hélène
Elouard expliquait comment elle avait construit son
texte : il
mêlait témoignages et
expression plus personnelle. L'attitude des
gynécologues évoquée de façon récurrente surprenait une
spectatrice n'ayant pas eu cette expérience tandis qu'une autre
témoignait d'un atelier vécu dans un festival sur le plateau des
Millevaches où toutes les femmes semblaient avoir connu au moins une
fois une expérience malheureuse dans le cabinet de ce type de
spécialiste. Une femme faisait allusion à des agressions sexuelles
par des médecins de Périgueux impunis et toujours en activité. Des
chiffres issus d'une enquête Ipsos réalisée du 25 novembre au 2
décembre 2015 http://www.ipsos.fr/decrypter-societe/2016-03-02-violences-sexuelles-pourquoi-stereotypes-persistent
étaient rappelés : environ
90% des victimes de viol connaissaient leur violeur (cf.
la lettre de l'Observatoire National des violences faites aux femmes
de novembre 2015), rappelait
Corinne Nantet, près
de 31% des 18-24 ans pensaient que lors d'une relation sexuelle, les
femmes pouvaient prendre du plaisir à être forcées. Hélène
Elouard soulignait la limite entre non-consentement et jeu sexuel.
Une femme disait la difficulté d'aller dans un commissariat déposer
plainte pour viol si bien que seules 10% des victimes portaient
plainte. Pour cela, Pascale Martin montrait l'importance d'agir
collectivement et informait le public que les trois comédiennes de
la soirée étaient membres d'organisations féministes. Elles
avaient d'ailleurs été contactées dans l'après-midi par un homme
qui les informait de l'existence d'une publicité de France Bleu
Périgord : une femme dénudée dont les seins et le sexe étaient
simplement masqués par un bandeau noir incitait à participer à un
jeu permettant de remplir son réservoir d'essence gratuitement.
Visiblement, l'intervention des défenseuses de la dignité des
femmes auprès de la station de radio avait contraint le directeur à
faire diligence pour retirer la publicité. Il n'empêche, au
plus au sommet de l'Etat, on venait de créer un ministère des
familles (après avoir été celui de la famille), de l'Enfance et
des droits des femmes qui remplaçait depuis février 2016 un
secrétariat d'Etat aux droits des femmes qui lui-même avait
remplacé en 2014 un ministère de plein exercice créé en 2012. La
régression était notable. Une allusion à la maltraitance des
femmes âgées faisait écho au durcissement des relations
garçons-filles abordé aussi pendant le débat. Un homme du public
rappelait que les catégories masculin et féminin étaient des
constructions sociales, produits d'un rapport de domination et qu'il
fallait au contraire abolir les genres. Alors que Pascale Martin
remerciait sa chef de troupe pour son investissement auprès de
comédiens amateurs qu'elle avait fait ardemment travailler pour
l'occasion, le travail d'Hélène Elouard était salué par un
spectateur, la remerciant pour son courage d'aborder ces sujets très
forts, tout en faisant une place à l'homme dans son spectacle.
On pouvait y ajouter
l'émotion que la comédienne avait su faire passer, le sujet lui
tenant particulièrement à coeur. Le spectacle avait le grand mérite
d'aborder des sujets douloureux et des tabous, d'être documenté
mais aussi de donner des informations méconnues qu'un public plus
jeune, de lycéens par exemple, selon la suggestion de membres du
public, aurait gagné à découvrir. Le café associatif des
Thétards, fort de son côté intimiste, était le lieu idéal pour
cette première.
Le spectacle doit être
rejoué le 26 mars au Quai à Périgueux et le 15 avril au café
associatif de Léguillac de Cercles.
Photos et texte : Laura Sansot
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