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29/01/2017

PLONGEE DANS LE JAZZ D'AVANT LE ROCK' N ROLL AVEC LITTLE COQUETTE

Le 21 janvier, le théâtre de poche de Thiviers accueillait un groupe venu de Lyon : Little Coquette.

Ce nouveau théâtre de Dordogne, bienvenu dans une partie du département où l'offre culturelle est réduite, malgré l'ouverture l'année dernière du Nantholia, propose une programmation depuis septembre 2016. C'est le 15 mai 2016 que le couple à l'origine de cette initiative, arrivé en Dordogne il y a 4 ans, a obtenu l'autorisation d'ouvrir les portes d'une ancienne imprimerie transformée en théâtre privé.
 
Le spectateur découvre au fond d'une impasse du centre ville une très belle façade à l'ancienne entièrement réalisée par Lionel, l'artiste du couple, mime de profession et qui s'est fait remarquer en remportant le Mim'Off en 2007 http://www.mime-malou.fr/Site_Malou/Bienvenue.html. Le décor rétro plonge d'emblée le visiteur dans le monde du spectacle et dans un univers chaleureux, intimiste avec son petit bar et ses chaises au fond duquel trône un gramophone.
Il laisse imaginer au fond un théâtre à l'italienne, même si la modestie du lieu limite cette ambition. Il reste que le nombre de places limitées à une jauge d'une petite quarantaine de personnes favorise une grande proximité avec les artistes, bien que la scène soit un peu surélevée.
La chanteuse, habituée à affronter le public chahuteur des bars, n'a d'ailleurs pas hésité à descendre de la scène pour se rapprocher de son public dont elle a reconnu après le concert la qualité d'écoute.
 
Dotée d'une réelle présence sur scène, Jessica Martin Maresco a, tout au long de la soirée, dialogué avec les spectateurs eux-mêmes très à l'aise pour lui répondre.
 
