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24/05/2017

RENCONTRE AVEC MANA NEYESTANI, CARICATURISTE IRANIEN, REFUGIE POLITIQUE EN FRANCE

Dans le cadre du Festival Printemps au Proche Orient, le dessinateur d'origine iranienne, Mana Neyestani rencontrait le public périgourdin à la médiathèque Pierre Fanlac après le vernissage de son exposition à la Galerie l'App'Art, le 18 mai.
Cette rencontre était organisée en partenariat avec Amnesty International, la Ligue des Droits de l'Homme et le Club de la presse dont le nouveau président depuis décembre 2016, Sébastien Bouwy, par ailleurs rédacteur en chef à France 3 Périgords, a animé la soirée.
Après avoir rencontré des lycéens de Picasso et de Coulounieix-Chamiers, l'artiste était invité à répondre à des questions sur son parcours et sa vision de la situation dans son pays de naissance et son pays d'adoption.
 de gauche à droite : la traductrice, Mana Neyestani, Sébastien Bouwy 
Sébastien Bouwy a rappelé que son exil faisait suite à son emprisonnement de 2 mois en 2006. Travaillant alors dans un journal pour enfants, il avait voulu sortir une histoire humoristique où il établissait le mode d'emploi pour chasser les cafards, s'inspirant de sa situation personnelle d'alors (son domicile avait été envahi par ces insectes). Une phrase sortie de la bouche d'un cafard, en discussion avec un gamin de 10 ans, Soheil, utilisant un terme azeri fréquemment employé en Iran quand on ne sait pas quoi dire, avait déclenché des émeutes. Le peuple azéri, d'origine turque du Nord de l'Iran, depuis longtemps opprimé par le pouvoir central, s'était senti humilié et le dessinateur avait servi de bouc-émissaire. Il avait été incarcéré avec son éditeur dans la prison 209, une section non officielle de la prison d'Evin. A la faveur d'une permission temporaire, considérant qu'il n'était plus en sécurité dans son propre pays, il avait décidé de le quitter. Avant d'arriver en France en février 2011, il était passé par Dubaï, la Turquie et la Malaisie (2007 à 2010) et même de façon très rapide en Chine. Il a raconté son histoire bouleversante dans La métamorphose iranienne paru en 2012.
Reprenant un article paru dans Le Monde où il affirmait qu'avoir vécu sous la tyrannie conduisait à s'auto-censurer, Sébastien Bouwy s'est demandé s'il se sentait libre en France. Mana Neyestani estime que "lorsque l'on grandit dans un pays comme l'Iran, l'auto-censure s'installe progressivement et qu'il est difficile d'en sortir", on nait avec des tabous, on connaît les mots qu'il ne faut pas prononcer, les thèmes qu'il ne faut pas aborder comme la religion, la sexualité. Cela s'enracine en soi sans que l'on en ait conscience. Mais : "je fais de mon mieux pour sortir de l'auto-censure", a-t-il déclaré. 
Selon lui, faire des dessins humoristiques est dangereux et pas seulement en Iran. La preuve, ce qui s'est passé en France en janvier 2015. En Iran, on a jamais tué pour des dessins car ceux qui sont au pouvoir peuvent les empêcher. En France, les personnes qui s'y opposent considèrent qu'il faut prendre les armes pour les faire cesser. S'il admet que c'est un travail risqué, en France il peut, malgré tout, "même si ça ne vient pas toujours facilement", dessiner à sa guise le guide de la Révolution, ce qui est impossible en Iran. Les hommes au pouvoir dans son pays n'ont pas de sens de l'humour et il est vrai que le moindre dessin peut ridiculiser un chef religieux, ce qu'ils ne peuvent accepter car cela crée une faille dans l'empire qu'ils ont construit à force de temps et d'argent. A la question sur la visibilité de ses dessins en Iran, il a évidemment répondu qu'ils ne l'étaient pas officiellement. Il est interdit de publier ses dessins, même si des copies circulent sous le manteau et même si son dernier livre, L'araignée de Mashhad, paru en 2017, a été traduit en farsi. Ce dernier opus est un docu-fiction élaboré à partir de l'histoire d'un tueur en série qui a sévi dans l'Est de l'Iran, dans une des régions les plus conservatrices, au début des années 2000 à l'encontre de seize prostituées.
Pour voir ses dessins de presse ou ceux de ses confrères, les lecteurs iraniens doivent passer par Internet. Ils sont publiés par des réfugiés installés à l'étranger, notamment en Angleterre, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas. Souvent le régime bloque l'accès à ces sites et c'est "un jeu du chat et de la souris" qui se met en place, une course de vitesse pour qu'un maximum d'internautes voient les dessins avant que le site ne soit bloqué. Les dessinateurs multiplient les supports : une page facebook, une page Instagram, une page Telegram...
Il a édité en 2013 un recueil de dessins de presse : Tout va bien!

