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23/09/2017

GENTIANE CREMER A LA RENCONTRE D'ACTEURS DE LA SOUVERAINETE ALIMENTAIRE

Gentiane Cremer, présidente de l'association Itinérances Films, prépare un sommet national de la souveraineté alimentaire en allant interroger à travers la France 35 acteurs "inspirants" qui "montrent le chemin des possibles", de la semence à l'assiette. Art Péri' Cité l'a rencontrée.
L'alimentation est un sujet qui tient particulièrement à coeur de la jeune femme trentenaire. Fille de paysan des Cévennes, elle est sensibilisée très tôt à la fois aux beautés de la nature mais aussi aux difficultés du monde agricole, même si elle n'a pas pratiqué elle-même, reconnaît-elle. Quand elle est lycéenne à Sarlat, à 17 ans, elle tombe gravement malade pendant deux ans et doit interrompre ses études. Les médecins ne posent pas de diagnostic clair mais souhaitent lui amputer son intestin malade et faire des séances de chimiothérapie si sa santé ne s'améliore pas. Encore mineure, elle laisse la décision à sa mère. Elle ne la remerciera jamais assez d'avoir refusé cette prescription et de s'être tournée vers les médecines alternatives. A force de multiplier les rendez-vous, elles finissent par rencontrer une chiropraticienne qui conseille de supprimer les produits laitiers. En un mois, elle est guérie et ne connaîtra plus de graves problèmes de santé. D'elle-même, pourtant gourmande, elle renforce le régime alimentaire en enlevant sucre et céréales. Pour des raisons vitales, elle se plonge dans la lecture assidue et détaillée des étiquettes de produits alimentaires. Elle "élève son niveau de conscience" en la matière et se montre très stricte dans le respect des prescriptions pendant 10 ans puis plus souple pendant quelques années avant que des problèmes digestifs ne reprennent. Aujourd'hui, elle aspire à une alimentation vivante composée essentiellement de fruits, légumes, graines germées, produits à base de farines légères...Si elle pense avoir trouvé le régime qui lui convienne, elle ne cherche pas pour autant à l'imposer. Elle estime que chacun doit trouver l'alimentation qui lui convienne, tout en plaidant pour des produits sains, respectueux de la planète. Elle invite à s'écouter soi-même, ressentir ses besoins propres plutôt que d'obéir à des injonctions sociétales. Pour elle, le sommet national est un moyen d'aider chacun à trouver son propre chemin, celui de sa souveraineté alimentaire, loin des normes sociales et développer ainsi son autonomie. En proposant des approches différentes, Gentiane Cremer souhaite ouvrir des espaces de réflexion personnelle et de débats et contribuer à plus de démocratie en ouvrant sur d'autres possibles. L'enjeu est de taille. Selon elle, "la façon de s'alimenter est un vote au quotidien pour un choix de société".
Au départ, l'association, créée durant l'été 2015 à Périgueux, ne se centre pas uniquement sur l'alimentation mais veut promouvoir plus généralement la transition écologique et responsable en organisant des évènements locaux. Pour cela, durant la première année d'existence, la présidente, Gentiane Cremer, et la trésorière, Monique Good, multiplient les conférences, ateliers, stages, souvent en lien avec la maison de quartier St Martin et l'association Colibris, sur des thèmes aussi différents que la monnaie locale, le yoga des yeux, la communication bienveillante, la naturopathie, un atelier constituant, la démocratie locale...Dressant le bilan au bout d'un an, elles réalisent qu'elles se sont trop éparpillées et éprouvent une frustration de ne pas avoir assez approfondi les sujets. Plusieurs thèmes émergent comme l'éducation, les énergies renouvelables, l'habitat et l'alimentation. Ce dernier, que maîtrise le mieux Gentiane Cremer, l'emporte. Il faut dire qu'elle y pense depuis son adolescence, depuis que sa santé a été touchée.