Le concert égrenait des morceaux de jazz des années 1913 à 1955, date où "le rock'n roll a pris le relais avec brio", a expliqué la jeune femme.
Celle-ci est plongée dans la musique depuis son enfance. Avec un père ingénieur du son pendant 15 ans et une mère plasticienne, elle a pratiqué un instrument dès l'âge de 6 ans. Toutefois, le piano électrique du domicile peu coopératif qui, réparé trois fois, retombait systématiquement en panne, a rendu son professeure, visiblement élitiste, peu disposée à poursuivre l'enseignement auprès de son élève. Elle considérait que les parents n'étaient pas dignes de payer des cours s'ils n'avaient pas les moyens de financer un piano à leur fille. Renonçant à son instrument avec lequel elle entretient désormais "des rapports assez complexes", la jeune musicienne de 11 ans a constaté troublée que le fameux piano s'était remis à fonctionner dès la décision prise : dans son imagination d'enfant, une bonne fée avait décidé d'orienter sa vie sur un autre chemin. En effet, quelques temps après, son professeure de chant l'invitait à participer à l'Opéra Junior de Montpellier. L'expérience, cette fois-ci heureuse, incitait la chanteuse en herbe à solliciter le directeur qui, touché par sa motivation, la recrutait dans le choeur principal. Jessica Martin Maresco reconnaît qu'elle aurait pu pratiquer un autre instrument que la voix si elle avait rencontré une autre structure basée sur la gratuité et la motivation des enfants.
Toujours est-il qu'elle a participé à une centaine de concerts à travers toute la France comme choriste et soliste de 1996 à 2007 et a même chanté lors de la coupe du monde football de 1998 aux côtés de Barbara Hendrix. Elle qui estimait certes chanter juste et avoir une certaine musicalité a longtemps douté de son statut de chanteuse considérant qu'elle avait une petite voix. Et pourtant, elle n'a pas arrêté de chanter depuis son arrivée à l'Opéra Junior et le concert a montré qu'elle pouvait réviser son jugement. Très éclectique dans ses projets qui vont de la musique contemporaine à la pop en passant par le rock, l'électro et le jazz, elle rencontre Guilhem Meier avec lequel elle fonde le groupe ICSIS en 2006 et part s'installer à Lyon après un an passé, en 2006-2007, au conservatoire de Montpellier. C'est en 2011 qu'elle intègre un collectif lyonnais de soundpainting, le SPANG, où elle fait la rencontre de Fred Demoor. Le soundpainting, comme l'a expliqué ce dernier, est une technique d'improvisation libre d'un groupe où le chef d'orchestre utilise un langage gestuel qui permet la création artistique. Divers styles devaient être employés et le jazz des années 20 aux années 50 a rapproché la chanteuse et le musicien. Fred Demoor, imprégné de swing manouche et des oeuvres de Django Reinhardt, pratique la guitare depuis l'âge de 12 ans.
Jessica Martin Maresco a découvert le jazz pendant son enfance. Elle se souvient d'une soirée pendant les fêtes de fin d'année avec sa mère chez des amis où le disque d'une chanteuse passait en boucle : elle écoutait pour la première fois Billie Holiday.  Elle s'est beaucoup imprégnée des chanteuses de jazz américaines comme Lady Day (même si elle a aussi été tentée un temps par la chanson réaliste française). Elle voulait leur rendre hommage à travers un groupe de jazz, loin de ceux dont elle a longtemps fait partie. En effet, pendant des années, elle a beaucoup joué, raconte-t-elle, dans des quintets, octets pour des soirées évènementielles où il s'agissait de vendre un produit, de donner au public ce qu'il attendait  : des standards du jazz, "des saucissons", comme l'on dit dans l'argot du jazz, mais qui n'étaient qu'"un mirage un peu putassier" puisqu'ils la faisaient vivre tout en épuisant son énergie, reconnait-elle. Elle préférait presque jouer dans la rue ou dans les bars plutôt que de donner à voir et entendre une caricature d'un jazz très "bling-bling". En cela, elle partageait les mêmes vues que Fred Demoor.
Ils se sont donc vite trouvés et leur groupe est né en 2014, d'abord sans nom. Un ami patron de bar connaissant les qualités musicales de chacun leur a proposé un soir de jouer chez lui, ayant eu vent de leur récente association. Le duo a ainsi été fondé en 15 jours. Progressivement, il a constitué son répertoire et créé un spectacle qui présente des chansons de façon chronologique en multipliant les interludes. La coquetterie des femmes des années de la première guerre mondiale aux lendemains de la seconde est largement abordée. Ce thème a d'ailleurs donné le nom au duo, Little Coquette, influencé par une chanson éponyme qui évoque une fille cherchant le regard masculin mais fuyant la gent masculine dès qu'elle s'approche trop près. Enfin libérée de la longue robe noire, Jessica Martin Maresco peut désormais choisir ses tenues et on la voyait ce soir-là dans une tenue très féminine, du style années 50, que venaient agrémenter sa magnifique chevelure et son beau et large sourire.
On a appris pendant ce concert l'origine du mascara Maybelline, découvert à quelle occasion le bâton de rouge à lèvres et le soutien-gorge à deux bonnets avaient été produits pour la première fois et ce qu'avait inventé Louis Réard en 1946. La chanteuse prenait visiblement un grand plaisir à soumettre ces devinettes à son public très collaboratif. Quant aux chansons, elles étaient aussi l'occasion d'interroger les spectateurs. Ils devaient retrouver le nom de scène d'Eleonora Fagan qui avait vu un jour à Paris dans un club une chanteuse devenue célèbre quelque temps après mais aussi le titre d'un film d'Hitchcock dans lequel l'une des chansons du set Que sera, sera était interprétée. D'ailleurs, Fred Demoor a rappelé, après leur prestation, que beaucoup des titres, tous ces reprises, étaient présents dans la filmographie des années 50-60.  Elle a interprété le célèbre titre de 1931 de Cab Calloway, Minnie the moocher que l'on entend dans un film avec Betty Boop et le fameux Hi de Hi de Hoo. Le public ne manquait pas non plus d'être sollicité pour chanter avec elle reprenant Do you call that a buddy? On l'a entendu interpréter des chansons de Billie Holiday comme I Cover the waterfront, Good morning heartache. On découvrait une chanson chantée à l'époque par  Rose Murphy Busy Line interprétée avec les gestes de circonstance.
 