Baigné dans un milieu culturel (son père est un poète célèbre en Iran, ses parents étaient tous les deux professeurs de littérature persane), formé en architecture, Mana Neyestani a commencé à travailler comme dessinateur à 16 ans dans des magazines culturels, littéraires plutôt marqués dans l'opposition, au début des années 1990. Des réformes à partir de 1998 lui ont permis de travailler dans 4 ou 5 journaux réformistes puis Khatami a décidé de bannir ces journaux et il s'est retrouvé sans travail au printemps 2000. Il ne restait à l'époque que 2 ou 3 journaux réformistes qui devaient travailler avec beaucoup de précaution, a-t-il précisé. C'est à ce moment-là qu'il a publié un album de ses dessins politiques sous le titre Rire n'est pas interdit et qu'il s'est mis à travailler pour les magazines pour enfants jusqu'à ce qu'il a appelle "le grand évènement". Interrogé sur cet épisode déterminant de sa vie par Sébastien Bouwy, il raconte qu'il a eu lieu au mois de mai, ce qui le replonge dans cette histoire chaque année. Il considère son livre La métamorphose iranienne comme une thérapie.
Un membre du public s'est demandé comment il avait perçu la France où, à priori, il pouvait trouver tous les champs de libertés possibles mais où progressivement des lois liberticides se mettaient en place, comme dans toute l'Europe. Mana Nesyestani, lecteur de dessinateurs français comme Wolinski, connaissait en Iran la réputation de la France et son extraordinaire liberté qui permettait même de publier des dessins contenant des blasphèmes. Toutefois, depuis qu'il est en France, il a constaté un changement. Depuis l'attentat de Charlie-Hebdo, il estime que les dessinateurs s'auto-censurent et que la liberté d'expression s'amenuise. Outre les lois, les hommes ont une formidable capacité à fabriquer des tabous mais cela les emprisonne. Désormais, le terrorisme, la sécurité sont le prétexte à faire taire. Il rappelle qu'en Iran, on met en prison des journalistes au nom de la sécurité intérieure et regrette que ces agissements s'étendent dans le monde. Si les sociétés française et iranienne sont différentes, comme l'a fait remarquer un membre du public, il semblerait que l'on soit "en train de niveler la liberté par le bas", bien que ce soit pour des raisons différentes. L'artiste rappelle que "la liberté, la démocratie ne sont pas des acquis éternels, des gens se sont battus pour les avoir. C'est une lutte quotidienne partout".
Une question l'a conduit à expliquer les difficultés rencontrées en exil. Pour lui, ce sont les difficultés classiques d'un exilé qu'il a racontées dans Petit manuel du parfait réfugié politique, paru en 2015. Les problèmes administratifs affectent les exilés mais aussi les Français. Il a évoqué avec humour un poète français qu'il a côtoyé au Salon du livre de Paris : ce n'est plus l'amour qui était, comme au temps de Shakespeare, le centre des préoccupations d'un poète mais Pôle Emploi!
Il reconnaît qu'étant "un peu pantouflard", peu enclin à faire la fête, il souffre moins que ses compatriotes. Ceux-ci ne jurent que par ce qui vient d'Iran. Il peut se contenter d'"une pièce, un ordinateur et un stylo". A partir de ce moment-là, il "peu[t] recréer [s]on univers et être heureux". En revanche, ce sont sa famille et ses amis qui lui manquent le plus, même s'il vit à Paris avec sa femme, dans le 20è arrondissement, un quartier au "voisinage sympathique et vivant".
 
Un auditeur s'est demandé si sa famille était en danger quand il publiait. Jusqu'à présent, elle n'a pas été inquiétée mais il reconnaît que "c'est le risque de tout dessinateur de presse, politique" de voir son entourage mis en difficulté et il sait qu'"à tout moment, le régime peut perdre patience".
Au sujet des élections présidentielles qui devaient avoir lieu le lendemain de la rencontre (et qui ont finalement entraîné la réélection du président sortant Rohani, allié des réformateurs), le dessinateur a expliqué que l'atmosphère était polarisée entre les candidats mais pas uniquement. En Iran, la société se divise entre ceux qui rejettent les élections tandis que d'autres estiment qu'il faut voter, au nom de la démocratie, chacun étant convaincu que sa position va faire avancer les choses. Lui se pose plutôt comme un observateur.
Quant à ses dessins, il sait qu'ils ne pourront pas plaire à tout le monde. Actuellement, il travaille tous les deux mois pour un magazine italien et ponctuellement pour des journaux comme Courrier International, Libération ou Le Monde qui vient de lui commander des illustrations pour une page sur la gastronomie qui paraîtra en juillet, une rupture dans son travail habituellement axé sur le Moyen-Orient.
Pour récompenser ses activités de caricaturiste, il a reçu divers prix dont le prix international du dessin de presse le 3 mai 2012 des mains de Kofi Annan. "Ses dessins (...) font l'unanimité chez les opposants iraniens à l'étranger, un fait rare", souligne Le Monde. http://www.lemonde.fr/livres/article/2012/02/16/mana-neyestani-le-cafard-du-dessinateur_1644007_3260.html

Une dédicace de ses ouvrages était proposée à la suite de cette rencontre.
Une exposition d'une dizaine de ses dessins, extraits de ses trois premiers ouvrages, gracieusement prêtée par ses éditeurs, est visible à la Galerie l'App'Art à Périgueux jusqu'au 3 juin.
Texte et photos : Laura Sansot

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