Reste à imaginer la forme de ce projet. Forte d'une petite notoriété acquise sur le département grâce au soutien des média et des réseaux tissés pendant la première année, l'association a l'idée en novembre 2016 de créer un sommet virtuel, comme cela se fait beaucoup sur Internet. Pourquoi ne pas solliciter des experts de Dordogne ou d'ailleurs qui parleront de leur action dans ce domaine? Chaque interview filmée donnera lieu à deux formats : l'un court pour présenter les intervenants et expliquer pourquoi ils soutiennent financièrement ce sommet, l'autre plus long d'1h15-1h20 pour détailler leur contribution à la souveraineté alimentaire. La mise en place du projet débute en février 2017 et les interviews à partir de mai et devrait s'achever début octobre, soit plus de 8000 kms parcourus à travers le Nord-Pas-de-Calais, la région parisienne, le Midi de la France, l'Aquitaine, la région lyonnaise jusqu'à la frontière suisse. Ce n'est pas pour rien que l'association s'appelle Itinérances Films! Avant de revenir en Dordogne en 2009 où elle était arrivée à l'âge de 11 ans, Gentiane Cremer a elle-même pas mal bourlingué à travers le monde en travaillant dans l'hôtellerie et la restauration. Au préalable, elle a suivi une formation de vidéaste renouant avec ses études secondaires en audiovisuelles qu'elle avait dû abandonner au lycée Pré de Cordy. Une rencontre avec le club vidéo Clip Clap de Trélissac en 2012-2013 est un vrai déclic http://clipclapyoupiprod.fr/.  Elle revient à ses premières amours. C'est donc tout naturellement qu'elle choisit ce média pour évoquer ce thème de la souveraineté alimentaire.