Des chansons de Betty Hutton étaient reprises : Can't stop talking about him ou Murder, he says et une de Ella Filtzerald Dedicated to you qui ouvrait le concert. La chanson Civilization des Andrews Sisters dénonçait la société de consommation qui allait déferler après la guerre.
Ainsi, le duo présentait quelques standards de jazz pour les néophytes tout en donnant à connaître des titres moins populaires avec cette volonté de dépoussiérer le jazz d'avant guerre. La chanteuse a fait un travail de collectage en retrouvant de vieux titres et en tentant de les retranscrire et les traduire elle-même dans un précieux carnet.
Il s'agissait aussi de remettre le jazz au goût du jour. En effet, comme l'a expliqué Fred Demoor, leur défi était d'adapter ces chansons souvent interprétées avec tout un orchestre pour un seul instrument, même si la voix de la chanteuse se mettait parfois à imiter la trompette.
Les chansons évoquaient le contexte historique, les souffrances de la guerre qui éloignaient les amants (Till then était la version masculine de I cover the waterfront) et rendaient les hommes fous (Murder, he says) tout en évoquant des histoires intimes mais qui tendaient à l'universel. C'est d'ailleurs davantage les tourments de l'amour chez la femme comme dans Busy Line et Good morning heartache et sa passion dévorante  pour son homme (Can't stop taking about him, Mon homme et sa version américaine My man) qui étaient mis en avant. Pour terminer le concert, Little Coquette interprétait en bis une vieille chanson française que Jessica Martin Maresco avait déniché et dont elle avait retrouvé les paroles à force de réécouter un vieil enregistrement tiré du film Valse brillante : Je suis une femme coquette.
On a apprécié la délicatesse de sa voix de soprano, presque de velours, qui n'hésitait pas non plus à partir haut dans les aigus prenant des airs de castafiore sans se départir de la justesse tandis que d'autres chansons donnaient aussi à entendre sa puissance vocale. Jouant, avec un réel talent de comédienne, les personnages des chansons donnant ainsi un côté comédie musicale au spectacle, elle se faisait tantôt faussement naïve, tantôt séductrice avec son public et avec les hommes en particulier qui se laissaient prendre au jeu. Elle savait jouer des hanches, l'oeil coquin et le sourire complice. La chanson What ever Lola wants rendait hommage à cette femme à laquelle les hommes ne pouvaient résister. Elle semblait incarner la féminité du XXè siècle : celle rehaussée d'attributs dont elle avait évoqué les multiples inventions et grandie par l'indépendance acquise suite au départ des hommes à la guerre. Un peu à l'image de cette belle chanteuse visiblement très épanouie, très heureuse d'être sur scène et d'avoir acquis la liberté de  choisir à la fois son partenaire et le répertoire qu'elle aimait.
Fred Demoor, plus discret sur scène pour mieux la mettre en valeur, l'accompagnait avec talent à la guitare tout en ayant réalisé lui-même les arrangements de ces chansons.
 
S'il évoquait un projet profondément nostalgique, lui qui est un fan de musette mais sait aussi, comme la chanteuse, diversifier ses activités (il travaille actuellement sur un BD-concert  autour du livre de Jean-Pierre Levaray, Putain d'usine), il estimait que l'"on p[ouvai]t aimer ces musiques jazz sans se sentir vieux".
Revisitées grâce aux diverses influences musicales des artistes, interprétées par une chanteuse qui précise ne pas avoir fait d'école de jazz, uniquement marquée par la culture musicale qu'elle s'est elle-même construite donnant lieu à des interprétations d'une grande liberté, elles ont visiblement plu au public touché par la sensualité de ces musiques américaines et de son interprète.

Lionel et Nathalie, les créateurs de ce lieu que l'on vous recommande chaleureusement, ont le projet généreux de proposer au minimum chaque mois des soirées comprenant un spectacle (qui fait souvent le plein deux jours après l'ouverture de la billetterie) et un concert, sans compter des cafés littéraires.
Prochain spectacle le 11 février : Conséquences par la compagnie Les Paraconteurs.

Pour retrouver l'actualité de Little Coquette qui propose quelques dates de concert tous les deux mois, voici le lien : https://www.facebook.com/littlecoquettemusic/
Pour le programme du Théâtre de poche de Thiviers, c'est ici : https://www.facebook.com/Th%C3%A9%C3%A2tre-de-Poche-Thiviers-728612180601520/

Texte et photos  : Laura Sansot

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