Quant aux acteurs de ces vidéos, elle les a choisis au gré de ses lectures, de son réseau en ciblant ceux dont le message la "faisait vibrer". Toutefois, elle précise ne pas adhérer à tout ce qui est dit puisqu'elle souhaite offrir un espace de débat rassemblant des points de vue divers. Elle a voulu aller à la rencontre d'hommes et de femmes "inspirants" qui mènent une réflexion sur l'impact de l'alimentation sur la société, les paysages, l'environnement, la spiritualité, la philosophie... et qui ont pleinement conscience des enjeux, de l'impact de nos choix alimentaires, de la gravité de la situation dans ce domaine (destruction de la forêt amazonienne, réduction des normes dans l'agriculture biologique...). Parce que son projet rejoignait celui de ces activistes, parce qu'elle reconnaît avoir tout simplement osé, un acte que l'on s'autorise peu, chacun préférant mettre de côté ses besoins et ses rêves, regrette-t-elle, elle n'a pas eu de peine à obtenir une interview, suite parfois à un mail. De cette manière, elle a pu rencontrer, par exemple, Matthieu Ricard.
S'il lui reste une dizaine d'acteurs à interviewer, elle peut témoigner du retentissement que ces mois à sillonner les routes ont eu sur sa propre vie. Pour elle, "il y aura un avant et après sommet".  Même si elle avait déjà entendu la plupart des intervenants, le fait d'être physiquement en leur présence l'a profondément émue et transformée et elle "mesure le privilège" d'avoir vécu ces moments. Elle se souvient notamment de sa rencontre avec Pierre Rabhi qui l'a touchée par son humanisme, par la profondeur de son regard. Il semblerait qu'elle ait été particulièrement ébranlée par les personnalités les plus engagées politiquement comme Ananda Guillet, directeur de Kokopelli, pour qui "les semences" constituent "un enjeu majeur que seul l'engagement militant peut relever". Il a su dire non au système, a risqué la prison, explique-t-elle avec admiration. Elle évoque aussi Valérie Cabanes, porte-parole de "End Ecocide on Earth" (arrêtons l'écocide planétaire) qui veut criminaliser la destruction des écosystèmes et l'auteur d'Un nouveau droit pour la terre, pour en finir avec l'écocide. Selon cette juriste en droit international, seul le courage des juges sera déterminant.
Quant acteurs périgourdins, une dizaine sur les 35 sollicités, ils donnent une bonne image du dynamisme de ce département, du moins du côté de la société civile, remarque la vidéaste.  En effet, une seule élue compte parmi ces acteurs : la députée périgourdine Brigitte Allain qui s'est battue pour que la restauration collective introduise 40% de produits alimentaires durables dont 20% de produits biologiques à partir de 2020. Elle a été peu soutenue par ses homologues. D'un côté, la société civile paraît consciente et veut consommer plus de produits bio dans un pays où l'offre pourtant n'est pas à la hauteur de la demande, où chaque nouvelle entreprise valorisant une autre alimentation est sure de son succès. De l'autre côté, les politiques délaissent ces questions majeures de société pour se focaliser sur des enjeux qui ne concernent pas les citoyens ou finissent par soutenir des actions une fois seulement qu'elles ont été suffisamment médiatisées, constate, désolée, Gentiane Cremer. C'est sûrement la raison pour laquelle elle n'a reçu aucun soutien (financier ou en termes de communication) de la part des institutions politiques qu'elle a sollicitées. Son projet est probablement trop engagé pour celles-ci. Il est "une vraie accusation". La jeune femme, militante depuis toujours dans des associations défendant l'écologie et l'humanitaire, a donc hâte de recueillir le témoignage de Brigitte Allain sur les difficultés de son combat et sur la manière dont on peut soutenir les femmes et les hommes politiques courageux comme elle. Car, rappelle-t-elle "nos conditions de vie sont liées à des décisions politiques". Action politique et combat juridique sont les deux axes majeurs pour faire bouger les choses, selon la présidente d'Itinérance Films.
Cependant, la prise de conscience et l'action de chacun au niveau individuel est incontournable. La première étape est que chacun prenne conscience des enjeux. Ainsi, il est "scandaleux", selon Gentiane Cremer, qu'un producteur soit moins considéré qu'un médecin alors qu'il nourrit l'humanité, et qu'il vive dans la misère. Elle s'indigne que l'on continue de s'empoisonner alors que l'on sait comment bien se nourrir. En même temps, les producteurs sont responsables du choix d'agriculture qu'ils adoptent et de leurs liens avec la grande distribution, estime-t-elle. Comment se fait-il que la Dordogne ne soit pas encore autonome à 80% avec le terroir que ce département possède, se demande-t-elle?
Chacun des intervenants est là pour éveiller les consciences, pour apporter une part de la solution mais c'est la mise en commun des actions qui les rendent "efficaces et puissantes". Il faut apprendre à mutualiser les moyens comme utiliser les cantines scolaires durant les vacances, à coopérer, une démarche que l'on emploie peu. Il faut encourager les régies municipales, ne pas hésiter à se regrouper dans un village, dans un quartier pour faire des achats auprès des producteurs locaux, à l'image de Denise et Daniel Vuillon, fondateurs de la première AMAP. Pour faire basculer la société, il faut certes être nombreux mais aussi partir des besoins de chacun. S'il prend du temps, c'est l'unique moyen de créer une dynamique collective : la démarche des membres de SaluTerre, une SCOP implantée à Vélines qui travaille sur les jardins partagés et au-delà sur les paysages participatifs http://www.saluterre.com/. C'est en agissant ainsi que les consommateurs les plus éloignés d'une prise de conscience, attirés par les bonnes affaires de la grande distribution, pourront aller vers d'autres modes de pensée. Plutôt que combattre le système, Gentiane Cremer, reprenant les propos de John Lennon, estime que la multiplication des initiatives à petite échelle peut finir par le rendre obsolète. Quand on évoque cette minorité agissante qui peut bousculer le système mais sans le remettre en cause, la vidéaste affirme que "si tous les gens convaincus respectaient le fait de ne pas aller dans les grandes surfaces, l'air de rien, cela ferait baisser de façon significative l'activité des GMS et permettraient à plus d'offres d'exister".
Pour se convaincre davantage et découvrir des exemples d'actions locales ou plus éloignées en France, chacun est donc invité à s'inscrire sur le nouveau site d'Itinérances Films conçu bénévolement par Céline Garel, webmaster de l'association. https://www.itinerance-films.fr Il accèdera alors pendant un mois à partir de mi-octobre (voire plus tôt pour les donateurs) aux entretiens en format long. Les interviews seront ensuite l'objet d'une édition en coffret DVD ou en formant numérique sur Internet. 300 personnes se sont déjà inscrites et la co-présidente espère atteindre les 2000 personnes.  Le coût du projet est estimé à 25 000 euros (dépenses incompressibles) mais si tout devait être chiffré, il serait de l'ordre de 68 000 euros.  Le financement participatif est donc bienvenu car il est actuellement très loin d'avoir atteint la somme voulue (environ 2000 euros). Le projet a pourtant été lancé au forum ouvert le 8 avril dernier pour construire une souveraineté alimentaire locale et soutenu par un pique-nique convivial le 16 juin. Là encore, les média l'ont plébiscité mais la mairie s'est faite discrète.
Malgré tout, enthousiaste et passionnée, ne ménageant pas son temps, Gentiane Cremer pense déjà à l'après. Succédant à une première édition du sommet sur Internet, elle envisage en novembre 2018 une deuxième édition à Paris où acteurs et public se rencontrent et débattent. Elle a aussi le projet d'aller à la rencontre de citoyens ordinaires qui témoignent de leur expérience et de leurs propres actions en faveur de la souveraineté alimentaire. Une manière de continuer l'aventure et de poursuivre l'espoir que des changements sont possibles. 

Toutes les informations sont à retrouver sur le site d'Itinérances Films : https://www.itinerance-films.fr

Texte et photos : Laura Sansot

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